Analyse des déclarations des dirigeants réunis à la COP21
Voici les analyses principales de Yannick JADOT :
****18.45 Inde
« Peuples et planète sont indissociables, bien-être humain et bien-être de la Nature, indivisibles»
Monsieur Narendra Modi, Premier Ministre indien
L’Inde a publié sa contribution nationale au processus de négociation internationale le 2 octobre dernier, jour de fête nationale de célébration de l’anniversaire de naissance de Mahatma Ghandi. Le choix de la date n’est pas anodin, elle montre la volonté du gouvernement indien de construire politiquement autour du débat sur le dérèglement climatique, qui a évolué en Inde ces dernières années. Sa contribution comprend un certain nombre d’objectifs qualitatifs ainsi que trois cibles quantitatives : réduire l’intensité des émissions de gaz à effet de serre (GES) de plus de 33 à 35 % d’ici 2030 par rapport au niveau de 2005; atteindre d’ici 2030 environ 40 % de puissance électrique installée cumulée issue d’énergies non fossiles grâce au transfert de technologie et au financement international à faible coût, et l’extension de leur couvert forestier afin qu’il absorbe un carbone additionnel de 2,5 à 3 milliards de tonnes d’équivalent CO2 d’ici 2030.
Le discours de Monsieur Narendra Modi exhale cette détermination à faire de Paris un succès historique, du fait notamment de la vulnérabilité de l’Inde face au dérèglement climatique, territoire d’1,25 milliards d’habitants où 300 millions d’entre eux n’ont pas accès à l’électricité. Basé autour d’un « partenariat mondial sincère et équitable », l’Inde est prête à s’engager réellement, avec une transformation en profondeur de ses villes, ses transports et son économie, mais insiste sur le besoin d’engagements réels des pays historiquement pollueurs. « Le principe de l’équité et de la responsabilité commune doit demeurer le socle de notre entreprise commune, et dans tous les domaines : atténuation, adaptation et moyens d’y parvenir. »
Dans une large mesure, l’Inde de 2030 reste à construire entièrement et les choix d’aujourd’hui seront déterminants pour la trajectoire d’émissions à long terme de l’Inde et celle du monde.
**** 18.15 – Union Européenne
« Nous devons, et nous pouvons léguer aux générations futures un monde plus stable, plus juste, plus prospère. Ceci n’est pas un rêve, mais une opportunité à portée de main »
Monsieur Juncker, Président de la Commission européenne
L’Europe a soumis sa contribution en mars, le premier grand ensemble politique à la publier. Elle est issue du Paquet énergie-climat 2030, décidé en octobre 2014 par les chefs d’Etat des Vingt-Huit. Globalement, elle est insuffisante par rapport à la part de l’effort qui incombe à l’Europe. Les ministres européens devaient affiner les détails de cette contribution avant de la soumettre à la Convention de l’ONU sur le climat. Mais ils n’ont pas réussi à se mettre d’accord. Elle demeure donc floue et faible. Il reste maintenant à rendre crédible la mention « au moins » placée par les dirigeants européens devant l’objectif de 40% de baisse d’émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 (par rapport à 1990), un objectif « plancher » dont elle a la capacité – si volonté politique – de rehausser qui serait un signal politique fort lors de ces deux semaines de négociation.
Le discours de Monsieur Juncker témoigne malheureusement de ce leadership mou. Ill réitère les capacités d’agir contre le dérèglement climatique, l’engagement des villes et des entreprises et de la société civile dans cette transition déjà en route sur l’ensemble de nos territoires, et à quel point tout cela n’est une question de volonté politique, de solidarité et d’équité. Le discours est poétique, prônant la réalisation « d’un monde pauvre en carbone et riche en opportunités », la mise en exergue de la « créativité humaine inépuisable » versus « des ressources épuisables ». Monsieur Juncker demande que plus soit fait, dans les années à venir, que tous rejoignent l’effort collectif pour limiter le réchauffement à 2°C, nécessité vitale. Il défend un accord global contraignant, solide et durable avec un suivi périodique et un objectif long-terme de décarbonisaiton de nos économies mondiales.
Il faut tout de même rappeler que l’Europe reste aujourd’hui le continent où l’on développe le plus d’énergies renouvelables à travers les coopératives de citoyens. Elles sont près de 2 500 aujourd’hui, réunissant des citoyens qui s’organisent entre eux pour développer un projet et partager l’énergie produite. Enfin, l’Europe est le continent qui verse le plus d’aide publique au développement et de soutien à l’adaptation au changement climat aux pays du Sud, premières victimes des dérèglements. Mais faire mieux que les autres ne suffit pas pour être exemplaire, loin de là !
