Le traité de libre-échange avec l’Amérique latine, un danger de plus pour nos éleveurs
La colère continue de monter face aux négociations actuelles autour de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur, à savoir le Brésil, l’Argentine, le Paraguay et l’Uruguay. Une tribune co-signée par Yannick JADOT sur le HuffPost.
En France, les agriculteurs ont récemment bloqué les autoroutes, défilé dans les centres-villes et exprimé leur colère face à Emmanuel Macron au salon de l’agriculture. En Belgique et en Irlande, des manifestations similaires ont eu lieu.
On comprend leur colère. Cet accord commercial aggravera la précarité et la disparition des éleveurs européens, en les soumettant à une concurrence déloyale.
L’un des principaux points d’achoppement sont les quotas d’importation de bœuf dans l’Union européenne. Alors que la production de bœuf en Europe est déjà excédentaire par rapport à la consommation, l’accord commercial se traduira par l’entrée sur le marché européen de 70 000 à 100 000 tonnes de viande bovine, s’ajoutant aux 65.000 tonnes de bœuf canadien depuis cette année. Surtout, la viande importée viendra concurrencer les éleveurs européens sur les morceaux à haute valeur ajoutée, comme l’aloyau et les grillades, qui font vivre nombre d’éleveurs paysans, soucieux de fournir aux consommateurs une viande de qualité, avec des races spécifiques et traditionnelles. Ce sont des centaines de bassins allaitants qui sont menacés de disparition en Europe.
Autre problème: la qualité du bœuf importé. Les normes sanitaires sont en effet moins contraignantes en Amérique Latine et les filières ont de nombreux problèmes, comme démontré par le scandale Carne Fraca qui a révélé les problèmes de corruption et de sécurité alimentaire au Brésil.
Les éleveurs ne sont cependant pas les seuls à s’opposer à cet accord du fait des problèmes provoqués par le bœuf.
Dans l’hémisphère sud, l’élevage du bovin est la principale cause de déforestation. Cette destruction des forêts tropicales est particulièrement criante dans les pays du Mercosur, notamment au Brésil, mais aussi au Paraguay et en Argentine.
Dans une note d’information sur la filière bovine et son impact sur la déforestation et la violation des droits humains, l’ONG Fern rappelle que l’élevage de bétail est aujourd’hui responsable de 80 % de la déforestation de l’Amazonie brésilienne, qui abrite 40 % des forêts humides restantes dans le monde. Rien qu’en 2017, ce sont 6 600 kilomètres carrés de forêts qui ont disparu au Brésil. Le rythme de disparition des forêts dans la partie paraguayenne du Gran Chaco, la deuxième plus grande zone forestière d’Amérique du Sud, est aujourd’hui parmi les plus élevés au monde, à cause de l’élevage de bétail. Cette déforestation sauvage s’accompagne d’autres maux. Les chercheurs ont montré que les exportations de bœuf provenant du Brésil sont associées à des activités illégales et à des conflits sociaux : on ne compte plus les titres de propriété foncière frauduleux, les empiètements sur des zones protégées et les violations répétées des droits humains, allant parfois jusqu’à l’assassinat de paysans ou de militants écologistes.
Les changements politiques survenus récemment n’ont fait qu’exacerber le problème. Au Brésil, par exemple, les communautés ont de plus en plus de mal à faire appliquer leurs droits juridiques, le gouvernement de Michel Temer ayant ralenti les procédures de prise en compte des revendications sur les terres autochtones afin de conserver le soutien du puissant lobby de l’agro-industrie baptisé « ruralista ». Dans la partie paraguayenne du Chaco, les communautés autochtones, qui détiennent des titres de propriété légaux sur moins de 5 % des terres, se trouvent dans une situation encore plus périlleuse.
L’accord entre l’UE et le Mercosur ne ferait qu’empirer cette situation, déjà désastreuse. Il privilégierait l’agrobusiness qui accapare les terres autochtones et détruit les forêts pour accroitre sa production. Cette production, qui repose sur une utilisation intensive du glyphosate et des OGM, a aussi des conséquences terribles sur la santé des populations environnantes. Sans parler de la pollution de l’environnement, de la compétition pour l’accès aux ressources ou encore de la criminalisation des leaders autochtones.
La Commission européenne a été alertée de manière très officielle sur le potentiel nocif de l’accord. Une étude d’impact sur la durabilité de l’accord, réalisée en 2008 et commandée par l’institution, a indiqué que « en ce qui concerne le bœuf et d’autres produits […], une expansion de leur production ne ferait qu’accroitre les pressions à long terme déjà exercées sur les forêts, qui nécessitent d’être endiguées par l’introduction d’un régime de réglementation plus solide. » Malheureusement, obsédée par les intérêts du commerce et de l’investissement, la Commission européenne continue d’ignorer les conséquences dramatiques de ces accords pour l’environnement et la santé.
Dans une lettre ouverte adressée à la Commission européenne le 25 avril dernier, 26 ONGs rappellent qu’en 2016, la Médiatrice européenne, Emily O’Reilly, a considéré dans une décision historique que le refus par la Commission européenne de procéder à une étude d’impact sur les droits de l’Homme dans le cadre des négociations de l’accord de libre-échange entre l’UE et le Vietnam constituait un acte de mauvaise administration. Les ONGs demandent à la Commission de prendre au sérieux ces études d’impact afin de mettre le commerce…
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