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Claude Gruffat sur les conséquences du gel du printemps 2020

20 mai 2021

« Cyril est vigneron bio à Mont-prés-Chambord dans le Loir-et-Cher, en France, c’est près de chez moi. Il élève un vin particulièrement élaboré, sur l’expression d’un terroir, avec des cépages historiques adaptés à un mode de culture plutôt doux qui recherche la qualité avant tout.

Le mois dernier, je suis allé sur son domaine, d’une douzaine d’hectares, constater les dégâts du gel. Le résultat était terrible…

C’est pire que ce que j’imaginais.

Sa récolte était largement compromise et il craignait même pour la survie de ses ceps. La faute à un froid étonnamment marqué pour cette période, où le gel était plutôt un gel d’hiver, à -7°C, plutôt qu’un gel « normal » de printemps, à -2°C, pour cette période. L’impact est violent. Le vigneron ne peut pas lutter, malgré son équipement antigel installé dans les vignes. C’est l’épisode précédent, bien trop chaud, qui a fait bourgeonner prématurément les vignes. C’est bien le dérèglement climatique qui est en cause.

Pire, et c’est là le plus inquiétant, alors que son prédécesseur subissait un épisode de froid extrême une fois tous les 12 à 15 ans – là, c’était 3 fois en 45 ans – Cyril en aura connu un tous les 2 ans depuis son installation, il y a 10 ans. 5 en 10 ans.

Le dérèglement climatique a rendu ces aléas non pas exceptionnels, mais habituels.

Chers collègues, ce qui est sinistré dans cet épisode, ce ne sont pas seulement les vignes de Cyril et les récoltes de bien d’autres paysans européens. Ce qui est sinistré, ce sont nos certitudes. En tant que paysans et en tant que politiques.

Cette année, une fois de plus, nous avons un avant-goût des menaces qui pèsent sur notre sécurité alimentaire et une illustration de la faiblesse de la PAC actuelle et celle des années à venir.

La gravité de la situation nécessite notre pleine attention et des actes à la hauteur. Nous le devons à nos paysans et à la souveraineté alimentaire européenne.

D’abord, il faut, évidemment, venir en aide aux producteurs de toute urgence. À leur niveau, les États peuvent agir, notamment sur les allègements de charges, les reports d’échéances financières et par des assouplissements dans les versements de soutien de la PAC.

Concernant les indemnisations, l’Union va ouvrir le chantier d’une refonte, et vous l’avez dit, M. le Commissaire, des assurances récoltes.
Trop chères, mal calibrées, les assurances privées actuelles sont peu prisées des paysans. À la fin, c’est, en général, la puissance publique, et donc le contribuable, qui est mis à contribution.
Un système d’assurance mutualisé pluriannuel permanent, accessible au plus grand nombre, serait, évidemment, le bienvenu. Une réflexion à inclure d’urgence dans la réforme en cours de la PAC qui prévoit une proposition de couverture des risques qui est insuffisante. Un système assurantiel mutualisé continu serait plus efficace sur le long terme.

Mais les assurances ne sont que des expédients.

Il importe surtout d’agir plus en profondeur, à moyen et long termes, sur le modèle d’agriculture dominant depuis 60 ans.

Ce modèle qui porte, d’un côté, une part de responsabilité dans les catastrophes climatiques que nous déplorons, année après année, est, par ailleurs, incapable de répondre aux conséquences occasionnées par ces mêmes catastrophes.
La PAC actuelle, comme à venir, constitue un frein structurel à l’émergence des changements agronomiques indispensables et à une souveraineté alimentaire future : agroécologie, nouvelles variétés, adaptation des pratiques, meilleure gestion de l’eau, etc. autant de chantiers indispensables mais pas du tout accompagnés.

Un changement de paradigme est indispensable. Il faut, d’urgence, passer des mots aux actes. Le Pacte vert et les stratégies de la ferme à la table et biodiversité doivent passer de la théorie et la rhétorique à une mise en œuvre concrète. Cela passe par une PAC totalement rénovée, loin de ce qui est négocié aujourd’hui.
Chers collègues, ce grave épisode de gel doit nous inciter à sortir des faux semblants. Il faut arrêter de dire, il faut faire. Nous le devons à Cyril et à tous les autres paysan·ne·s de l’Union européenne. »

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