Tribune / Reconnaître l’écocide au même rang que les crimes contre l’humanité

Alors qu’une proposition de loi sur l’écocide était débattue à l’Assemblée nationale, une soixantaine de responsables politiques et d’intellectuels appellent, dans une tribune publiée par Libération, à inscrire le phénomène de criminalité environnementale dans le droit français. Nous étions plusieur·e·s à co-signer ce texte.

Les rapports s’accumulent et le constat reste toujours le même depuis des décennies : notre environnement va mal et son cas continue à s’aggraver année après année. De nombreux écosystèmes clés se dégradent, la biodiversité rentre dans une sixième extinction de masse, les projections climatiques ne cessent de s’aggraver avec aujourd’hui des prévisions de hausse de 7°C d’ici 2100 par rapport à l’ère préindustrielle. Selon le dernier rapport du groupe d’experts de l’ONU sur la biodiversité, 75% de l’environnement terrestre a été «gravement altéré» par les activités humaines et 66% de l’environnement marin est également affecté.

Peu à peu, nous dépassons, l’une après l’autre, les limites planétaires déterminées par les scientifiques. En malmenant notre environnement de la sorte, c’est tout l’équilibre de la planète qui menace de s’effondrer. Sa sauvegarde doit devenir un impératif quotidien, imposable à tous, et les actes qui vont à son encontre doivent être sanctionnés à la hauteur des fautes commises.

Alors que l’ensemble des systèmes écologiques de la Terre est plus vulnérable que jamais, nous assistons aussi à la recrudescence d’une criminalité environnementale qui prospère à travers le monde et profite d’une trop grande impunité. Le mépris des règles de prudence, du devoir de vigilance et du principe de précaution peut permettre à certains de dégager des profits économiques considérables au détriment des écosystèmes. C’est ce constat qui a mené une diversité de juristes à promouvoir l’idée d’une incrimination pénale d’écocide.

Montant dérisoire des sanctions

Ecocide signifie littéralement «tuer la maison». Après avoir été initialement forgé pour condamner la destruction américaine de la forêt au Vietnam par l’utilisation massive de l’Agent orange, le concept d’écocide a été popularisé par l’avocate britannique Polly Higgins dans l’ouvrage Eradicating Ecocide écrit en réaction à l’affaire DeepWater Horizon, la plateforme pétrolière de BP qui a sombré au large du Mexique en avril 2010. Depuis, l’écocide renvoie à l’ensemble des crimes les plus graves commis contre l’environnement en temps de paix comme en temps de conflits et qui portent directement atteinte à la sûreté de la planète. Une dizaine de pays ont déjà reconnu l’écocide, comme le Vietnam qui l’a inscrit en 1990 de manière pionnière dans son code pénal en le définissant comme «un crime contre l’humanité commis par destruction de l’environnement, en temps de paix comme en temps de guerre». Pourquoi pas la France ?

D’aucuns défendent que l’arsenal législatif existant permet déjà de protéger efficacement notre environnement, que des dispositions permettent déjà de sanctionner les actes préjudiciables pour l’environnement. Assez dissuasif, assez complet, nous dit-on. Certes, des mesures et des contraventions existent et sont prévues pour répondre aux incivilités les plus communes. Oui, il existe aussi des sanctions administratives à l’encontre de certaines entreprises coupables de délits polluants ou d’infractions déjà inscrits dans le code de l’environnement. Toutefois, il suffit de regarder le montant dérisoire des sanctions pour se rendre compte rapidement du manque de crédibilité de notre droit pour dissuader les actes les plus dommageables.

Après avoir pollué plus de 400 km du littoral français et déversé des milliers de tonnes de fioul dans l’océan à la suite du naufrage de l’Erika en 1999, quelle fut l’amende infligée à Total ? 375 000 euros. Une goutte d’eau dans l’océan par rapport aux dégâts encore visibles aujourd’hui. C’est ce même montant que risque de payer Vinci pour avoir déversé délibérément de l’eau bétonnée directement dans la Seine pendant plusieurs mois. Est-ce donc là des sanctions à la hauteur des fautes commises ? Assurément non…

Retrouvez la tribune complète et la liste des signataires sur le site de Libération.

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