2019/2024 : du Pacte vert à l’alliance brune

27 septembre 2024

Juste après les résultats de l’élection européenne de juin qui a vu une progression des groupes d’extrême droite et un recul des groupes « progressistes » au Parlement européen, la question de la présidence de la Commission européenne et de la reconduction – ou pas – d’Ursula von der Leyen (VDL) s’est posée.

Le groupe Verts/ALE a, dans sa grande majorité, choisi de soutenir cette reconduction et lui a apporté environ 44 voix, ce qui a permis sa réélection acquise à 41 voix de majorité. Le groupe considérait qu’il fallait la soutenir car, en cas d’échec, toute candidature alternative aurait été pire (ce que nous ne saurons jamais…).

Par ailleurs, argument plus sérieux, il s’agissait de tendre la main au Parti populaire européen (PPE – droite) et à Renew Europe (centre), composant avec les socialistes européens la coalition sortante, pour leur proposer de s’appuyer plutôt sur le groupe Verts/ALE que sur l’un des groupes d’extrême droite au Parlement européen pour sécuriser une majorité. L’idée étant de poser les conditions d’un « cordon sanitaire » vis-à-vis des différentes nuances de bruns qui prospèrent désormais au Parlement.

Nous, délégation française, nous faisions peu d’illusions à ce sujet. Le PPE – et Renew – ont, à plusieurs reprises, montré qu’ils préfèrent, au fond, s’entendre de manière plus ou moins assumée avec tout ou partie de l’extrême droite plutôt que de devoir composer avec les Verts et un groupe social–démocrate dont la place serait alors plus centrale. Par ailleurs, pour dire vrai, les socialistes n’ont pas vraiment bataillé pour qu’une plus grande place soit accordée au groupe Verts. Ils ont renoncé depuis bien longtemps à disputer le leadership européen au groupe de droite PPE et voient une présence des Verts dans une éventuelle majorité comme une concurrence dans la répartition des miettes que la droite consent à leur laisser.

Dernier argument qui a pesé sur la volonté de proposer une coopération du groupe Verts/ALE à VDL : tenter de préserver autant que possible le « Green deal » face aux assauts populistes qu’il subit.

Est-ce que ce « pari » de la majorité du groupe Verts a fonctionné ?

À l’heure où nous constatons la composition de la Commission proposée par VDL et les répartitions des responsabilités dans son organigramme, grâce aux lettres de missions qui sont rattachées aux différents commissaires, on peut largement en douter.

VDL a décidé de créer six postes de commissaires qui auront le titre de Vice-président·es exécutif·ves. Ce dispositif permet d’escamoter l’effacement des femmes dans cette nouvelle Commission, en attribuant à certaines d’entre elles des « vice-présidences » faibles – ou « sous contrôle ».

Elle permet aussi de distribuer quelques médailles en chocolat aux socialistes sous-représentés en nombre de commissaires (j’y reviendrai).

Les autres commissaires, en fonction de leurs « portefeuilles », sont placés sous l’autorité de telle ou telle vice-présidence. C’est un aspect à bien avoir à l’esprit pour comprendre les différentes menaces qui vont peser pour les thématiques sociales, écologiques ou portant sur les droits humains dans la future commission.

Le Pacte vert effacé, une écologie diluée et sous tutelle

Lors de la précédente mandature, une vice-présidence menée par un social-démocrate était en charge du « Green Deal » – ou « Pacte vert » en français.

Le terme de « Green Deal » a purement et simplement été supprimé des intitulés du nouvel organigramme de la Commission. Nous découvrons, maintenant que les langues se délient sur les tractations qui ont conduits à ce point d’arrivée, que cette commande avait été expressément passée à VDL par son groupe PPE.

En remplacement du concept de « Green Deal », c’est le terme de « clean transition » – auquel a été ajouté, selon les différents portefeuilles les notions de « compétitivité » ou de « croissance » – qui est désormais utilisé. Les mots « productivité » ou « simplification » sont également mis en avant.

Les compétences en lien avec l’écologie sont réparties sous la responsabilités de nombreux commissaires.

Ce « dépeçage » de l’écologie a pour but de mieux pouvoir la digérer… Non pas pour la mettre en œuvre, mais pour la diluer et au final, l’effacer.

L’élément de langage de la Commission consiste à dire que grâce à cette architecture, l’écologie sera partout.

La réalité est qu’au final, elle n’est nulle part…

Si une des vice-présidences sociale-démocrates – accordée à l’Espagne – porte sur l’écologie, son intitulé, comme exprimé plus haut, interroge. « Clean, just and competitive transition ».

