Le Sommet de Copenhague est-il voué à l’échec?
Le Sommet de Copenhague est-il si mal engagé que cela ?
C’est, hélas, très mal parti. Et le renoncement qui s’annonce est inacceptable : pour faire face au péril climatique, le Sommet de Copenhague devrait se conclure sur des objectifs ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour les pays riches et de soutien aux pays du Sud. Le contexte général a beaucoup évolué depuis la Conférence de Kyoto de 1997, en particulier du côté des pays dits « émergents » : la Chine, le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud… Il s’agit toujours de pays en développement, avec des centaines de millions de pauvres, mais leurs économies se sont industrialisées, favorisant l’émergence des classes moyennes et de nouveaux types de consommation. Ces pays, heureusement, n’affichent plus la même position dans la négociation et sont prêts à faire des efforts dépassant les attentes de la communauté scientifique, supérieurs parfois à ceux affichés par l’Europe ! Le Brésil annonce 80 % de réduction de la déforestation, première source d’émissions de gaz à effet de serre pour ce pays, d’ici à 2020. L’Afrique du Sud, un plafonnement de ses émissions d’ici à 2025. Idem pour l’Indonésie. Et puis il y a la Chine, qui fait des bonds de géant vers une économie plus propre.
La Chine est devenue le premier émetteur mondial de CO2…
Effectivement, ses émissions de CO2 augmentent, elle compte beaucoup d’industries polluantes sur son territoire, et son modèle de développement est potentiellement dangereux pour la planète. Mais il faudrait aussi balayer devant nos portes : une partie de ces entreprises sont en réalité les nôtres, délocalisées ! Et près de 20 % des émissions chinoises seraient liés à l’exportation de produits de consommation vers nos pays. Quand nous achetons un lecteur de DVD fabriqué en Chine, c’est un peu « notre » CO2. Cela n’empêche pas les Américains de rester les grands champions de la pollution, avec plus de 20 tonnes de CO2 par habitant, alors que les Chinois en sont à 4 ou 5 tonnes. La Chine a d’ailleurs conscience des enjeux : elle sait qu’elle est potentiellement la première ou deuxième économie mondiale et mesure sa responsabilité internationale.
Ne s’agit-il pas de pragmatisme ? La Chine connaît l’impact du réchauffement sur son économie…
Les Chinois sont confrontés notamment à la fonte des glaciers himalayens, qui alimentent leurs grands fleuves, comme en Inde. Des centaines de millions de personnes vivent de ce cycle de l’eau ; une grande partie de l’agriculture et donc de l’alimentation en dépend : les effets risquent d’être catastrophiques, avec des inondations massives, suivies de sécheresses. La question des ressources se pose aussi pour un pays très dépendant de l’extérieur en la matière, et qui a tout intérêt à inventer une économie sobre en énergie et en matières premières.
Tout cela, les Chinois l’ont compris puisqu’ils sont déjà le leader mondial des énergies renouvelables ! Ils savent passer très vite de l’innovation à la production de masse. Un énorme bémol à cela : quand ils décident de se lancer dans le barrage des Trois Gorges – cette caricature d’énergie renouvelable qui provoque dégâts humains et environnementaux -, quand ils se mettent à l’éolien ou à transformer leur urbanisme, ils n’en discutent pas avec les citoyens. C’est diablement efficace pour diffuser rapidement des objectifs de politique énergétique mais dramatique du point de vue démocratique.
Copenhague pourrait-il être « sauvé » par les Chinois, les Brésiliens et les Indiens ?
