Le Parlement doit rejeter l’Accord de réadmission UE-Pakistan

8 avril 2010
Nicole Kiil-Nielsen, rapporteure pour Avis de la Commission des Affaires étrangères sur l’Accord de réadmission UE-Pakistan

Présentation

Les accords de réadmission communautaire, comme outil central de lutte contre l’immigration clandestine de l’Union européenne, existent depuis longtemps. Ces accords prévoient des engagements réciproques de collaboration entre l’UE et les pays tiers concernant le retour des personnes en séjour irrégulier dans leur pays d’origine ou de transit.

Onze accords de réadmission communautaires[[A ce jour, 11 accords de réadmission communautaires sont en vigueur (Hong Kong, Macao, Sri Lanka, Albanie, Russie, Ukraine, FYROM, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Serbie, Moldavie).]] ont été conclus dans le passé entre la Communauté européenne et des pays tiers sans que le Parlement européen puisse en influencer le contenu. Pourtant, s’agissant de l’analyse tant de l’évolution de la politique européenne de réadmission que de la négociation et de la mise en œuvre des accords, plusieurs interrogations se posent concernant notamment le respect des droits fondamentaux. A ce jour, aucune évaluation de ces accords déjà en vigueur n’a été effectuée : les résultats des réadmissions ne sont pas rendus publics ni même communiqués au Parlement européen ou nationaux. En conséquence, le PE est privé de sa raison d’être : évaluer la mise en œuvre des politiques communautaires et participer à l’élaboration de la législation.

Or, cette évaluation parait indispensable notamment en matière de droits humains avant d’engager la conclusion de nouveaux accords de réadmission avec des pays tiers.

Accord UE-Pakistan

Le 18 septembre 2000, le Conseil de l’UE a formellement autorisé la Commission européenne à négocier un accord de réadmission avec le Pakistan. Après 8 ans de négociations entre la Commission européenne et le Pakistan, un accord a finalement été atteint et ce texte a été signé en octobre 2009. Grâce à l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, l’aval du Parlement européen est nécessaire pour l’entrée en vigueur de cet accord; si le Parlement vote le rejet de cet accord, il ne pourra pas entrer en vigueur. La Commission des Libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen est la commission compétente au fond et, étant donné l’intérêt que la Commission des Affaires étrangères porte de longue date au Pakistan, cette dernière a été saisie pour rédiger un avis.

Au sein de la Commission des Affaires étrangères, j’ai été chargée de rédiger le projet d’avis sur cet accord. Dans le projet d’avis que j’ai soumis à mes collègues lors de la réunion du 7 avril 2010, j’ai recommandé que le Parlement assume son rôle de co-législateur à côté du Conseil et de la Commission, et j’ai proposé de rejeter l’accord UE-Pakistan tant que la Commission n’aura pas présenté l’évaluation de la mise en œuvre des accords communautaires de réadmission déjà en vigueur.

Mon argumentaire (voir le projet d’avis ci-joint) est en effet basé sur les deux conclusions suivantes : Pour la première fois, le Parlement européen a l’occasion historique d’évaluer les accords de réadmission et d’influencer leurs contenus. Deuxièmement, la situation en matière de droits humains au Pakistan demande une évaluation approfondie avant la conclusion d’un accord de réadmission avec ce pays.

Je voudrais encore une fois vous préciser que mes interrogations concernant l’absence de garanties en matière du respect des DH dans le présent accord restent sans réponses:

– Je souhaite d’abord attirer votre attention sur le document de la Commission européenne de 2005 qui explique les accords de réadmission[[Voir le lien suivant : http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=MEMO/05/351&format=HTML&language=FR]] et stipule : « toute décision d’expulsion prise par les autorités compétentes d’un État-membre de l’UE doit respecter la convention de Genève de 1951, le protocole de 1967 et les traités internationaux comme la Convention de Dublin de 1990 et la Convention des droits de l’homme de 1950 ». La Commission européenne poursuit « Nul ne peut être éloigné, expulsé ou extradé vers un Etat où il existe des risques sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ».

Or, chacun ici admet que le Pakistan connait de graves violations des droits humains : peine de mort, recours à la torture, mort en détention, disparitions forcées, persécution des minorités chrétienne et ahmadis, crimes d’honneur, luttes tribales, femmes sans droits et victimes de violence, enfants détenus dès l’âge de 7 ans, homosexualité punie de 2 ans de prison+100 coups de fouets etc.

Dans ce contexte, si l’on examine l’accord conclu par la Commission européenne et le Pakistan, on s’aperçoit que :

– l’UE n’a pris aucune garantie pour s’assurer que les droits des personnes réadmises seraient respectés et que leur sécurité serait assurée.

Or, de nombreuses conventions internationales n’ont pas été signées par le Pakistan, et en particulier la Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés et son Protocole additionnel de 1967. Le Pakistan a ratifié la Convention contre la torture (ONU) en 2009 mais selon un document officiel du Sénat pakistanais (comité pour les affaires intérieures) les services de renseignement du pays utiliseraient « d’innombrables cellules secrètes de torture »…..

