Pour ou contre la contribution Climat-Energie

31 décembre 2009
La contribution climat-énergie (CCE), incluse dans la loi de finances 2010, suscite débats et interrogations. Elle représente une chance pour les uns, un handicap supplémentaire pour les autres. Quelles en seront les répercussions sur les ménages français et les entreprises ? Réponses sous forme de face à face avec Claude Allègre, dans l’Abécédaire des Institutions.

Environ 4 milliards d’euros pour « l’impôt écologique », qui devrait être entièrement redistribué aux ménages les plus démunis. N’est-ce pas un peu la montagne qui accouche d’une souris ?
Sandrine Bélier:
D’abord, il faut préciser que la taxe carbone que l’on nous propose aujourd’hui n’est pas la contribution climaténergie portée pendant le Grenelle de l’environnement. Par exemple, alors que tous les rapports d’experts, ou presque, préconisaient une taxation a minima de 32 euros la tonne de CO2, le gouvernement français s’est aligné sur 17 euros. Nous sommes loin de pouvoir garantir une mesure efficace et incitatrice de changement de nos comportements en matière de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre et d’économies d’énergie. On pourrait imaginer que c’est un premier pas vers la transformation de notre fiscalité. Mais c’est un si petit pas qu’il ne nous garantit rien. Il n’assure même pas l’expression d’un choix politique volontariste, moderne, raisonnable et nécessaire. Oui, la montagne a accouché d’une souris de labo…
Claude Allègre: C’est exactement cela. C’est faire une taxe tout en la défaisant !

L’objectif affiché – changer les comportements des Français – va- t-il avoir une véritable incidence sur les ménages?
S B:
Les études réalisées par l’ADEME sont sur ce point très sceptiques : elles attestent que le taux et le système de redistribution retenus dans la loi de finances n’auront en fait que très peu d’impact sur le comportement des ménages français. Mon analyse, aujourd’hui, est que le gouvernement est passé à côté des objectifs. Cela jusque dans l’accompagnement de la mise en oeuvre et de l’acceptation de la mesure par les citoyens, en ne l’envisageant pas sérieusement et en pervertissant une contribution climat-énergie qui se voulait équitable écologiquement et socialement. Il faut garder à l’esprit que ce sont les plus démunis qui sont déjà et seront les premiers touchés par l’augmentation du coût énergétique laissé à la loi du marché ; ce sont eux aussi qui seront les premiers touchés par les effets du dérèglement climatique. En plus de ne pas permettre d’inciter véritablement les ménages les plus aisés à réduire leur consommation énergétique, il manque la dimension de « solidarité » dans la mesure proposée.

Si l’on prend l’exemple des transports, l’un des deux plusgros émetteurs de CO2, qu’est-ce que cela changera ?
C A:
Rien. C’est une posture. Si demain il y a des substituts comme la voiture électrique dans les transports, cette taxe prendra un sens. Actuellement, c’est une taxe inutile, de l’ordre du symbole.
S B: Ce qu’induit ici la taxe est une augmentation de 4 à 5 centimes du litre d’essence ou de gazole, soit une hausse dix fois inférieure aux seules répercussions des fluctuations du cours du pétrole durant ces deux dernières années. Une redistribution prenant en compte les revenus, la situation géographique, les alternatives au transport individuel, mais aussi la progressivité de la taxe aurait été souhaitable et plus efficace. Je reste intimement convaincue que mieux pensée et mieux préparée, la CCE est une mesure qui peut offrir une vision à long terme permettant à chacun de se préparer aux changements et de les anticiper. Cela vaut pour les ménages, mais aussi pour les entreprises et les collectivités qui pourraient s’inscrire dans des logiques d’investissements gagnantes à
moyen et à long termes.

Pourquoi taxer l’électricité alors que «l’énergie nucléaire est un élément important de notre lutte contre le changement climatique« selon Andris Piebalgs, commissaire européen?
CA:
Ceux qui veulent taxer l’électricité sont des adversaires de l’énergie nucléaire tout simplement ! Ils sont pour le retour en arrière en matière de développement. Cette position est très révélatrice des véritables objectifs des écologistes militants.
S B: J’ai d’autres références, comme Bernard Devin (chercheur au CEA) et beaucoup d’autres experts dans le domaine énergétique qui ont démontré que le nucléaire ne sauvera pas le climat…et que la promotion du nucléaire, notamment en France, répond à des impératifs commerciaux davantage qu’à la poursuite de l’intérêt général. En excluant la production électrique de l’assiette fiscale, le gouvernement français encourage notamment le recours au chauffage électrique, légitime sa politique « nucléairophile » et préserve ses centrales qui font appel au gaz et au charbon pour répondre aux pointes de la demande électrique! C’est une aberration sociale et écologique, notamment au regard de l’impératif d’efficacité et de sobriété énergétiques.

En taxant tous les produits, ne risque-t-on pas d’affecter notre compétitivité économique, sachant que, pour l’instant, peu de pays l’appliquent ?
C A:
Bien sûr que si, et ce n’est pas le moment!
S B: Non. Prenez les pays d’Europe du Nord : ils appliquent des taxes carbone particulièrement élevées sans que cela n’affecte leur compétitivité. Ne nous trompons pas : cette taxe est un outil fiscal et financier qui
doit se substituer et non s’ajouter à d’autres. Il n’a donc rien de pénalisant, bien au contraire. C’est une chance pour nos entreprises et l’emploi et non un handicap. Favoriser la conversion écologique de notre pays lui permettra de se placer à l’avant-garde technologique, donc de marquer des points dans un contexte international économique particulièrement concurrentiel. N’oubliez pas que l’innovation est au coeur de toute réussite économique et qu’aujourd’hui l’écologie est à la base de toute innovation. Notre compétitivité économique de demain dépend de notre valeur ajoutée à penser une économie sociale et écologiste. La préoccupation environnementale ne peut relever uniquement de la stratégie nationale.

Pourquoi ne pas avoir une taxe carbone au niveau européen ?
C A: Naturellement ! La taxe carbone doit être une taxe mondiale ou, à la rigueur, européenne.
S B: Des propositions ont été faites en ce sens, mais elles se heurtent encore à un obstacle majeur, le principe de subsidiarité : la compétence fiscale relève encore de la compétence des gouvernements nationaux. Mais les choses évoluent : un nombre croissant d’Etats réfléchissent à la question, et la Commission européenne a mis à l’ordre du jour de son agenda 2010 la refonte de la fiscalité énergétique, afin de l’accorder avec les objectifs climatiques de l’Union.Avec, entre autres projets, l’obligation faite aux Etats membres de prélever une taxe CO2 sur le chauffage et les carburants, qui ne figurent pas dans le système contestable et dépassé de quotas d’échange de carbone. Mais j’ouvre là, un autre débat…

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