Les pays émergents sont très attachés au protocole de Kyoto et à ce principe décidé au Sommet de Rio, en 1992 : tout le monde a une responsabilité face au changement climatique, mais les pays riches, compte tenu de leur niveau de développement et de leur implication dans la situation actuelle, doivent assumer une plus grande part de l’effort. Hélas, ni l’Europe ni les Etats-Unis ne font leur boulot. Les émergents risquent donc de répondre : « Nous avons des politiques nationales ambitieuses mais nous ne voulons pas d’un cadre international contraignant. »
Barack Obama annonce toutefois des objectifs chiffrés ambitieux…
Après le marasme des années Bush, et en un an seulement, Barack Obama a commencé à construire une vraie politique dans ce domaine. Les Etats-Unis reconnaissent maintenant la réalité des changements climatiques. Ils rattrapent leur retard et sont prêts à négocier dans un cadre international. Mais ils n’aiment pas les accords contraignants. Et Barack Obama aura du mal à aller plus loin que sa loi climatique qui prévoit de réduire de 17 à 20 % les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2020 (1).
Et les Européens, qui se veulent à la pointe de la lutte contre le réchauffement ?
Une minorité de pays européens, comme la Suède, sont réellement en transition vers des économies non polluantes et « décarbonées », c’est-à-dire qui ne reposent plus sur les énergies fossiles. Cela les oblige à repenser l’agriculture, l’urbanisme, le logement, bref, tout ce qui fait la vie des gens. Mais la plupart des Etats européens continuent à raisonner selon de vieux modèles assis sur le charbon et le nucléaire, et privilégient les palliatifs techniques pour continuer « comme avant ». La séquestration de CO2, par exemple – qui consiste à capter et à emmagasiner le carbone hors de l’atmosphère, mais qui n’a toujours pas prouvé son efficacité -, représente près de 40 % du plan de relance européen en matière énergétique, contre seulement 20 % pour les énergies renouvelables. Et pendant ce temps-là, les Chinois, les Coréens, les Indiens avancent.
Les Européens répondent pourtant aux objectifs de Kyoto ?
Les émissions européennes ont effectivement diminué depuis 1990, mais surtout parce que les économies, et donc les émissions, des pays de l’Est se sont effondrées avec la fin du bloc soviétique. La France a réalisé 5 % de réduction en quinze ans. Ce n’est pas glorieux quand on s’est engagé à les diviser par quatre d’ici à 2050 !
Les Européens tiennent le même discours depuis des années : « Nous agissons mais nous ne pouvons rien faire de plus si les autres ne s’y mettent pas. » Ce qui revient à nier les engagements pris par de nombreux pays comme la Chine, le Brésil, le Japon ou encore la Norvège. C’est aussi contester les bénéfices qu’on pourrait tirer d’une économie sobre en énergies sales et dynamique en énergies renouvelables.
Ces sommets sur le climat sont donc inutiles ?
Celui de Kyoto a permis de trouver un cadre de négociation commun à l’ensemble des pays de la planète, avec un certain nombre de principes : les pays historiquement responsables doivent faire le plus d’efforts ; des mécanismes de coopération basés sur l’équité doivent être mis en place, ainsi que des engagements contraignants, susceptibles d’entraîner des sanctions pour les Etats qui ne les respectent pas. Ce cadre est essentiel pour que chacun puisse ensuite le décliner concrètement. A Kyoto, nous étions sur une réduction de 5 % des émissions des pays riches. Cette fois, il s’agit de passer à un objectif de 25 à 40 % d’ici à 2020 !
Un échec serait-il si grave ?
Copenhague cristallise la fin d’un modèle. Il faudra bien qu’on reconnaisse, au-delà des discours, la rareté des ressources, les drames sociaux et environnementaux liés à un développement industriel fondé sur le charbon, le pétrole, le nucléaire et la toute-puissance de la voiture individuelle. Il faudra bien entrer dans d’autres logiques énergétiques, d’autres politiques agricoles, d’autres choix que la déforestation massive. Voilà pourquoi aboutir à un plan de coopération international, équitable et contraignant est essentiel. Il n’y a pas de plan B.
Mais le risque est grand que le Sommet de Copenhague ne soit qu’un vaste exercice de communication de plus, comme les rendez-vous du G20 où rien ne se décide. Et que l’on passe de l’autoflagellation type « la maison brûle et nous regardons ailleurs » à l’autocongratulation, avec une belle photo de famille, type « on est tous au chevet du climat, bien sûr ce n’est pas parfait mais il faut comprendre qu’on a aussi des contraintes, la crise »…
Par rapport à Kyoto, la prise de conscience des dirigeants européens a tout de même évolué ?
