Assurer vraiment notre sécurité plutôt que de tous nous surveiller

13 mai 2015
Mercredi 13 mai 2015, Eva JOLY et les Verts européens organisaient un débat « Développer une approche alternative à la sécurité et la lutte contre le terrorisme ». L’occasion de revenir sur la vision qu’ont les écologistes concernant le PNR européen et la meilleure façon de lutter contre le terrorisme en Europe.

PNR (pour Passenger Name Record), trois lettres magiques censées protéger efficacement les Européens contre le terrorisme. Derrière ce sigle se cache en réalité la collecte massive des données des passagers aériens de tous les vols extra-européens.

Depuis les attentats de Paris en janvier dernier, la plupart des dirigeants européens, et en particulier les ministres de l’Intérieur, ont fait du PNR leur nouveau mantra. Mais ils ne semblent pas pour autant en mesure de proposer plus de sécurité pour les citoyens. La multiplication du traitement des données risque au contraire de noyer celles étant réellement importantes, augmentant le risque de passer à côté d’informations essentielles.

Plutôt que d’organiser la surveillance de masse de tous les citoyens européens, il serait sans doute plus efficace pour notre sécurité à tous de doter les autorités de renseignements de moyens matériels et humains conséquents. Les écologistes souhaitent que plus de fonds soient alloués pour le travail concret des forces de police et de renseignements, que plus d’argent soit disponible pour le vrai travail d’investigation afin d’éviter un nouvel acte terroriste sur le sol européen.
En cette période d’austérité budgétaire généralisée, il serait vraiment irresponsable de mettre le peu d’argent européen disponible dans la surveillance massive et non ciblée de tous les passagers aériens.

Deux chiffres sont particulièrement éclairants: un système européen de collecte de données PNR coûterait, selon les estimations de la Commission européenne, environ 500 millions d’euros. Aujourd’hui, l’autorité d’enquête européenne Europol, censée coordonner les fonctionnaires de différents États membres de l’UE travaillant sur un même cas, fonctionne avec un budget annuel de 500 000 euros.

Trop souvent, une enquête de surveillance sur un individu soupçonné s’arrête lorsqu’il passe une frontière. Trop souvent, les autorités compétentes dans un état membre de l’UE s’avèrent dans l’impossibilité de transmettre l’ensemble de leurs connaissances à leurs collègues des pays voisins. De nombreuses données sont d’ores et déjà disponibles: nous savons par exemple à tout instant où se trouve un aéronef ou dès que quelqu’un en provenance de Syrie retourne en France, informations que devraient obtenir immédiatement tous les autres Etats de l’UE. Mais comment cela peut-il fonctionner lorsque l’on coupe drastiquement dans les budgets des forces de police et de justice et de l’ensemble des acteurs de terrain ? En Allemagne par exemple, pas moins de 15 000 postes on été supprimés en 2014 par mesure d’économie. En France, les procureurs ne cessent de réclamer plus de moyens pour pouvoir garder un œil sur les groupes terroristes et les prédicateurs radicaux diffusant leur propagande sur Internet et les réseaux sociaux.

Alors comment assurer notre sécurité dans l’ensemble de l’UE tout en ne tombant pas dans la surveillance de masse ?

Nous avons surtout besoin d’un partage amélioré des informations entre les différents services d’une part et entre les différents États-membres d’autre part, et la mise en place d’équipes d’enquête transfrontalières plus nombreuses. Une base de données européenne commune des terroristes potentiels est une idée à creuser. Jusqu’à présent, faute de confiance mutuelle, les gouvernements ont toujours combattu une plus grande coopération entre États-membres, en particulier entre services de renseignement. Or avec plus de coopération et de coordination, les risques pourraient être détectés en amont et les responsables poursuivis en justice, même lorsqu’ils changent de pays.

Le contexte de cette fuite en avant dans la surveillance de masse en Europe est particulièrement grotesque en regard du débat actuel aux Etats-Unis qui, de dérives du Patriot Act en scandales des écoutes de la NSA, ont foulé au pied un certain nombre de leurs libertés et de leurs valeurs suite aux attentats du 11 septembre sans réussir à réellement garantir une plus grande sécurité à leurs concitoyens. Ainsi, de plus en plus de voix au Congrès américain appellent aujourd’hui à l’abandon de la surveillance généralisée pour renforcer les enquêtes ciblées. L’Europe devrait en tenir compte.

Où s’arrêtera cette surveillance ? Avions, trains, bateaux, etc., les législateurs trouveront toujours des excuses pour pousser encore plus loin la surveillance des citoyens européens. Aujourd’hui, le gouvernement français propose un projet de loi sur le renseignement tout juste adopté en première lecture à l’Assemblée, contre lequel s’opposent toutes les organisations de défense des libertés publiques.

Alors certes, peut-être que dans les régimes autoritaires où les citoyens font l’objet d’une surveillance constante et généralisée, le risque d’attaques terroristes peut être sensiblement réduit, et encore cela se discute. Mais qui aujourd’hui souhaiterait abandonner la démocratie pour un Etat autoritaire, troquer ses libertés pour une hypothétique sécurité? Alors dotons l’UE de moyens matériels et humains conséquents pour améliorer notre sécurité plutôt que de tomber dans la surveillance généralisée que nous réserve le PNR.

Eva Joly, Jan Philipp Albrecht et Judith Sargentini pour le groupe des Verts/ALE au Parlement européen

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