Alors que les attaques terroristes renvoient l’humanité à sa communauté de destin, la lutte contre le dérèglement climatique constitue le meilleur moyen de lui proposer un avenir bienveillant et prometteur.
**** 18h – Canada
« Le Canada est de retour sur la scène internationale chers collègues, pour aider à rendre fiers nos enfants et petits enfants »
Justin Trudeau, Premier Ministre canadien
La contribution nationale à l’action climatique du Canada consiste en une réduction de l’ensemble de ses émissions de gaz à effet de serre de 30% d’ici à 2030 par rapport à 2005, soit de 14% par rapport à 1990, des mesures loin d’être à la hauteur de l’ambition du pays. Pour atteindre ces objectifs, le Canada a déployé un ensemble disparate et incomplet de politiques fédérales (normes d’efficacité pour le transport individuel, interdiction des nouvelles centrales électriques au charbon etc), et une gamme d’objectifs provinciaux et de politiques associées, pouvant ou non aligner leur ambition sur la rigueur des politiques. Cette fragmentation de la politique climatique du Canada n’est pas uniquement le fait de la répartition des principaux pouvoirs décisionnels politiques entre le gouvernement fédéral et les douze gouvernements provinciaux et territoriaux, mais bien un choix du gouvernement fédéral de ne pas encourager de mesures harmonisées, principalement par souci de compétitivité.
Monsieur Trudeau, tout nouveau premier ministre canadien, compte bien faire de la COP21 le symbole du retour de la diplomatie canadienne sur la scène internationale, souvent décriée après une décennie de pouvoir conservateur. Et son discours en témoigne. À ce grand rassemblement de Paris, la COP 21, « le Canada profitera de toutes les occasions pour être actif sur la scène internationale, notamment via les financements : le Canada s’engage à hauteur de 2,65 milliards de dollars sur cinq ans, pour financer les initiatives permettant d’engager la transition énergétiques et soutenir les mesures d’adaptation pour les pays les plus vulnérables. Le message est clair : « surmonter les anciennes divergences pour tracer la voie la plus efficace pour l’avenir ; Collectivement, à la hauteur du défi, sans précèdent.
On aurait aimé entendre un engagement d’arrêt progressif et définitif de l’exploitation des sables bitumineux pour engager la transition énergétique si nécessaire, mais la position canadienne est sans aucun doute novatrice, et aura un rôle à jouer dans les deux semaines à venir.
****13.45 – Russie
« L’accord de Paris doit être juridiquement contraignant, tout en permettant le développement de nos économies respectives »
Vladimir Poutine, Président russe
Le 31 mars 2015, la Russie a annoncé un engagement climatique pour 2030 équivalent à son engagement précédent, pour 2020 ! Autrement dit, le pays, qui représente près de 5% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, repousse à 2030 les objectifs qu’il devait atteindre en 2020. Il propose de baisser ses émissions de gaz à effet de serre de -25 à -30% d’ici à 2030 par rapport à 1990. De plus, Moscou compte utiliser ses forêts pour diminuer encore un peu plus son ambition en matière de lutte contre le dérèglement climatique. Elle intègre ainsi dans son objectif 2030 la séquestration du CO2 dans ses immenses forêts, au lieu de séparer les secteurs énergétiques, industriels, etc. du secteur des forêts, et d’appliquer à ce dernier un objectif à part, visant à valoriser les stocks de CO2 contenus dans les forêts de Russie.
C’est un des plus mauvais élèves dans ces négociations. Dans son discours, Monsieur Poutine illustre bien une position myope et ambivalente sur le potentiel économique, industriel et social de la transition énergétique. Oui à un accord contraignant global qui permettra une trajectoire équitable de respect du seuil de 2°C de réchauffement planétaire, oui à un soutien financier et technologique pour les pays du sud, mais ne comptez pas sur la Russie pour réduire de plus de 13% ces émissions de gaz à effet de serre… Monsieur Poutine se félicité d’avoir pu « moderniser l’économie russe avec des technologies de conservaiton énergétique tout en doublant le PIB du pays ». IL rétère le rôle clé que jouent les forêts russes, ces « puits de carbone » si prolifiques en Russie. Une proposition à suivre : la Russie souhaite que la question du climat soit abordée de manière intégrée, et propose la convocation d’un forum scientifique pour examiner les questions de dérèglement climatique mais aussi des ressources naturelles qui s’épuisent et de la dégradation de notre habitat.
