Un an après le scandale du dieselgate, rien n’a été fait pour protéger la santé des citoyens et indemniser les consommateurs européens

13 septembre 2016
Au lendemain des révélations de fraude aux tests d’émission de polluants par Volkswagen aux États-Unis, les écologistes européens ont lancé une pétition qui a reçu le soutien de plus de 155 000 citoyens européens afin d’exiger une enquête européenne sur l’ampleur de cette fraude en Europe. Après six mois d’âpres négociations entre groupes politiques, la commission d’enquête du Parlement européen a entamé ses travaux en mars 2016, avec comme mandat d’établir si la Commission et les États membres ont failli à leurs obligations dans la mise en œuvre de la législation européenne en matière d’émissions polluantes des véhicules.

Un an après le scandale, Karima DELLI dresse un bilan très sévère de la réponse de la Commission européenne et des États membres.


Karima DELLI : "Un an après le scandale… par EurodeputesEE

Qu’avons-nous appris de cette commission d’enquête?

Durant les 6 premiers mois de l’enquête, nous avons entendu des experts du Centre commun de recherche (JRC) de la Commission européenne qui ont réalisé des tests indépendants sur des véhicules diesel depuis 2007, des experts en technologies de réduction des émissions polluantes des véhicules, des représentants de l’industrie automobile, de la Commission, de l’Agence européenne de l’environnement ainsi que diverses associations environnementales européennes. En voici les premiers résultats.

La Commission et les États membres étaient-ils au courant ?

Les auditions et les documents consultés par les membres de la commission d’enquête confirment que la Commission et les États membres ont toléré pendant près de 10 ans des écarts importants entre les émissions en laboratoire et en conditions réelles. Le règlement européen sur les émissions polluantes des véhicules Euro 5/6 précise pourtant que les normes doivent être respectées « en condition normale d’utilisation ». Il interdit également l’utilisation de « dispositifs d’invalidation » (autrement appelés « logiciels fraudeurs ») qui détectent lorsqu’un véhicule subi un test, et modifient alors le fonctionnement des systèmes de dépollution des véhicules afin de respecter les normes d’émission tout en sachant que celles-ci ne seraient pas respectées en condition normale d’utilisation du véhicule.

Dans le même temps, plusieurs études scientifiques avaient révélé les effets néfastes des émissions de NO2 sur la santé, responsables de 75 000 décès prématurés par an en Europe. Il était aussi devenu évident que les émissions de NOx des véhicules diesel étaient une des raisons principales de l’incapacité des États membres et de la plupart des grandes villes européennes à respecter la législation européenne sur la qualité de l’air.

Interrogée sur son mutisme pendant cette période sur la question, la Commission s’est déclarée incompétente pour agir, les États membres restant responsables de l’homologation des véhicules, des rappels et des sanctions éventuelles. Par ailleurs, la Commission plaide qu’elle n’a jamais eu la preuve formelle de l’utilisation de logiciels fraudeurs par un constructeur. A l’issue des premiers tests réalisés sur différents véhicules diesel à partir de 2007, le JRC conclue pourtant que l’utilisation de dispositifs d’invalidation pourrait être à l’origine de toute ou partie des écarts importants mesurés entre les niveaux d’émissions mesurées en laboratoire et ceux mesurés sur route. Mais à l’époque, la Commission décide de ne pas mener l’enquête plus loin, et de se concentrer sur l’amélioration des tests en laboratoire qui étaient devenus largement obsolètes depuis leur création dans les années 1970.

La Commission aurait-elle pu agir différemment ?

Il ressort des documents consultés par les membres de la commission d’enquête que la Direction générale de l’Environnement (DG ENVI) de la Commission a demandé à plusieurs reprises à la Direction générale en charge des Entreprises et de l’Industrie (DG ENTR) d’enquêter sur la légalité de certaines pratiques d’optimisation des systèmes de dépollution utilisées par les constructeurs. Sans faire explicitement référence à l’utilisation de « logiciels fraudeurs », ces demandes sont restées lettres mortes. La DG ENTR n’a pris aucune mesure au cours des 10 dernières années pour s’assurer que la législation européenne en matière d’émissions polluantes était bien appliquée par les constructeurs et les États membres. Plus grave encore, il semblerait que les États membres aient pris beaucoup de retard quant à l’adoption d’un régime de sanctions en cas de fraude – pourtant principal instrument pour s’assurer du bon respect de la loi, notamment de l’interdiction des logiciels fraudeurs, et que la Commission n’ait pris aucune mesure pour contraindre les États membres à s’y atteler.

La législation européenne est-elle suffisamment claire et réaliste ?

Lors de leurs auditions, les différents constructeurs interrogés ont mis en avant le fait que les conditions dans lesquelles s’applique l’interdiction des dispositifs d’invalidation ne sont pas suffisamment claires. Ils ont notamment affirmé que le recours à de tels dispositifs étaient parfois nécessaire pour protéger le moteur, et respecteraient donc la législation européenne qui permet en effet l’utilisation de ce type de dispositif dans de tels cas. Au cours des enquêtes nationales menées notamment en Grande-Bretagne, en Allemagne et en France, certains constructeurs ont en effet fait valoir le besoin de désactiver leurs dispositifs anti-pollution après 22 minutes ou en-dessous d’une certaine température. Pourtant, tous les spécialistes des technologies de réduction des émissions des véhicules que nous avons interrogés, y compris les producteurs de ces technologies, nous ont affirmé que leurs dispositifs étaient parfaitement capables de fonctionner en toutes conditions sans causer de dégâts au moteur. L’argument des constructeurs ne semble donc pas tenir. Par ailleurs, les auditions ont permis de confirmer que la technologie nécessaire au respect des normes Euro 5/6 était bien disponible depuis 2007 (date d’adoption des normes Euro 5/6), et permet d’ailleurs à certains constructeurs de respecter ces normes, y compris en conditions réelles.

Et maintenant ?

Au cours des 6 prochains mois, nous aurons l’occasion d’auditionner les représentants des États membres et des autorités nationales d’homologation. C’est une étape déterminante pour comprendre les raisons qui ont conduit les États membres à fermer les yeux sur ces écarts manifestes alors qu’ils sont les premiers responsables de l’homologation des véhicules. Certains d’entre-eux (Grande-Bretagne, Allemagne et France notamment) ont pris l’initiative de lancer des enquêtes nationales pour faire la lumière sur ce scandale. Mais les conclusions de ces enquêtes sont pour l’instant insuffisantes, puisqu’elles se limitent à constater les écarts sans les expliquer, et ne permettent donc pas de confirmer la présence, ou non, de logiciels fraudeurs.
Un an après la découverte de la fraude massive de VW aux tests antipollution aux États-Unis, aucune mesure d’envergure n’a été prise en Europe, ni par la Commission ni par les États-membres pour faire respecter les normes européennes anti-pollution, pour protéger la santé des citoyens européens et pour rétablir la confiance des consommateurs.

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Un commentaire

  • wendi dit:
     - 

    Une vraie honte. Il faut absolument que les citoyens européens se mobilisent pour faire valoir leur droit à une indemnisation et pour faire éclater la vérité en plein jour une fois pour toute. Ne les laissons pas noyer l’affaire !!

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