12 raisons de s’opposer au CETA

Depuis quelques temps, l’accord transatlantique entre l’Union européenne et les États-Unis (TTIP ou TAFTA) est sous le feu des projecteurs. Le groupe des Verts/ALE au Parlement européen travaille pour faire connaitre les menaces qu’il fait peser pour les citoyens des deux côtés de l’Atlantique et la mobilisation croît. Mauvaise nouvelle, un autre accord transatlantique, l’accord commercial avec le Canada (ou CETA), soulève des préoccupations similaires mais est à un stade plus avancé car il sera bientôt soumis au vote du Parlement européen. Voici quelques raisons pour lesquelles nous appelons à la mobilisation contre cet accord.

 
1. Une opacité encore plus grande que dans les négociations du TTIP

Le tollé public suscité par le secret entourant le TAFTA a forcé la Commission européenne à rendre publics des documents de négociation classifiés et à mettre en place des salles de lecture pour les parlementaires européens et nationaux en Europe. Si nous voulons que la Commission fasse davantage sur le TAFTA en terme de transparence, force est de constater qu’elle a œuvré dans la plus grande opacité sur le CETA. Avant même qu’un accord ne soit trouvé entre les États concernés et en coulisses, la prédominance du lobbying des entreprises a modelé ces accords afin qu’ils bénéficient aux multinationales les plus puissantes au monde. La culture de l’opacité est néfaste à l’exercice de la démocratie, les accords de libre-échange comme le CETA ne font pas exception à cette règle.

2. Des « tribunaux » privés minant notre démocratie

Le CETA et le projet Tafta comprennent un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs privés et États. Ils instaurent de fait une nouvelle juridiction supranationale, privée, parallèle, qui contourne les juridictions nationales et fédérales publiques. Toute entreprise peut y contester la décision d’une collectivité locale, d’un État ou de l’Union européenne, si elle considère que cette décision remet en cause ses bénéfices, présents ou à venir, et réclamer des millions voire des milliards d’euros de dédommagement. Cette menace permanente sur les États et leurs collectivités est une machine infernale à construire du moins disant réglementaire et de l’impuissance politique.

Le CETA instaure donc une nouvelle juridiction qui contourne les juridictions nationales pour attaquer en particulier les décisions publiques en faveur de la santé et de l’environnement. Comme le groupe canadien Lone Pine qui utilise sa filiale dans l’État du Delaware (l’un des paradis fiscaux américains) pour attaquer la Province du Québec. Les contribuables québécois se voient réclamer plus de 100 millions de dollars car la Province a mis en place un moratoire sur l’exploitation des gaz de schiste par fracturation hydraulique.

Face à la contestation massive, la Commission a engagé des réformes de ce mécanisme qui sont comprises dans le CETA. Elles réduisent les conflits d’intérêt qui touchent massivement les arbitres, sans que ces derniers ne deviennent pour autant des magistrats. Mais elles ne doivent toutefois pas faire illusion et nous faire prendre des couteaux de boucher pour des couteaux à beurre : qu’on l’appelle règlement des différends investisseur-État ou système juridictionnel sur l’investissement, ce mécanisme crée une justice parallèle qui arbitre sur le seul fondement du droit commercial. Sans une seule fois justifier l’utilité d’une telle rupture dans l’ordre juridique entre l’Europe et l’Amérique, sans qu’aucune étude économique n’ait réussi à démontrer de corrélation positive entre le mécanisme de règlement investisseur-État et les volumes d’investissement.

À travers ce dispositif, ce ne sont pas seulement les firmes canadiennes qui impacteront les politiques publiques européennes, mais aussi les 40 000 firmes américaines disposant de filiales au Canada. En 1998, pour ces raisons, Lionel Jospin, alors Premier Ministre, avait mis fin à la négociation de l’accord multilatéral sur l’investissement.