L’argument de la Commission selon lequel on ne peut pas forcer un État à signer de telles conventions et que le Pakistan fait des « efforts », par exemple en créant un Ministère des droits de l’Homme, est peu convainquant: réciproquement, l’UE n’est pas non plus obligée de signer des accords de réadmission avec des Etats non-signataires des conventions les plus importantes en matière de droits de l’Homme.

– Quant à la responsabilité européenne, la commission se cache derrière le fait que l’accord UE-Pakistan prévoie que son exécution se fasse dans le respect des conventions internationales et que les Etats sont les seuls responsables du respect de ces engagements et qu’il incombe aux États-membres de l’UE de s’assurer que les droits fondamentaux des extradés ne seront pas violés au Pakistan…Les responsabilités sont donc rejetées sur les États-membres…

Il est difficile de donner crédit à de telles affirmations – selon l’article 211 du TCE la Commission est la « gardienne des Traités » et doit veiller à la bonne exécution et au respect du droit communautaire. Or, les accords internationaux, comme l’accord de réadmission UE-Pakistan, de même que la garantie des droits fondamentaux font partie intégrante des responsabilités de la Commission européenne.

Le Conseil, de son côté, affirme (dans une lettre du Conseil de l’UE à l’ONG Migreurop datant de 23 mars 2009) qu’il n’est pas responsable de la gestion de ces accords de réadmission… Fait troublant puisque le Conseil représente justement les États-membres dont les autorités compétentes décident du renvoi des migrants !

A qui incombe la responsabilité? À titre d’exemple, je voudrais qu’on se rappelle qu’un accord similaire avec Sri-Lanka est entré en vigueur en 2004. Malgré les graves événements récents survenus dans ce pays, l’UE n’a jamais suspendu le renvoi des Sri-Lankais alors même que la Cour européenne des droits de l’Homme a jugé que le renvoi des Tamouls constituait une violation de la Convention européenne de droits de l’Homme.

– Je m’interroge d’autre part sur la situation des Afghans renvoyés par les pays européens au Pakistan.

En effet, l’exposé des motifs de la Commission européenne commence par une référence à l’accord de réadmission avec le Pakistan comme comptant «parmi les mesures recommandées dans le plan d’action pour l’Afghanistan présenté en 1999 par le groupe de travail de haut niveau». L’objectif de cet accord serait-il dès lors le rapatriement des Afghans?

L’Union européenne, comment envisage-t-elle de s’assurer que les Afghans renvoyés dans le cadre de l’accord communautaire de réadmission seront bien traités au Pakistan et qu’ils seront renvoyés en Afghanistan dans des conditions acceptables?

Car il s’agit bien ici d’un effet domino : l’UE signe un accord de réadmission avec le Pakistan mais ensuite, le Pakistan signe un accord bilatéral avec l’Afghanistan dont nous ne connaissons ni le contenu ni les conditions d’application. De nombreuses ONGs indiquent que le Pakistan renvoie déjà de nombreux Afghans sans garantir leur sécurité.

Le 23 mars dernier, lors du premier échange de vues avec la Commission, je n’ai obtenu aucune réponse.

Conclusion

Je n’ai donc pas obtenu de réponses convaincantes à la question suivante:

– quelles sont les garanties effectives prévues pour que, tant dans l’Etat-membre de l’UE mais aussi dans le pays où on renvoie les personnes, en l’occurrence le Pakistan, la personne à réadmettre ne soit pas exposée à des risques pour sa vie?

Dans mon projet d’avis qui va être voté en Commission des Affaires étrangères à la fin du mois d’avril 2010, je recommande donc de rejeter l’accord UE-Pakistan tant que la Commission n’aura pas présenté l’évaluation de la mise en œuvre des accords communautaires de réadmission déjà en vigueur.

De son côté, la Commission des Libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) du Parlement européen va aussi se prononcer sur cet accord et enfin, le vote principale aura lieu en mini-plénière au cours du mois de mai.

J’espère sincèrement que le Parlement européen va avoir une position aussi forte que sur l’accord SWIFT et démontera encore une fois sa détermination de s’affirmer comme un véritable co-législateur à côté du Conseil et de la Commission.

J’espère aussi qu’à l’occasion des discussions sur l’accord de réadmission UE-Pakistan, le Parlement européen s’interrogera davantage sur la problématique de fond qui dépasse largement le cadre de l’accord. Le mécanisme de la réadmission, en général, induit intrinsèquement des risques de non-compatibilité entre les objectifs poursuivis par ces accords (lutter contre l’immigration illégale) et les engagements de l’UE en matière de droits humains.

Enfin, en guise de conclusion, je voudrais ici me référer à la résolution du Parlement européen de 2003 (A5-0281/2003) qui « …invite instamment les États-membres à modifier les règles et la pratique des expulsions, car elles s’effectuent trop souvent en violation du droit et de la dignité humaine »

Lien vers l’avis: http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/organes/afet/afet_20100407_1630.htm ou ici:
L’avis (docm 38.46Ko)

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