Les Iles Canaries face à la crise du tourisme

6 avril 2010
Tenerife est une des grandes îles Canaries, archipel de sept îles appartenant à l’Espagne au large de l’Afrique, au cœur de l’Atlantique. Elle compte 900.000 habitants pour une surface qui est le tiers de celle de la Corse, sur un territoire dominé par le volcan Teide qui culmine à plus de 3.700 mètres, 1.000 mètres de plus que le Monte Cintu, et plus haute montagne d’Espagne y compris les Pyrénées. Tenerife accueille 7 des 12 millions de touristes qui chaque année choisissent les Canaries pour destination de leurs vacances. En Corse, ils sont trois millions chaque année.

La géographie vertigineuse des Canaries n’a rien à envier aux paysages de la Corse, tandis que son climat extraordinairement doux en fait une villégiature d’exception. Au mois de mars, les thermomètres affichent 30°C, et en plein mois d’Août, ils ne sont guère plus élevés car l’océan tempère le climat.
L’Espagne avait beaucoup misé sur le tourisme de masse du temps de Franco. Pour autant, aux Canaries, sans doute en raison du coût des transports avant que les low coast ne redessinent les routes du tourisme de masse en Europe, le standing des structures d’accueil n’est pas aussi dégradé que dans les destinations les plus fréquentées de la côte méditerranéenne espagnole.
La grande vague de promotion immobilière que l’on observe dans le plus grand pôle touristique de l’île date des années 80/90 durant lesquelles quelques villages d’une « rive sud » sont devenus une ville touristique (Costa Adeje) à côté de laquelle Purtichju est une aimable bourgade. Les résidences et les hôtels de luxe s’y empilent à l’infini, dans une débauche de béton effarante. Le long de la mer, les aménageurs ont quand même eu l’heureuse initiative de préserver une « promenade du littoral » qui est le véritable poumon attractif de la ville.

Pour le reste, les Canaries offrent un arrière pays fabuleux, avec des strates végétales variées et couvertes d’espèces endémiques, et ce volcan emblématique qui domine tout le paysage depuis ses 3700 mètres encore enneigés au mois d’avril.
Cet eldorado touristique est d’abord celui des promoteurs immobiliers qui ont débordé de projets sur des terrains littoraux qui, un peu comme en Corse, étaient avant l’avènement du tourisme les terres ingrates du territoire en raison du manque d’eau et de la pauvreté des sols. Ce grand boom a généré des fortunes qui se sont réinvesties dans des établissements touristiques toujours plus luxueux, tandis que la puissance publique accompagnait cet essor par des investissements largement subventionnés par l’Europe dans cette région ultra-périphérique éligible aux financements d’objectif n°1 et au programme POSEI qui permet une totale autonomie fiscale. L’autoroute flambant neuf qui traverse l’île, le centre de Congrès Magma remarquable dans sa conception et son exécution, l’usine de dessalement de l’eau de mer qui est devenue indispensable pour faire face à l’augmentation exponentielle de la fréquentation touristique, et bien d’autres : les investissements sont nombreux qui montrent l’ampleur des fonds européens dont a bénéficié le développement de l’île.

Et pourtant la crise est là, palpable à chaque signe. Tout d’abord le coût de la chambre proposée aux députés européens dans un établissement luxueux, au moins moitié prix que dans n’importe quel hôtel équivalent ailleurs en Europe. Puis les titres des journaux, au moment où le week-end de Pâques apporte la première vague de touristes, qui évoquent la saison 2009 comme catastrophique, ou encore les responsables rencontrés qui, chiffres à l’appui, font état d’une crise économique très grave. Car les clientèles majeures de l’archipel sont allemandes et anglaises. Cette dernière catégorie a eu son pouvoir d’achat « lessivé » par la crise économique qui a fait que la livre est passée de 1,50 euro à 1,10 euro désormais. Traduction concrète : le même salaire en livres vaut désormais 30% de moins en euros.

La demande touristique a donc reculé, et elle a franchi un seuil qui fait qu’elle est désormais inférieure à l’offre touristique en nombre de lits disponibles. Car, aux Canaries comme dans le reste de l’Espagne, le système bancaire s’est « mis à poil » pour financer la promotion immobilière. Et les grues encore largement disséminées dans le paysage montrent que ce n’est pas fini !
Ces structures actuellement « cassent les prix » pour remplir leurs chambres. Mais là encore il y a trompe-l’oeil car compléter le remplissage d’une structure dont le prix d’équilibre est 150 € avec des promotions à 50 € produit des effets pervers, et notamment le recul dans les clientèles les plus aisées qui finissent par chercher d’autres destinations mieux conformes à leur pouvoir d’achat. Si bien que l’économie « décroche », le chômage atteint des sommets car il faut licencier ou embaucher moins, les circuits économiques locaux ‘appauvrissent, et les low cost ne font qu’accompagner un déclin en amenant toujours plus de clients pour occuper à des prix non rentables des structures qui ne peuvent plus désormais financer leur standing, et qui donc perdent chaque année un peu plus de la partie la plus rentable de leur clientèle.

