Copenhague et les droits de propriété Par José Bové, Karima Delli et Christiane Taubira

11 janvier 2010
Tribune parue dans Les Échos le 28 décembre 2009.

Deux semaines de négociation pour déboucher sur aucun accord contraignant. La responsabilité des gouvernements occidentaux est grande. L’insuffisance des transferts financiers a été discutée, moins la question des droits de propriété sur les nouvelles technologies ou les nouveaux OGM. Pourtant, de même qu’il vaut mieux apprendre à pêcher que donner du poisson, il est urgent de transférer les nouvelles technologies et sans contrepartie. Qu’il s’agis-se de médicaments, de captation solaire, de gestion des ressources naturelles, génétiques ou des semences, la propriété intellectuelle joue pourtant un rôle qui mérite de faire débat.

Les pays du Sud ont déjà pris la mesure des enjeux liés à la protection de la propriété intellectuelle. En 1994, l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Adpic) faisait partie du paquet OMC. Il marquait un accroissement significatif des droits de protection allié pour la première fois à un mécanisme de sanction. Le principe promu est simple : en échange de droits réservés de propriété intellectuelle (de vingt ans par exemple dans le cas d’un brevet), technologies et savoir-faire sont, à échéance de cette période, rendus publics. Pensée comme une incitation à la poursuite de recherches d’innovations, la rente de monopole accordée est compensée par l’obligation de divulguer les caractéristiques de l’invention pour que d’autres puissent en faire usage lorsqu’elle entre dans le domaine public. L’adoption de cette équation, entre dogme économique et vérité scientifique, s’est répandue faisant allégeance au concept même de propriété intellectuelle. Dans les faits, le foisonnement des modes de protection, l’extension de leur durée et la généralisation de l’opacité sur les innovations influent sur la recherche et les conditions de son fonctionnement, la dessert et finit par l’asphyxier, tandis qu’il compromet la participation d’une part importante de la population mondiale à la production et à l’utilisation de savoirs scientifiques et techniques.

Les industries des pays occidentaux militent pour des droits de propriété intellectuelle toujours plus étendus et plus forts. Aujourd’hui, le contrôle à l’échelle de la planète des technologies, des savoirs et de leur circulation est devenu le domaine quasi réservé des pays riches : ils concentrent les connaissances et tirent bénéfice de l’exploitation et de l’exportation de la propriété intellectuelle. Les pays en développement sont, quant à eux, essentiellement acheteurs, lorsqu’ils en ont les moyens financiers, des fruits de l’innovation, produits ou technologies.

Contrepartie aux pays pauvres inquiets d’être laissés en marge du progrès, le principe du transfert de technologie est inscrit dans les dispositifs de l’OMC, de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques ou du protocole de Kyoto. Dans les faits, pourtant, ces transferts sont extrêmement limités.

Et nous en revenons à Copenhague : il n’y aura pas d’action efficace de la communauté internationale sur le réchauffement climatique sans le développement et la diffusion tous azimuts de technologies écologiques. Parallèlement à la nécessité d’inventer des technologies nouvelles, de promouvoir et de développer des savoir-faire locaux préservés de techno ou biopirateries, le transfert de technologie est indispensable à l’élaboration dans l’ensemble des pays de politiques industrielles, énergétiques et agricoles qui réduisent les émissions.

Des options existent pour élargir notre champ de réflexion et d’action, qu’il s’agisse de la création de prix publics à l’innovation ou de pools de brevets, de l’usage facilité des outils juridiques qui permettent la levée ponctuelle des droits de brevets lorsque les Etats le jugent nécessaire, sans mettre en danger le tissu industriel, mais au contraire en lui offrant des perspectives et des marchés nouveaux. La réponse au réchauffement climatique réclame ce rééquilibrage dans le contrôle du savoir et l’accès à ses fruits. Prétendre le contraire ou faire mine de l’ignorer, c’est faire le choix de l’échec.

Cet échec, nous venons de le vivre. Et avec lui un nouvel affaiblissement des négociations multilatérales que les pays occidentaux seraient heureux de remiser pour des tractations bilatérales plus contrôlables. Ce dont nous avons besoin, c’est au contraire de la mise en oeuvre d’un accord multilatéral innovant et responsable tant sur le plan environnemental qu’économique, humain et social. C’est faire primer l’intérêt public sur les intérêts privés pour nous inscrire dans une véritable dynamique de changement à l’échelle de la planète.

JOSÉ BOVÉ ET KARIMA DELLI SONT DÉPUTÉS EUROPÉENS, CHRISTIANE TAUBIRA EST DÉPUTÉE DE GUYANE.

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