Bruxelles jalouse la politique de paix de la Turquie

11 juin 2010
Par Hélène Flautre, Co-présidente de la Commission Parlementaire Mixte UE-Turquie. Publié dans Zaman France – édition du 11 au 17 juin 2010
J’ai été tellement surprise par l’assaut de la flottille d’aide humanitaire à la bande de Gaza que je n’ai pas pu m’empêcher de me demander encore et encore : « pourquoi ? » La société civile était dans une action légitime en voulant condamner le blocus illégal de la bande Gaza et en lui fournissant une aide humanitaire d’urgence. L’assaut de la flottille humanitaire de la liberté est à mon sens clairement une violation du droit humanitaire international. Je suis tout à fait pour l’initiative visant à mettre un terme à l’isolement économique, social et politique d’ 1,5 million de personnes. J’aurais pu faire partie de ce mouvement, comme j’ai réussi à entrer dans la bande de Gaza en janvier 2009 avec quelques collègues afin de lutter contre la censure et de témoigner des conditions de vie à Gaza; ainsi que des conséquences de l’incursion illégale de l’armée israélienne au cours de l’opération « Plombs durcis ».

Pourquoi Israël s’en est-il pris à une initiative purement pacifique en utilisant des méthodes aussi violentes? Est-ce une pure coïncidence que ce bain de sang ait ciblé le navire turc? Quelles seront les conséquences de cette action sur les relations turco-israéliennes et sur le processus de paix dans la région? Quels seront ses effets sur la politique extérieure turque, sa position sur l’axe Est-Ouest et son processus d’adhésion à l’UE? Comment doivent réagir l’Europe et le monde?

Ces questions se posent non seulement en Turquie, mais aussi en Europe, et elles sont actuellement débattues avec véhémence au sein de la société. Permettez-moi de répondre à ces questions une par une et de commencer avec les deux premières questions qui sont les plus débattues. Le monde, et même le public israélien, arrivent difficilement à trouver un sens à cette opération militaire, qui s’est avérée désastreuse. Un certain nombre de scénarios, simples ou plus élaborés circulent dans ce sens. Suggérant qu’Israël a été assez « stupide » pour lancer l’attaque, d’autres soutiennent que son but réel était de torpiller l’initiative turco- brésilienne et de délibérément montrer que la Turquie se positionne aux côtés du Hamas. Ce que les données techniques, le déroulement et le moment du « débarquement militaire » nous disent est qu’ils n’étaient pas destinés à dire aux bateaux « veuillez changer de direction », contrairement aux déclarations de l’armée israélienne. Personne n’envoie des commandos entraînés à tuer, à quatre heures du matin pour livrer ce message. D’après les données en main, les dirigeants du « débarquement » ne s’attendaient à aucune résistance. Ils pensaient pouvoir réaliser cela sans heurts et sans problème. Les politiciens qui ont donné cette mission aux soldats n’avaient peut-être pas prévu ce résultat, mais ils n’ont apparemment pas pensé à la façon de l’empêcher si cela devait arriver. Les soldats affectés à cette mission n’étaient pas des officiers de police que l’on retrouve lors des manifestations mais des soldats entrainés à tuer lorsqu’ils sont face à un problème. Ils ne se sont donc pas repliés pour revenir plus tard, ce qui a donné lieu à ce résultat désastreux.

Une stratégie pas plus fondée qu’élaborée

En d’autres termes, il n’est pas possible de trouver une stratégie qui soit fondée ou élaborée derrière cette attaque. Il s’agit plutôt de la méthode habituelle qu’Israël applique contre les Palestiniens. Cette méthode est cette fois-ci employée contre des centaines de personnes qui tendaient le bras à la liberté. Ainsi, le monde a eu l’opportunité de voir cette méthode – à travers laquelle Israël a tué des hommes, des femmes, des enfants, des civils, sans faire de distinction pendant des décennies – s’appliquer à ses propres citoyens qui ne sont en aucun cas des « terroristes ». La paix n’arrivera malheureusement pas si cet état d’esprit qui hante Israël, le poussant à percevoir les Palestiniens comme des terroristes ou des terroristes potentiels, ne change pas. La dimension iranienne de la question n’est pas en lien direct avec ce qui s’est passé à bord des navires, même si la perception qu’a Israël de la Turquie a récemment changé dans ce contexte. Je reviendrai sur cette question, mais je voudrais me pencher sur les relations israélo-turques et la question palestinienne.

Le fait que le ministre des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu qualifie l’incident d’un 11 septembre turc est suffisant pour mettre en lumière son importance et sa gravité en termes de relations turco-israéliennes, même si cela semble être une sur-dramatisation pour beaucoup. Le fait que 14.000 citoyens israéliens aient annulé leurs vacances en Turquie le jour de l’incident indique qu’Israël a perdu un pays ami situé à quelques centaines de kilomètres de lui. Les liens israélo-turcs ne seront guère plus ce qu’ils ont été dans le passé sans la paix en Palestine. En effet, la question palestinienne n’est plus une politique gouvernementale, elle est devenue un problème de politique intérieure de la Turquie. La question n’est pas liée à l’AKP (parti de la justice et du développement), mais elle l’est étroitement à la politique régionale de la Turquie et à la sensibilité de son public. Si seulement l’opinion publique européenne et mondiale pouvait se concentrer sur la question palestinienne et contribuer à la paix dans la région. Il est réconfortant, dans ce contexte, de voir que le Conseil de sécurité des Nations-Unies a condamné l’incident avec le soutien des États-Unis grâce au lobbying diplomatique turc, même si j’aurais préféré une enquête internationale, puisque nous savons que les termes enquête impartiale et Israël sont contradictoires.