Le gouvernement canarien pallie autant que faire se peut ce cercle vicieux en développant des produits touristiques nouveaux, en s’appuyant notamment sur l’attrait de son espace naturel préservé par des parcs nationaux ou régionaux qui couvrent une large superficie du territoire. Mais, le pouvoir d’achat et les habitudes consuméristes étant ce qu’elles sont, ces efforts sont encore peu prisés par une clientèle qui, pour l’instant, ne voit les Canaries qu’à travers ses plages et son soleil.

En fait, ces observations amènent à une leçon économique simple en ce qui concerne le « pilotage » d’une économie touristique : il faut veiller sans cesse à ce que l’offre soit inférieure à la demande. Traduction concrète : la capacité d’accueil en lits doit être inférieure au potentiel de fréquentation, de façon à maintenir un niveau de prix suffisamment élevé sans risquer de manquer de clientèle pour remplir les structures existantes. Faute de quoi on enclenche le cercle vicieux de la dégradation économique et on s’expose à l’éclatement de la « bulle immobilière spéculative ».

C’est ce que les autorités canariennes ont compris désormais, mais trop tard. Toutes les subventions à de nouvelles structures immobilières ont été supprimées, et elles relancent un programme d’investissements publics importants pour amortir le choc dans un secteur de la construction qui est pléthorique sur l’archipel.

Et savez-vous quel est l’investissement phare programmé pour ces îles éloignées de tous les réseaux ? La construction de deux ports méthaniers à Tenerife et Gran Canarias pour remplacer les centrales électriques au fioul, polluantes et rejetées par la population, par des centrales au gaz naturel ! Il leur en coûtera dix fois plus cher qu’en Corse car ils n’ont pas l’opportunité d’un Galsi qui passe au large de leurs côtes. Mais eux, ils le font, tandis qu’EDF n’en finit pas de piéger la Corse avec son fioul lourd.
F.A

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3 commentaires

  • Alain dit:
     - 

    merci pour cet éclairage concernant ces îles ma foi très proches et dont on connait peu de choses.

    et bon éclairage sur le tourisme connecté ces dernières années

    Par contre je pensais que le Pic d’Aneto était (avec 3785 mêtres) le plus haut sommet des Pyrénées

    • Michael DELACOURT dit:
       - 

      Le pic d’Aneto dans les pyrénées espagnoles fait 3404 m et 3 478 m pour le mulhacen dans la Sierra Nevada espagnole. Donc le Pic de Teide sur l’île de Ténérife est bien le plus haut sommet d’Espagne avec ses 3718 m en 2012 !

  • Françoise DIETEL dit:
     - 

    Par hasard,à la recherche du moratoire programmé le 13.12.2012, au Parlement Canarien sur le thème d’une éventuelle possibilité( non soutenue par le cartel du Tourisme) des Particuliers à avoir le droit de louer leurs biens aux touristes comme dans l’U.E,je suis » tombée »sur votre article.Il faut que vous sachiez que, sur les îles Canaries,il a été ressorti un règlement communément ignoré de 1995, non appliqué depuis 10 ans,sans licence distribuée, pour être en règle, depuis 2002, dont personne ne parle mais qui sanctionne bon nombre de propriétaires qui louent leurs biens à des touristes.Ces propriétaires sont eux aussi, pris dans la crise et ces locations leur permettent de rembourser leurs prêts ». « Cette ligne dure » de la contravention-surprise pourrait bientôt s’appliquer aux villas de Majorque,Ibiza,Minorque avec des amandes très, très conséquentes ou la confiscation des biens. Les locations touristiques restent un monde à part, un monopole de « grandes familles canariennes » comme ça a été longtemps le cas pour les magasins jusqu’à ce que de grandes firmes aient les moyens de faire le forcing, comme « Carrefour » et s’installer; ce qui est impossible pour les petits propriétaires .
    La Cour Européenne des Droits de l’Homme, doit comme les particuliers propriétaires, aujourd’hui, tout ignorer de ce grave problème, pour » avoir choisi les Canaries pour destination de leurs vacances ».
    SVP, de nombreuses personnes sont concernées par cette loi obsolète et deviennent victimes, pouvez-vous soulever ce problème anormal et pousser à ce qu’une solution juste, européenne soit trouvée et vite appliquée?
    J’ai lu: »Beaucoup de propriétaires britaniques de maisons de vacances ne sont pas conscients des amendes comme elles ont été envoyées à leur adresse espagnole. S’ils ne répondent pas leurs propriétés peuvent même être vendues aux enchères pour payer l’amende ». http://www.dailymail.co.uk/news/article-2166981/Britons-facing-15-000-fines-canari…16/10/2012. !!! Les Propriétaires canariens sont logés à la même enseigne! La location n’est permise que vis à vis des résidents, c.a.d. des gens qui sont inscrits au registre des impôts.

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