Voyage en Kanaky
Au nom d’Europe Écologie, nous sommes cinq parlementaires, deux sénateurs et trois députés européens*, venus à Nouméa constater l’intolérable. Dans la cellule voisine, il y a un matelas rajouté à même le sol pour un sixième détenu. Alima Boumedienne-Thiéry, sénatrice de la région parisienne, à qui l’on doit l’amendement qui étend aux députés européens le droit de visite des prisons voté dans la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009, est incrédule. Elle qui a inspecté des dizaines de prisons en France, elle n’imaginait pas cela possible. Elle pilote notre visite, demande à voir le parloir, l’infirmerie, le quartier de sécurité, les cuisines, etc… Dans ces bâtiments qui ont plus d’un siècle, tout paraît avoir été figé dans le temps.
Puis la visite continue. D’ailleurs dans cette prison insalubre et surpeuplée, le miracle c’est que la situation ne soit pas plus grave. Un des taux de suicides les plus bas, peu d’agressivité entre les détenus, et des surveillants qui veillent en faisant de leur mieux sur quatre cents prisonniers, à 80% des kanaks alors que ces derniers sont bien moins de 50% de la population. L’administration centrale, prévenue de notre démarche, a envoyé un haut responsable qui nous assure que tout cela va changer, que des travaux sont prévus, financés, imminents. Il loge dans le même hôtel que nous et c’est un fonctionnaire estimable. Deux jours plus tard nous le croisons avec une femme qu’il nous présente : c’est l’architecte qui vient d’être dépêchée pour bâtir un projet de rénovation totale. Au moins, notre visite n’est pas restée sans effet sur l’administration pénitentiaire !
Au sortir de la prison le premier après-midi, tous les médias sont là. La presse locale, télé et radios, n’a jamais été tendre pour Gérard Jodar et ses amis syndicalistes indépendantistes kanaks. Mais notre présence change la donne. Autour de José Bové le poids de la délégation des cinq parlementaires est sensible et donne à réfléchir. Vingt et un mois de prison ferme pour des faits relevant du syndicalisme, à passer derrière les barreaux dans de telles conditions de détention, c’est du jamais vu. Et le tribunal, qui doit statuer sur une demande de remise en liberté le lendemain même de notre arrivée à Noumea se trouve sous le feu médiatique. Le juge, pur hasard, a jugé José Bové trente ans plus tôt à Millau en pleine mobilisation du Larzac. Il se défend d’être un « juge colonial », et il s’attache à conduire une audience dénuée de l’agressivité qui avait été la règle jusqu’à présent dans ce même tribunal. Le sourire revient sur le visage de Gérard Jodar, de ses amis et de sa famille. L’avocate se déclare confiante sur l’issue du délibéré qui sera rendu sous huitaine. Nous avons la satisfaction d’avoir pu « faire pression sur la justice » en ayant braqué les projecteurs sur la prison du Camp Est la veille de l’audience, sans pour autant que les juges ne puissent rien trouver à redire, et sans faire courir le risque d’une sévérité accrue.
L’après-midi, retour trois heures durant au Camp Est pour terminer une inspection que le directeur trouve interminable. Lui qui a interdit de parloir l’épouse de Gérard Jodar pour avoir alerté la presse parisienne passe un mauvais moment. Et le point d’orgue de cette inspection des lieux de détention se déroule au commissariat. Ils n’ont compris qu’assez tard que nous débarquerions aussi chez eux, si bien que l’eau qui a lessivé les locaux est encore là, stagnante, et la puanteur des « cellules de dégrisement » toujours perceptible. Le commissaire de police tente de sauver les meubles, en annonçant des travaux de mise aux normes. Manifestement il passe un moment difficile qui réjouit ceux qui nous attendent dehors et qui ont plus d’une fois croupi dans ces cellules aveugles, aux banquettes en béton trop petites pour pouvoir s’y allonger, avec certaines fois, lors de la répression des manifestations syndicales, des dizaines de militants arrêtés et entassés là.
Le pays kanak, nous le visitons ensuite, sous la conduite d’un chef coutumier respecté, descendant direct de celui qui avait il y a 156 ans fédéré les tribus dans la lutte contre la colonisation. Son discours est une immense souffrance quand nous arpentons avec lui le site d’un ancien village détruit, dont il ne reste que des vestiges jusqu’à une pierre gravée qui témoigne d’une culture millénaire. Ailleurs, seule une photo d’époque atteste d’une communauté, celle de ses ancêtres, qui a été pourchassée, tout un village détruit dont il ne reste rien. On reconnaît les montagnes qui indiquent que la photo d’époque a bel et bien été prise sur ce même site, mais face à nous il n’y a plus qu’un champ détruit par les labours et clôturé de toutes parts, inaccessible. Tout une culture a ainsi été « effacée » par la force.
L’« effacement » : voilà ce qui est encore promis aux kanaks dans leur propre pays, alors qu’ils en sont la population originelle ! Ils vivent dans les quartiers abandonnés de Nouméa, ou bien leurs communautés traditionnelles survivent difficilement en étant encore privées de tout. Dans les textes, les accords de Matignon puis de Nouméa devaient changer enfin les choses. Mais dans les faits, les choses ont si peu changé. Pas d’avocat kanak, pas de médecin kanak, des conférences de presse tenues devant des parterres de journalistes, mais pas un seul kanak, etc… Mais des prisons pleines de kanaks !
Notre solidarité les a réconfortés et aidés. Nous continuerons demain, en utilisant tous les moyens dont nous disposons désormais en tant que parlementaires.
François ALFONSI
*José Bové, Karrima Delli et moi-même, députés européens, Alima Boumedienne-Thiéry et Jean Desessard, sénateurs de Paris.