Surtout dans les discours ! Globalement, les politiques restent dans le court terme, prisonniers d’intérêts industriels lourds et d’une vision très nationalo-centrée qui les empêche de changer véritablement de modèle de développement et de coopérer.
Mais le plan « Justice climatique » porté par Jean-Louis Borloo et la France est ambitieux ?
Il est séduisant et la solidarité avec les pays du Sud y est très affirmée. Mais ce plan ne s’inscrit ni dans la négociation en vue de Copenhague ni dans le processus européen de décision. Par ailleurs, la France refuse que l’Europe s’engage sur un chiffre de soutien aux pays du Sud dans la négociation climatique, c’est totalement incohérent ! Si l’Europe assume ses responsabilités, l’engagement français s’élèvera à environ 4 milliards d’euros par an d’ici à 2020, bien moins que ce que va nous coûter, par exemple, le bouclier fiscal. La prédation des ressources et les promesses non tenues restent malheureusement les deux fondements de notre relation avec le Sud.
Les parlementaires européens ont-ils leur mot à dire ?
Nous avons adopté, au-delà des clivages politiques, une résolution du Parlement proche des recommandations des scientifiques, qui propose une réduction des émissions européennes de 30 à 40 % d’ici à 2020 et une aide aux pays du Sud d’au moins 30 milliards d’euros par an. Mais nous nous heurtons aux égoïsmes nationaux. Ainsi, lors du vote par le Parlement, les députés UMP, au sein du groupe Parti populaire européen (PPE), sont même parvenus à faire adopter des amendements en contradiction avec le Plan Borloo. Par ailleurs, le Conseil des ministres freine et propose une réduction des émissions de 20 % et une aide de 2 à 15 milliards.
Et ce sont les Etats qui décident…
En grande partie. Mais le Parlement vote, en codécision avec le Conseil des ministres, des directives et règlements, notamment en matière environnementale et énergétique. Cela donne lieu à des batailles, comme celle que nous avons menée sur la directive « Performance énergétique des bâtiments ». Cette fois encore, la position du Parlement est bonne, en matière de réglementation thermique sur le bâtiment neuf et ancien. Mais les Etats bloquent et disent que ça va leur coûter cher. Alors même que le bâtiment en Europe représente 40 % des consommations d’énergie. C’est le premier vecteur d’indépendance énergétique, de gain de pouvoir d’achat pour les ménages, notamment dans les pays de l’Est (où les bâtiments sont de vraies passoires), de création d’emplois et de réduction des émissions de CO2.
Margaret Thatcher avait été montrée du doigt avec son « I want my money back ». Mais aujourd’hui, c’est le même discours multiplié par 27 ! Nous avons besoin de plus d’Europe et nous y investissons de moins en moins car chacun dit : « Qu’est ce que je récupère ? » Résultat, avec moins de 0,9 % du PIB européen, le budget commun est de plus en plus faible par rapport à la richesse européenne. C’est désolant, d’autant que le décalage est flagrant entre les politiques et les opinions publiques. Les enquêtes européennes montrent que les citoyens sont prêts à faire des efforts, si on prend le temps de les associer. Quand des projets d’énergie renouvelable sont menés en concertation avec eux, ça marche. Lutter contre les changements climatiques renforce la démocratie. A l’inverse, l’inaction exacerbera les conflits sur les ressources et les inégalités sociales, dans nos sociétés et au niveau mondial.
Weronika Zarachowicz
Télérama n° 3125
(1) La loi climatique votée par la Chambre des représentants et bientôt présentée au Sénat prévoit une réduction de 17 à 20 % par rapport au niveau de 2005. Ce qui équivaut à une diminution de seulement 4 % par rapport à 1990, année de référence pour de nombreux pays.