Daniel Cohn-Bendit : « Mon mot d’ordre, c’est Keynes à Bruxelles ! »
Par NATHALIE DUBOIS, 27/10/2011
Pour le coprésident du groupe Verts au Parlement européen, Daniel Cohn-Bendit, la crise impose à l’UE d’accélérer le saut politique vers «une fédération des Etats-Unis d’Europe».
L’enjeu de cette crise est-il vraiment rien moins que la guerre ou la paix ?
L’Europe telle qu’elle s’est forgée nous a été imposée par la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, c’est la guerre économique, ce sont les marchés, immoraux comme la guerre est immorale, qui nous imposent ce choix : baisser les armes et se rendre, ou passer à la vitesse supérieure vers la fédéralisation. A-t-on les idées, les personnalités capables de saisir la balle au bond ? Voilà la question. J’y ajoute une dimension absente : la crise écologique liée à la dégradation climatique. Toute dette est remboursable, sauf la dette écologique.
Comment l’Europe peut-elle en arriver là ?
La réalité est devenue trop complexe pour la méthode de décision intergouvernementale qui a prévalu depuis soixante ans. Cette méthode revient à une juxtaposition des cultures politiques nationales. Les Etats prennent des engagements qu’ils ne veulent pas, ou ne peuvent pas, ensuite, respecter. Ils font l’impasse sur la convergence sociale, sont incapables de trouver des accords sur l’environnement. Mais, à chaque crise, l’Europe découvre les vices de sa construction précédente. Sans la réunification de l’Allemagne et la peur de Mitterrand d’une hégémonie allemande, il n’y aurait pas eu de monnaie unique. Aujourd’hui, la crise des subprimes, puis de la dette, montre que l’Allemagne a eu tort de s’opposer à la création d’un gouvernement économique de la zone euro. On en arrive à cette situation aberrante où le seul Parlement qui décide pour l’Europe, c’est le Bundestag, où prévaut la culture monétariste allemande.
Sentez-vous une volonté de sursaut ?
La seule dirigeante responsable a été Iveta Radicova, la Première ministre slovaque, qui a accepté de se sacrifier en échange du feu vert de son Parlement au sauvetage de l’euro. J’aimerais que Merkel et Sarkozy se disent prêts à renoncer au pouvoir pour faire passer un renforcement fédéral de l’Europe. Même si la fédéralisation a commencé à cheminer dans leur esprit. Sarkozy évolue très vite. Quant à Merkel, si elle n’avait pas l’œil rivé sur les élections, elle se hisserait à la hauteur des pères de l’Europe. Dans un siècle, espérons qu’un historien racontera comment une crise financière a accéléré un changement politique fondamental. Il faut donc les bousculer !
Le saut fédéral, c’est-à-dire ?
Substituer à la force déséquilibrée des 17 pays membres de l’euro la force bien supérieure d’un ensemble indivisible. Cela passe par un Trésor européen, des eurobonds permettant de transformer la dette des Etats en dette européenne et des projets de relance économique et de relance verte. Mon mot d’ordre, c’est Keynes à Bruxelles ! On doit aussi avancer sur une taxe européenne sur les transactions financières, sur une fiscalité verte, une nouvelle régulation des marchés, la convergence fiscale et sociale. On entre dans le dur des souverainetés, mais c’est le débat de demain. On est à un stade historique où s’impose le dépassement de l’Etat-nation.
Ces transferts à Bruxelles posent cependant la question du contrôle démocratique…
Un ministre européen de l’Economie et des Finances, numéro 2 de la Commission européenne, serait élu par les eurodéputés. Ses décisions seraient soumises à la double approbation du Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement et du Parlement, deux instances issues du suffrage universel.
Mais un saut fédéral prendra du temps, alors que la crise exige des solutions immédiates…
Le sommet accouchera forcément de décisions sur le sauvetage de l’euro, mais elles ne suffiront pas. Avec Joschka Fischer [ex-ministre vert allemand des Affaires étrangères, ndlr], nous pensons qu’il faut lancer une refondation de l’intégration franco-allemande. A commencer par une gestion commune du siège français au Conseil de sécurité de l’ONU. Cette nouvelle entité franco-allemande, qui déciderait tout ensemble, déclencherait un tremblement de terre politique. Et servirait de modèle à nos partenaires de l’Union. Si les deux pays parviennent à lancer cette dynamique, suivrait alors une convention pour reformuler l’Europe. Un nouveau traité, soumis à référendum dans chaque pays, entrerait en vigueur si deux tiers des Etats membres et une majorité des citoyens de l’Union approuvent cette fédération des Etats-Unis d’Europe. Plutôt qu’une Europe à deux vitesses, c’est une Europe qui passe la première !