En fait, cet incident est le résultat naturel de la politique turque de « zéro problème » et de paix dans la région, et il met en lumière les profondes contradictions et tensions qui existent entre la Turquie et l’Israël vis-à-vis de la question palestinienne. Il y a dix ans, en Turquie, il n’y avait pas autant de personnes qui se sentaient concernées par la question palestinienne qu’il y en a aujourd’hui. Les gouvernements précédents n’auraient pas permis de telles initiatives de paix et l’on n’aurait pas rencontré les tensions et les problèmes actuels. C’est parce que la Turquie n’a pas eu de politique étrangère active et productive à l’égard de la question palestinienne, comme cela fut le cas pour de nombreuses autres questions. La Turquie estime que cette paix en Palestine est vitale pour sa propre économie et pour la paix dans la région, et exerce des pressions pour que cela se réalise. La Turquie voit Israël, qui insiste sur le maintien d’une politique d’occupation et de répression en Palestine comme le plus grand obstacle à la paix. En fait, ce fait a de nouveau été exposé à l’attention du grand public avec la dernière offensive de Gaza qui a coûté la vie à 1.500 personnes, dont la plupart était des civils. Cette évaluation est de plus en plus acceptée par le grand public européen. Par conséquent, on peut dire que la tension entre la Turquie et Israël découle des politiques des deux pays, qui sont radicalement différentes par rapport à la région: l’une recherche la paix, tandis que pour l’autre c’est la guerre.
Cette contradiction est également visible en ce qui concerne la question iranienne, qui représente un problème fondamental entre Israël et la Turquie. En Israël, il y a un gouvernement de coalition qui croit en la nécessité de sanctions militaires contre l’Iran. On peut même affirmer que le seul point sur lequel MM. Netanyahu, Barak et Lieberman sont d’accord, bien qu’ils représentent tous des discours politiques différents, est la politique iranienne. Alors que cette coalition fait valoir que des sanctions militaires doivent être imposées à l’Iran, la Turquie a du mal à trouver une solution diplomatique à la question des armes nucléaires et à empêcher la politique de Bush en Irak – laquelle s’est révélée désastreuse sous tous les aspects – à être mise en œuvre pour l’Iran. Par essence, la Turquie et Israël ne pensent pas très différemment concernant l’Iran et les armes nucléaires. Ce qui différencie les deux pays est la « méthode » employée dans la prévention de l’armement nucléaire. Israël estime que l’Iran veut avoir la technologie nucléaire à des fins militaires, et non comme source d’énergie. Bien que ce point de vue ne puisse pas être considéré comme fondamentalement faux, la méthode militaire n’apportera pas une solution, mais constitue une menace pour la paix dans la région et peut alimenter de nouveaux problèmes. Aussi inquiet que puisse être Israël au sujet d’un Iran nucléaire, la Turquie cherche la solution dans des politiques diplomatiques et d’embargo, comme elle l’a fait avec le Brésil. Je dois dire que je crois que ces deux pays ont créé une importante opportunité pour la paix qui ne doit pas être gâchée. L’UE doit faire tout ce qui est en son pouvoir afin d’optimiser le potentiel politique d’un tel accord, étant la seule initiative existante en faveur du dialogue et de la paix. Du point de vue israélien, l’initiative turco-brésilienne ne rend pas seulement la politique du gouvernement de coalition israélien impossible envers l’Iran, mais elle met au grand jour, dans un sens, la raison même d’être de cette coalition. Par conséquent, la tension turco-israélienne de ces derniers mois est l’aboutissement naturel de ces politiques divergentes. D’où nos dernières questions: Y a t-il un changement d’axe en Turquie? Ou, quelle est la position de l’UE?

L’UE, l’Iran et la Palestine

En fait, ce que l’UE pense tout bas sur les questions iranienne et palestinienne, la Turquie le crie haut et fort. C’est l’opinion partagée non seulement par le grand public européen, mais aussi par les fonctionnaires de l’UE qui portent la politique turque aux capitales de l’UE et à Bruxelles. La Turquie est un des principaux moteurs de la paix potentielle en Palestine. Bruxelles ne peut rien faire, à part contempler jalousement la politique de paix que la Turquie maintient dans la région. Ce n’est pas un hasard s’il y avait des gens de plus de 40 pays à bord des navires et si la presse européenne fixe son attention sur la question depuis des jours. En raison de cet incident, la question palestinienne est devenue une question majeure à l’ordre du jour de l’UE. Je soutiens pleinement la stratégie turque envers la communauté internationale pour mettre fin à l’impunité d’Israël et au blocus de Gaza et, enfin, pour pousser une Assemblée générale de l’ONU à reconnaitre l’Etat palestinien. Avec cette politique, la Turquie ne tourne le dos ni à l’UE ni à l’ouest. Grâce à cette politique extérieure, la Turquie présente une politique extérieure efficace qui chérit nos valeurs communes. L’alternative à cette politique est de garder le silence face à la politique inhumaine appliquée aux Palestiniens et de continuer la politique irakienne de Bush. Cette politique, glorifiée par Netanyahu, Barak et Lieberman, a échoué et a perdu le soutien de l’Europe et même des États-Unis. Je conseille aux lecteurs d’observer attentivement la position des journalistes qui suggèrent un changement d’axe à la Turquie ainsi que les politiques qu’ils préconisent. Ils se rendront compte que cette thèse de « changement d’axe » fait partie de l’arsenal de certains groupes aux États-Unis et de partisans zélés de la politique irakienne de Bush.

Ma seule attente de la Turquie, c’est qu’elle mette en œuvre une politique de paix similaire sur le plan de la politique intérieure, et qu’elle réalise son « initiative » et ses projets de démocratisation. Une Turquie démocratique qui est un facteur de stabilité dans sa région et qui a atteint sa paix intérieure sera un grand atout en tant que membre de l’UE.

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