14 juillet : Pas touche au tabou républicain !
En fait la tradition française du défilé du 14 juillet est tout aussi jacobine que militaire. Car la « fête des Fédérations » instituée en 1790, largement girondine, fut récupérée un siècle après pour affirmer la République « une et indivisible » portée par la France jacobine. L’armée est en fait l’instrument de cet affichage uniformisé d’une « identité nationale » dont les valeurs sont à l’opposé de nos attentes. Le « défilé citoyen » qu’Éva Joly appelle de ses vœux n’est donc pas simplement le refus d’une vision militarisée du pays ; il est aussi le refus d’une vision uniformisée qui réduit à néant les différences culturelles.
C’est en cela sans doute que la prise de position d’Éva Joly dérange le plus au sommet de l’oligarchie jacobine. Qu’une candidate à la présidence de la République, la fonction suprême, ait l’audace de s’attaquer aux symboles mêmes de la République, il n’en fallait pas plus pour faire sortir du bois tout ce que les médias comptent de plus parisien, et tout ce que la classe politique compte de plus jacobin. A droite, François Fillon s’est révélé par un dérapage xénophobe qui traduit, plus qu’une xénophobie réelle, à quel point la remise en cause de sa vision « traditionnelle » de la France lui est insupportable. A gauche, la solidarité due à une alliée potentielle victime d’attaques injustifiables a été bien longue à se manifester. Ségolène Royal, comme Martine Aubry, ont tout d’abord montré leur hostilité à la position d’Éva Joly, avant de se retourner contre la droite. Mais leur premier réflexe montre assez que « l’union politique » du second tour sera difficile à construire, et surtout, à traduire dans les actes d’un futur gouvernement.
En fait ce qui peut nous rassurer tient dans la façon dont l’opinion a réagi aux propos d’Éva Joly. Ceux qui ont voulu la clouer au pilori sont loin d’avoir obtenu l’effet escompté. Ils ont dû en rabattre aussitôt face à la contre attaque dans laquelle Daniel Cohn Bendit a pris le premier rôle. La réalité d’une France figée est vite apparue à l’opinion, et le message qu’il fallait faire évoluer en profondeur le carcan de l’État français a rencontré un écho manifestement favorable. Les prochaines enquêtes d’opinion diront ce qu’il en est, mais il ne serait pas surprenant qu’Eva Joly ait gagné en popularité grâce à cette polémique déclenchée contre elle.
Après trois décennies d’espoirs déçus et de blocages jacobins depuis la première victoire de la gauche en 1981, la « sixième République », souvent avancée dans les discours, amènera-t-elle enfin les opportunités que les « régionalistes » attendent ? Pour l’heure les programmes sont bien muets et ce n’est pas un hasard si la seule déclaration de candidature qui ait mis en avant la défense de langues régionales est celle d’Éva Joly. D’ailleurs, très significatif de l’état d’esprit qui règne à Paris, seul le Monde a repris ce point. Le déroulement de la polémique autour du 14 juillet ne peut que l’encourager à aller de l’avant, et à mettre la fin de l’État jacobin à l’ordre du jour de cette future « sixième République ». Ce qui, en soi, justifie le soutien que Régions et Peuples Solidaires doit lui apporter.
Car les « régionalistes » ne peuvent rester en dehors du débat de l’élection présidentielle. Fin août, lors de leur Université d’Été de Mouans-Sartoux, ils débattront de ces points en présence d’Éva Joly elle-même. Il faudra envisager avec elle les modifications prioritaires de la Constitution qui seront demandées, notamment la modification du « culturicide » article 2 qui élimine de facto toute diversité culturelle de l’Hexagone.
La capacité à faire passer de tels points de programme dans les faits dépendra du poids final de la candidate écologiste. L’élection présidentielle n’est pas facile pour ceux que l’on relègue dans les rôles secondaires. Mais, en quelques jours, Éva Joly a démenti les pronostics qui, tous, la prédisaient battue lors de la primaire écologiste, puis elle a réalisé une entrée en campagne qui la place au cœur du débat politique.
L’espoir est donc permis.
François ALFONSI