Israël, un naufrage politique

2 juin 2010
On peut avoir des avis très divergents sur l’État d’Israël, mais sa capacité d’action militaire est un point qui en général fait consensus. L’épouvantable opération terroriste menée contre la flottille des organisations humanitaires en route vers Gaza pour y acheminer des matériaux, des médicaments et des vivres, a donc été soigneusement pesée avant d’être engagée. Même si elle a viré au fiasco le plus total.
Première décision largement préméditée, celle de lancer l’assaut militaire dans les eaux internationales, très loin de Gaza. Cette violation du droit international, qui plus est contre une flotte dépourvue de tout moyen militaire et donc sans danger potentiel, est donc intentionnelle, et elle adresse un message à la communauté internationale d’une part -Israël agit sans respecter les limites du droit international-, ainsi qu’aux mouvements humanitaires et ONG diverses qui agissent par rapport au blocus de Gaza -elles sont considérées comme des cibles militaires, y compris loin du théâtre d’opérations, dès lors qu’elles entendent passer outre les desiderata du gouvernement israélien.

Deuxième choix implicite, celui de se mettre en situation de faire feu à balles réelles sur des militants sans armes. En effet, convenons d’un point important : Israël, qui dispose des services secrets les plus affutés du monde, avait nécessairement des espions sur les navires de la flottille, et notamment celui où il a été décidé d’agir. Ils savaient donc pertinemment à quoi s’attendre, et la thèse de la « surprise » ne tient pas la route une seconde. Ils savaient qu’il n’y avait pas d’armes à bord, et ils savaient aussi que des « moyens de rue » leur seraient opposés au moment du débarquement. Ils savent gérer ces situations dans les rues de Gaza face aux combattants du Hamas, alors a fortiori en pleine mer face à des militants de simples ONG. L’héliportage au compte gouttes des commandos a créé une situation d’affrontement durant laquelle « des soldats en difficulté pour leur vie » ont été légitimés pour user de leurs armes et tuer. Rien n’interdit de penser que cela n’avait pas été laissé au hasard !

Israël ne serait pas le premier État dit « démocratique » à user de violence préméditée pour étouffer dans l’œuf un mouvement aux conséquences politiques jugées trop lourdes sur le long terme. Parlons de la France, sans aller chercher plus loin, où l’actualité cinématographique récente a rappelé les milliers de morts de Sétif qui devaient, dans l’esprit des gradés, « terroriser » les nationalistes algériens. Avec le résultat que l’on sait … Les écologistes se souviendront du Rainbow Warrior, coup d’éclat meurtrier des commandos de l’armée française, mené pour « terroriser » ceux qui s’opposaient aux essais nucléaires de Mururoa ; ou même de la répression mortelle devant les grilles de la centrale nucléaire de Malville, un manifestant ayant été tué et plusieurs autres blessés, lors d’une simple manifestation en rase campagne qui menaçait le « choix stratégique » de l’État en faveur du nucléaire. Ou encore les opérations sanglantes de Nouvelle Calédonie -assassinat prémédité d’Eloi Machoro, carnage de la grotte d’Ouvéa- ; ou encore, pour finir cette évocation partielle, certains événements de Corse, au premier rang desquels ceux d’Aleria où le déploiement hors de mesure du dispositif militaro-policier avait pour objectif de « sécher » le mouvement nationaliste corse au moment du début de sa montée en puissance.

Dans tous ces exemples, pour reprendre le mot fameux de Charles Pasqua, l’État a agi sciemment « pour terroriser les terroristes ». Et c’est dans cet état d’esprit qu’Israël et ses dirigeants se sont comportés quand ils ont ordonné l’assaut au large, très au large de Gaza, sur une organisation non armée, mais dont l’action politique met en grande difficulté l’action de l’État hébreu.
En effet, le blocus de Gaza est devenu le point d’achoppement de toute politique, tant au Proche Orient que dans l’ensemble de la Méditerranée, et la mobilisation pour sa levée ne peut que croître dans les semaines à venir. En réagissant de façon radicale, Israël espérait sans doute étouffer dans l’œuf cette contestation internationale qui le gêne au plus haut point. Stratégie à haut risque qui aura connu exactement l’effet contraire : jamais l’État hébreu n’aura été autant condamné par les instances internationales et par les opinions publiques du monde entier, et le Hamas n’en demandait pas tant pour bénéficier d’un regain considérable de son crédit politique.

Les événements de ce lundi ne resteront pas sans conséquence. Le pouvoir actuellement en place à Tel Aviv devrait être le premier à en faire les frais. Et, plus que jamais, la nécessité d’une ouverture politique se fait ressentir dans le conflit israélo-palestinien. Sinon, le monde entier en pâtira.

François ALFONSI

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