****13.15 – Chine
« La COP21 n’est pas notre destination mais notre point de départ dans la lutte commune contre le dérèglement climatique »
Mr Xi Jinping, Président chinois
La Chine, 1er émetteur de gaz à effet de serre sur Terre, s’est engagée à réduire l’intensité carbone de son économie de 60-65% d’ici à 2030 par rapport à 2005, à augmenter la part des énergies non fossiles à un niveau de 20% d’ici à 2030, et à atteindre son pic d’émissions au plus tard en 2030. C’est une contribution sérieuse de la part de ce pays, il faut le reconnaître. Et aller plus loin.
Dans le discours de Mr Xi Jinping, on distingue la volonté de la Chine d’être un acteur exemplaire et courageux dans ces négociations internationales. Il insiste sur la nécessité de concentrer nos efforts sur les actions post 2020, ce qui pose des questions sur leur engagement immédiat. Il insiste sur la notion de responsabilité commune mais différenciée, afin de « bâtir un avenir de compréhension mutuelle ». Il assure que son pays participe activement à cette lutte, pays en tête de l’utilisation d’énergies nouvelles et renouvelables, avec un rôle clé pour l’écologie dans le 13ème plan quinquennal du pays.
Une Chine aujourd’hui déterminée à jouer sa part dans la lutte contre le dérèglement climatique, à voir maintenant si les actes suivront.
**** 12.50 – États Unis
« L’Alaska fond, les zones côtières sont grignotées, la toundra brûle, à une vitesse sans précèdent. Et ce n’est qu’un clin d’œil à quoi ressemblera le futur si nous ne faisons rien »
Barack Obama, Président des Etats-Unis
Négociateur essentiel de cette COP21, ce grand pays commence – enfin – à envisager une transformation de son économie, pollueur historique souvent sourd aux sonnettes d’alarme tirées ces dernières années sur la scène internationale. Sans surprise, l’offre américaine est conforme à une annonce faite conjointement avec la Chine en novembre 2014 où les États-Unis se sont engagés à réduire leurs rejets de gaz à effet de serre de 26 à 28% d’ici à 2025 (par rapport à 2005). Il est estimé que ce plan permettra de créer environ 470 000 emplois dans le secteur des énergies renouvelables et évitera, chaque année, environ 7 000 décès prématurés liés à la pollution de l’air 1]. Cette offre initiale des États-Unis est une première étape, mais elle reste nettement insuffisante au regard de leurs capacités économiques et technologiques, et de leur responsabilité historique vis-à-vis du dérèglement climatique.
Dans son discours, Barack Obama réitère la volonté des Etats-Unis d’être un acteur clé dans les négociations internationales sur le climat. Il reconnaît être à la tête d’un des nations les plus émettrices de gaz à effet de serre, et assure avoir entamé le changement : « Je suis à la tête d’un des nations les plus émettrices, j’en suis conscient, et je m’engage à enclencher un changement – nous avons multiplié nos sources solaires par deux, voire trois (…) nous avons investi dans L’efficacité énergétique de toutes les façons possibles, nous avons dit non aux énergies gourmandes qui doivent rester sous terre ». Nouveauté dans ce discours, la mention du financement. Alors que les Etats-Unis ont toujours prôné que les engagements de limitations des émissions (les fameuses INDCs) n’étaient pas le lieu approprié pour évoquer ce sujet, il reconnaît ici la notion de responsabilité différenciée, et engage les Etats-Unis dans leur contribution financière aux fonds pour les pays les moins développés, avec promesse de dons. Ce n’est pas forcément commun pour cette nation de reconnaître franchement les besoins et des efforts nécessaires pour faire face au financement, au transfert de technologies et au renforcement des capacités, un signal positif aux autres pays! Enfin, il conclut avec la nécessité d’un accord très ambitieux à Paris, avec des objectifs actualisés régulièrement, « qui tiendront compte des distinctions et progrès de chacune de nos notions, basés sur la transparence, la confiance mutuelle et l’entraide financière pour les pays les plus pauvres.
Lien vers notre blog [Stopclimatechange.net
Est-ce si difficile de penser que nos dirigeants puissent mettre de côté leurs intérêts à court terme et leurs désaccords pour le bien des générations futures ? Pour les Verts européens un accord mondial sur le climat est possible :