3. Un voyage en terre inconnue pour les services publics

Nous entrons ici en terres inconnues. Pour la première fois, l’UE a négocié un accord commercial avec une « liste négative » pour les services. Cela signifie qu’à moins que les gouvernements européens excluent explicitement un service de la négociation, tous les services, y compris de nouveaux services publics à venir, seront automatiquement ouverts à la concurrence des fournisseurs de services étrangers. Des clauses au nom très jargonneux, telle que la clause de « statu quo », qui gèle la législation au moment de la signature de l’accord, ou encore la clause dit de « cliquet », qui empêche de revenir sur la libéralisation d’un service, créent un risque majeur pour les services publics locaux et nationaux. Il faut mesurer l’impact d’un tel accord sur les services publics : faire revenir un service sous le contrôle public devient mission quasi-impossible et sera très coûteux. D’ailleurs, la Fédération européenne des syndicats des services publics est vent debout contre cet accord.

4. Notre santé bradée au profit des intérêts du secteur pharmaceutique

Le CETA renforce le droit de la propriété intellectuelle en particulier sur les brevets pharmaceutiques réduisant la disponibilité au Canada des médicaments génériques : les profits des firmes contre la santé publique ! Le coût des médicaments pourrait augmenter de 13 % pour les Canadiens et grever les comptes de l’assurance-maladie de plus d’un milliard de dollars par an. Des accords comme le CETA entravent également les gouvernements européens qui souhaitent favoriser les génériques et réduire la durée des brevets à l’heure où pourtant il est urgent de pouvoir faire baisser les coûts de soins de santé pour certains traitements en particulier.

5. Le cheval de Troie d’une nouvelle offensive des biotechnologies

La position de l’Europe sur les aliments génétiquement modifiés est une pomme de discorde importante avec nos amis nord-américains depuis de nombreuses années comme en témoignent les nombreux litiges devant l’Organisation mondiale du commerce. L’organisation « Food Secure Canada » note que le groupe CropLife Canada, ouvertement pro-CETA, se réjouit de la perspective de l’établissement d’« un groupe de travail sur les biotechnologies afin de raccourcir les délais pour l’approbation, dans l’UE, de cultures génétiquement modifiées, de renforcer la règlementation fondée sur la science [comprendre la science « officielle » des entreprises commercialisant ces produits] et de réviser le niveau minimum d’OGM présents dans les produits non-OGM importés ». Si la législation européenne n’est pas remise en cause explicitement, on donne tous les moyens à l’industrie de l’affaiblir et d’accentuer toujours plus sa pression sur les processus décisionnaires européens.

6. Un prix fort à payer en termes de concessions législatives européennes

Une victime surprise du Ceta, qu’on ne trouve pas dans le texte de l’accord, est la réglementation européenne en matière de pollution des carburants. La directive « qualité des carburants » est un outil important de réduction de nos émissions de CO2. Avant la conclusion du Ceta, celle-ci devait attribuer des émissions de CO2 20 % plus élevée pour les carburants canadiens issus des sales sables bitumineux du pays. Trois semaines après la conclusion des négociations en 2014, quand la Commission décide enfin de légiférer, cette disposition a disparu ! Une nouvelle qui tombe alors à pic puisque quelques jours plus tard, le Président Hollande débutait son voyage officiel au Canada en Alberta, pour soutenir les investissements du groupe Total dans ces hydrocarbures très polluants. Des preuves suggèrent que le Canada a fait pression pour diluer la portée et l’impact de cette législation sur son industrie des énergies fossiles en utilisant le CETA comme levier. Cette négociation clandestine sur les sables bitumineux sales révèle la vraie nature de ce type d’accords commerciaux, dont l’objectif est de sacrifier les normes sur l’autel du profit.

7. Une sape méthodique des économies locales

Le CETA s’attaque aux règles qui visent à bénéficier aux communautés locales et aux municipalités. L’UE a plaidé, avec succès malheureusement, pour l’élimination par les Canadiens de leurs programmes d’achat locaux « qui assurent des emplois locaux » selon le Conseil des Canadiens. Le Power Group Mesa, une société d’énergie détenue par le milliardaire texan T. Boone Pickens, réclame 775 millions de dollars (environ 523 millions €) à la Province de l’Ontario pour sa loi sur l’énergie verte de l’Ontario conçue pour donner un accès préférentiel aux opérateurs de parcs éoliens locaux. La Commission européenne fait valoir que ces lois sont discriminatoires et agissent comme des «barrières de localisation au commerce ». Mais nous pensons que les efforts pour soutenir les entreprises locales sont essentiels à la création d’économies locales robustes et dynamiques.

