Forages en Guyane : il est possible de faire autrement !

13 juillet 2012
Publié dans Médiapart le 11 juillet 2012

« La technique de forage utilisée par Shell (qui le reconnaît) provoque le rejet de boues de forage toxiques. (…) Les pouvoirs publics doivent exiger la mise en place d’une expertise indépendante ». Par Aline Archimbaud, sénatrice EE-LV de Seine-Saint-Denis, membre de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, et Jean-Jacob Bicep, député européen, originaire de Guadeloupe, délégué national d’EE-LV aux régions et collectivités d’outre-mer.

La Guyane possède tous les atouts nécessaires pour devenir un territoire exemplaire en matière de transition énergétique. Mais les décisions prises en faveur de la campagne controversée de forages que Shell s’apprête à y mener nous inquiètent fortement. Les alternatives existent cependant.

La Guyane est un territoire qui présente une concentration exceptionnelle de biodiversité: 5 500 espèces végétales, plus de 600 espèces de poissons et d’amphibiens et 700 espèces d’oiseaux. Sur un hectare de forêt guyanaise, on trouve plus d’espèces de plantes que dans toute l’Europe, et ce département abrite au moins 98 % de la faune vertébrée et 96 % des plantes vasculaires recensées en France. Or, à ce jour, rien ne permet de s’assurer que les conditions de sécurité seront garanties sur le site de l’exploitation offshore de Shell: les forages sont prévus à 150 km des côtes, à une profondeur inédite de 6 000 mètres, et à un endroit où se conjuguent des courants très violents et un risque élevé de sismicité. N’oublions pas que dans des conditions nettement moins risquées, et en dépit des règles de sécurité instaurées sur les plate-formes off-shore, on dénombre une douzaine d’accidents majeurs survenus depuis 1976, qui ont chacun provoqué des dégâts terribles impactant de nombreuses victimes, tant sur le plan environnemental que sur le plan économique et social. Certaines zones ne s’en sont d’ailleurs toujours pas remises, dont le Golfe du Mexique, victime de la terrible catastrophe de la plate-forme Deepwater Horizon qui a fait 11 morts.

Un avis concernant les plate-formes pétrolières et voté en 2012 par le Conseil économique, social et environnemental (Cese) préconise de « maîtriser les enjeux de l’exploitation en mettant en œuvre le principe de participation du public tout au long des procédures d’attribution des titres et autorisations, en appliquant ce principe en amont de la prise de décision, lorsque toutes les options sont encore envisageables, en recourant à de la tierce expertise lors des autorisations de travaux (…) ». Or, à notre connaissance, et ce jusqu’à ce jour, aucune expertise indépendante n’a été mise en œuvre, ni de procédure de concertation suffisante avec la population. Rappelons également que la loi Barnier de 1995 a introduit dans la législation française le principe de précaution, qui ne nous semble ici clairement pas pris en compte.

Par ailleurs, et de l’aveu même du président de Shell, les retombées en termes d’emplois locaux en cas d’exploitation seraient minimes. On parle de 25 à 60 emplois créés par les forages exploratoires, et de quelques centaines ensuite, dont on peut redouter que peu de Guyanais en bénéficieront. Il n’est de surcroît absolument pas prévu que les tankers passent par Cayenne, et il ne faut donc pas compter sur un éventuel développement du port ou d’activités liées à la transformation du pétrole sur place. Par ailleurs, on fait miroiter des retombées fiscales… mais les garanties manquent cruellement.

Nous sommes manifestement très loin des principes du développement économique endogène, qui, pour assurer l’avenir du pays, chercherait plutôt à en protéger les ressources halieutiques et les possibilités de projets agro-forestiers, qui représentent les revenus futurs du pays. Alors que le pétrole est clairement une ressource énergétique du passé, à laquelle notre addiction nous pousse à en rechercher toujours plus profond, dans des conditions de plus en plus risquées, la Guyane peut aujourd’hui faire le choix de se tourner vers la production d’énergies renouvelables, pour lesquelles elle présente un fort potentiel (biomasse, solaire, éolien, géothermie, hydraulique, énergie marine), et qui représentent des filières potentiellement riches en emplois locaux.

Enfin, les arrêtés préfectoraux donnant acte de la déclaration de l’ouverture des travaux (pour quatre forages exploratoires et une étude sismique) ont bien été signés le 9 mai. Ils ont été suivis de deux arrêtés dits de prescriptions particulières signés le 20 juin 2012 (voir ici et ici). Il nous paraît inacceptable que ces seconds arrêtés ne conditionnent pas l’autorisation des travaux au non rejet d’hydrocarbures dans la mer. Or la technique de forage utilisée par Shell – qui le reconnaît – provoque le rejet de boues de forage toxiques. C’est contraire au Code de l’environnement (article L218-32). Il était possible, et selon nous indispensable, de conditionner l’autorisation des travaux au respect du Code de l’environnement, ce qui aurait été la moindre des choses!

Les décisions d’intérêt général, mettant en danger ces territoires et des populations, ne peuvent être prises sous l’influence des lobbies privés. Les pouvoirs publics doivent exiger la mise en place d’une expertise indépendante et dans l’attente de ces résultats, il faut qu’une vraie concertation soit menée avec la population, tout en exigeant l’utilisation de techniques de forage non polluantes.

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