Les listes Bildu sont légalisées !
Ce processus se heurtait à l’attitude intransigeante de l’État espagnol, au mépris de la liberté d’expression. En effet, il y a six ans, alors qu’ETA commettait des assassinats condamnés au Pays Basque et dans l’Europe entière, l’Espagne avait obtenu la validation par la Cour Européenne de Justice de ses décisions « d’illégalisation » de toute organisation politique ne condamnant pas l’action de l’ETA. Ainsi, ce qui n’avait jamais été fait en Irlande -même au plus fort de la crise irlandaise, du temps de Margaret Thatcher, le Sinn Fein n’avait jamais été interdit de se présenter aux élections-, l’État espagnol l’a fait, et il a obtenu de l’Europe une caution à sa politique de censure de toute expression politique, dès l’instant qu’elle était reliée à une forme de « terrorisme ».
Chaque scrutin a été depuis un « bras de fer » juridique, les listes « suspectes » étant déférées devant les tribunaux, qui justifiaient leur interdiction par des jugements qui soulignaient les ambiguïtés des positions vis à vis de la violence politique, ou encore les « liens manifestes » des candidats avec l’organisation Batasuna dissoute.
Depuis un an, la gauche abertzale a fait le constat de l’impasse politique dans laquelle son soutien systématique à l’organisation clandestine l’avait mise. L’argument « terroriste », étayé par les dérives d’ETA, suffisait en effet pour faire admettre à l’opinion et aux institutions européennes le bien fondé d’une interdiction répétée qui faisait d’Euskadi une « enclave de non démocratie » au sein de l’Union Européenne. Ainsi, par exemple plus de 100.000 citoyens basques, 10% des suffrages exprimés, ont décidé de voter nul lors des dernières élections autonomiques, pour protester contre l’interdiction qui leur était faite de voter pour la liste de leur choix. Mais rien n’y faisait, le gouvernement espagnol, appuyé sur une opinion nationale chauffée à blanc, et sur la lassitude de la population basque vis à vis d’ETA, continuait d’interdire par des « décisions en rafale » toutes les listes présentées par la gauche abertzale.
Face à ce constat, une démarche s’est progressivement affirmée au sein de la gauche abertzale, puis consolidée, pour obtenir l’abandon de la violence politique et pour engager un processus de paix. Un « groupe de contact international » a été constitué à cette fin, présidé par Brian Currin, avocat sud-africain qui a joué un rôle de premier plan dans le processus de réconciliation mené dans son pays après l’apartheid et en Irlande du Nord. Celui-ci a posé ses conditions, et le premier communiqué d’ETA, une organisation spécialiste de la « langue de bois », a été jugé tout à fait insuffisant. Mais, contrairement aux précédentes tentatives pour amener ETA à renoncer à la violence, les militants n’ont pas renoncé. Des dirigeants de tout premier plan, comme Arnaldo Otegi, ont pris position à leur tour pour demander qu’ETA s’engage véritablement dans un processus de paix. En janvier dernier, ce mouvement a porté ses fruits, ETA a accepté de soumettre aux demandes de Brian Currin et du groupe de contact international, et les conditions sont désormais réunies pour avancer vers la paix en Euskadi.
Mais l’Etat espagnol a décidé de faire la sourde oreille et, alors que le nouveau parti proposé, Sortu (« naître » en basque), a scrupuleusement tenu compte des décisions de justice prises à l’encontre de ses prédécesseurs, en affirmant explicitement condamner la violence d’ETA, la justice espagnole a décidé d’illégaliser encore la nouvelle organisation. Au Parlement Européen, les protestations se sont élevées, dont Arritti s’est fait l’écho : conférence de presse patronnée par des députés européens de différents groupes pour Sortu, puis tenue, au lendemain de son interdiction, malgré l’opposition farouche de la droite et de la gauche espagnolistes, d’une réunion d’information et de protestation à l’initiative de l’intergroupe des minorités en présence de juristes spécialistes du dossier.
Les élections approchant, des mouvements basques légaux, impliqués dans le soutien au processus de paix, ont décidé d’ouvrir leurs listes à la gauche abertzale. Ainsi Eusko Alkarsuna, membre de l’Alliance Libre Européenne, et Alternatiba, un mouvement issu de la gauche non socialiste, ont décidé de constituer la coalition Bildu à travers des listes où de nombreux « indépendants » représentent en fait le parti interdit.
Le gouvernement socialiste espagnol a décidé de lancer une nouvelle procédure d’illégalisation, et obtenu une nouvelle décision d’interdiction par la Cour Suprême espagnole le premier mai dernier. Lors de sa réunion du 3 mai à Bruxelles, le Friendship basque n’avait guère d’espoir que l’appel de dernier recours au Tribunal Constitutionnel puisse être couronné de succès, et un série d’actions de protestation avaient même été programmées pour la session de Strasbourg cette semaine : interventions en questions d’actualité, distribution de tracts devant l’hémicycle, conférence de presse et réunion publique.
Puis, jeudi soir, la décision est tombée : par six voix contre cinq, le Tribunal Constitutionnel* a annulé la décision de la Cour Suprême et décidé de valider les listes de Bildu aux élections du 22 mai prochain.
Cette décision, obtenue à l’arraché, change complètement la situation au Pays Basque où il est à prévoir, au soir des élections, une donne politique totalement nouvelle. La fin d’ETA et de la violence politique est désormais envisageable, et les nationalistes basques, comme les Écossais, devraient sortir largement renforcés par les résultats des scrutins à venir.
François ALFONSI
*Pour la petite histoire : les juges du Tribunal Constitutionnel en Espagne sont désignés par les groupes du Parlement au pro-rata de leur importance, et non comme en France par le Président de la République et les seuls Présidents de l’Assemblée et du Sénat. Ainsi, le groupe catalan de Convergència a désigné un juge qui, par tour de rôle au sein des différentes chambres du tribunal, a présidé le procès Bildu en appel. Sans doute son rôle a été déterminant dans la décision obtenue.