8. Le nivellement par le bas des offres de marchés publics

La libéralisation des marchés publics est l’un des sujets majeurs des accords transatlantiques, puisqu’ils représentent autour de 17 % des PIB des pays concernés et échappent encore à l’hyper-libéralisation. En Amérique du Nord, les marchés publics sont beaucoup moins ouverts à la concurrence internationale que les marchés publics européens, les plus libéralisés du monde.

Au Canada, les autorités locales et nationales ont beaucoup utilisé la préférence géographique pour favoriser les entreprises locales. Ainsi, l’Ontario a privilégié les fournisseurs locaux d’énergies renouvelables pour favoriser l’emploi local dans sa politique de transition énergétique De son côté, l’UE a choisi un modèle d’ouverture unique au monde. Confrontée à un déficit d’investissement et à un chômage massif, l’Union européenne devrait s’inspirer du modèle nord-américain pour établir un « Buy European Act » et accompagner les progrès réalisés en matière de prise en compte de critères de durabilité par une capacité à privilégier les PME et les entreprises locales. Or, ce n’est pas du tout l’option défendue ni dans le CETA ni dans le TAFTA, la question de la préférence géographique, celle de la durabilité ou des critères sociaux ne sont pas prises en compte dans le CETA.

Au contraire, dans le CETA, les contrats peuvent être attribués à « l’offre la moins chère » ou la « le plus avantageuse ». Cette expression de « la plus avantageuse » ne requiert pas nécessairement des entreprises d’envisager la durabilité écologique ou d’autres facteurs d’intérêt public. Le CETA restreint également l’amélioration future de la législation européenne sur les marchés publics en nous liant aux critères définis contenu dans le CETA. Lors de la dernière révision de la directive sur les marchés publics, les gouvernements locaux avaient demandé que les seuils pour les appels d’offres ouverts soient relevés afin d’avoir une plus grande liberté pour accorder des marchés aux bénéficiaires locaux.

Cette demande a été rejetée par la Commission au motif que les accords internationaux nous contraignaient à respecter les seuils existants. CETA, comme d’autres accords commerciaux, freine notre capacité à redéfinir et améliorer les outils que nous utilisons pour atteindre des objectifs importants de politiques publiques.

9. L’impasse sur les droits des travailleurs et sur l’environnement

A contrario de la logique des droits exclusifs donnés aux investisseurs étrangers, le CETA ne comprend pas de règles contraignantes pour protéger et améliorer les droits des travailleurs et la protection de l’environnement. La Confédération des syndicats allemands (DGB) a critiqué cette absence en appelant à ce que « les chapitres sur les droits des travailleurs, la protection de l’environnement et le développement durable durable [soient] conçus comme exécutoires au même titre que le reste de l’accord », mais le texte final n’est pas à la hauteur de ces exigences.

10. La mise à mort des petits paysans

Le Canada devra reconnaître 175 indications géographiques européennes (les fameuses AOC et AOP) qui sont autant de valorisation de nos terroirs. Tant mieux pour celles qui ont été retenues mais quid des 1 300 qui passent à la trappe ? Cette discrimination est inacceptable et probablement illégale.

Surtout, le Ceta permettra au Canada d’exporter 65 000 tonnes de bœuf et 75 000 tonnes de porc. Même sans hormones mais bourré d’antibiotiques et mal traité, le bœuf canadien contribuera à anéantir un peu plus nos bassins allaitants et la pérennité de nombreuses races bovines. À l’heure où les agriculteurs européens victimes des prix bas agricoles en particulier en Irlande, France et au Danemark sont particulièrement exposés à ces nouvelles exportations, cet accord signe la mise à mort des paysans. En tant qu’écologistes, nous estimons qu’il n’est pas possible d’obtenir l’assurance que ce bœuf canadien soit certifié sans hormones et qu’il puisse être soumis à des contrôles. La pertinence de faire expédier des tonnes de viande d’un côté de la planète à un autre est également très discutable, notamment en ce qui concerne l’atteinte de nos objectifs de réduction des émissions de CO2.

11. La dissuasion massive contre la lutte contre dérèglement climatique

L’accord historique sur le climat conclu à Paris en 2015 appelle les gouvernements à entreprendre de très importantes réformes dans l’objectif de réduire les températures mondiales « bien au-dessous » de 2 degrés.

Pourtant, les dispositions favorables à l’industrie dans les accords commerciaux comme le CETA réduisent la marge de manœuvre réglementaire dont les gouvernements disposent pour agir. En particulier, les derniers cas d’ISDS récents impliquant le Canada ont montré que les décisions législatives de protection de l’environnement sont systématiquement attaquées par l’industrie des énergies fossiles. L’entreprise de l’oléoduc TransCanada a demandé 15 milliards de dollars en compensation aux contribuables états-uniens dans le cadre de l’ALENA, l’accord commercial qui lie le Canada, le Mexique et les États-Unis suite à la suite de la décision d’Obama d’annuler le projet de pipeline Keystone XL. Les entreprises des énergies fossiles demandent à être indemnisées suite à la décision canadienne d’un moratoire sur la fracturation (Lone Pine vs Canada) et contre les dispositions prévues dans la loi sur l’économie et l’énergie vertes de l’Ontario (Mesa Puissance vs Canada 2011).

De nouvelles recherches suggèrent que le gel des nouvelles législations dans ce secteur est devenu l’objectif principal de l’utilisation de l’ISDS par les investisseurs : « lorsque le but d’une attaque ne consiste pas tant à gagner le différend ou obtenir une indemnisation, qu’à dissuader de règlementer davantage ».

12. Haro sur la démocratie et l’état de droit

Le CETA contient plusieurs mécanismes qui peuvent limiter de façon conséquente le pouvoir des élus et des citoyens à légiférer.

Le mécanisme de coopération règlementaire (même optionnel) contenu dans CETA crée un forum légal pour évaluer a priori et sur la base du commerce les propositions de normes, et institutionnalise le lobbying des grandes entreprises à travers des comités d’experts (ex: OGM) ou comité consultatif avant même que le législateur ne prenne connaissance du texte. De son côté, la clause de statu quo qui gèle la législation dans un certain nombre de secteurs au moment de l’accord empêche l’émergence de nouvelles législations en particulier dans des secteurs où beaucoup reste à faire (environnement, climat, sécurité alimentaire, protection des données etc.).

Enfin, à travers l’ISDS/ICS, compte tenu de la présence massive de filiales de groupes américains au Canada (40000), la ratification du CETA conduit de fait à adopter un accord d’investissement avec les États-Unis. Les groupes américains avec une filiale au Canada pourront attaquer les autorités publiques à travers toute l’Europe et ce sans même attendre la fin des négociations sur le TAFTA.

Toutes ces dispositions incluses dans le CETA contribuent à affaiblir drastiquement notre capacité à créer de la réglementation pour mettre en œuvre des choix de société décidés pourtant par les citoyens et leurs représentants.

Du côté des Canadiens également, la société civile est mobilisée contre ect accord. La preuve en image avec cette vidéo de l’organisation citoyenne « Conseil des canadiens ».

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3 commentaires

  • Cesar dit:
     - 

    Après la lecture de cet article je ne peux qu’être opposé aussi à cet accord avec le Canada. Mais que pouvons nous faire en tant que citoyens, telle est la question !

    • thorel dit:
       - 

      Vous pouvez militer dans les organisations qui s’y opposent !
      Seuls les collectifs peuvent peser sur les décisions ! les citoyens isolés ne peuvent s’exprimer que tous les 5 ans et leur information est formatée par les médias ..financés par les grands groupes !

  • philippe henno dit:
     - 

    tout a fait d’accord avec les 12 raisons èvoquèes ci contre

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