Le « Green » devient « clean ». Et le « deal » devient « transition ». Très bien pour le concept de « just » mais la notion de « competitive » interroge… Jusqu’à présent, lorsque ce terme est préféré à celui de « sobre » ou « résilient », on sait ce qu’il advient. Dans la langue de Bruxelles, « compétitivité » est le boulet productiviste et libéral que l’on attache au pied de la transformation écologique de notre système de production et de consommation pour « l’équilibrer », c’est-à-dire le neutraliser…

Les quatre commissaires sous la responsabilité de cette vice-présidente sont deux PPE (en coalition avec l’extrême droite dans leurs propres pays, les Pays–Bas et la Suède) auxquels il faut ajouter le commissaire hongrois envoyé par Orbán. Le dernier des quatre est socialiste, chargé du « climat »… Mais sans autre contenu concret que le « logement ». Ce commissaire au logement était la demande des sociaux–démocrates. Ils l’obtiennent. Notons que le logement – un sujet certes essentiel – n’est pas une compétence européenne.

À côté de cela, Stéphane Sejourné hérite d’une vice-présidence exécutive à l’industrie…

Cette répartition me fait fortement douter de la capacité de la VP socialiste à pouvoir peser sur la « transition » puisque le volet industriel, celui de la simplification des réglementations et celui du marché intérieur, sont placés en dehors de son périmètre, dans celui de Séjourné.

Enfin, les dossiers agricultures, pêche, océans et transports, qui sont répartis auprès de 3 commissaires (deux PPE et un Chypriote sans étiquette) seront sous l’autorité du vice-président exécutif néo-fasciste italien Raffaele Fitto, imposé par Meloni et accepté par VDL, dont l’intitulé du portefeuille est « cohésion et réformes »… Tout un programme.

D’un point de vue réglementaire et budgétaire, il n’est pas nécessaire de développer à quel point ces domaines ont des implications écologiques immédiates et concrètes absolument majeurs…

Une coalition bleue et brune qui normalise et banalise l’extrême-droite

Les équilibres de cette nouvelle commission sont éloquents :

  • Les Socialistes passent de 9 commissaires à 4.
  • La droite PPE passe de 9 à 14.
  • L’extrême droite néo-fasciste de Meloni passe de 1 à 2.
  • L’extrême droite RN–Orbán passe de 0 à 1.
  • Renew passe de 4 à 5.
  • Les écologistes de 1 à 0.

Mais au-delà de ces équilibres, la nouveauté est l’importance des portefeuilles accordés à l’extrême droite.

En s’appuyant sur elle, le PPE renforce sa mainmise sur les institutions européennes. Elle réduit l’influence des socialistes à peau de chagrin, celle des Verts à néant et elle met les Renew sous tutelle.

L’épisode de l’éviction de Breton par VDL illustre ce phénomène, avec un PPE qui se permet d’imposer à la France le retrait d’un commissaire qui avait à plusieurs reprises manifesté son indépendance vis-à-vis d’orientations de VDL… Je ne développe pas cet aspect, plusieurs articles ont bien expliqué les choses.

Revenons-en à la Commission.

Comme je l’ai dit plus haut, le vice-président exécutif néo-fasciste italien aura la mainmise sur les commissaires en charge de l’agriculture, des transports et de la pêche et des océans.

On ne peut pas dire que ce soit un portfolio mineur. La cohésion et l’agriculture, c’est une part très importante du budget européen…

Par ailleurs, le commissaire nommé par Orbán aura en charge – certes sous la responsabilité de la VP socialiste mais qui sera très isolée – la santé et la condition animale. À ce titre, il est possible – quand on lit sa lettre de mission – qu’il soit en charge de la production bio et de la question des nouveaux OGM… Ajoutons à cela que satisfaire la demande des Verts de la création d’un·e commissaire en charge de la condition et du bien-être animal pour finalement la confier au commissaire d’extrême droite illibérale nommé par Orbán relève davantage de la provocation que de la concession.

L’analyse de ces équilibres et de cette architecture illustre que VDL et le groupe PPE ont fait le choix de s’appuyer sur les extrêmes droites pour contenir et détricoter les politiques écologiques en tenant en joue ses « partenaires » socialistes et centristes et en cornerisant les Verts. L’idée étant de se garantir des majorités conservatrices–réactionnaires en signant un « agreement » avec l’extrême droite.

« Toute ressemblance… »

Bien entendu, cette situation rappelle la situation française – et celle de nombreux pays européens – où la droite et le centre se tournent volontiers vers l’extrême droite pour signer, dans le meilleur des cas, des pactes de non-agression, plutôt que de devoir se tourner vers la gauche et les écologistes…

Le cas de ce qui se passe dans l’institution européenne est de ce point de vu éclairant : même quand le camp progressiste fait preuve d’esprit « constructif », en allant même jusqu’à renier une partie de ses valeurs, comme on l’a vu sur le Pacte sur la migration et l’asile, le résultat est le même. Ce choix politique de la collusion avec l’extrême droite n’est donc pas le fruit de circonstances conjoncturelles.

Au niveau continental, un axe politique structurel se constitue entre l’extrême droite, la droite et les centristes pour garantir une assurance vie à leur agenda libéral–conservateur–autoritaire.

Pour les droites et le centre, les convergences politiques souhaitées s’élaborent avec l’extrême droite, et cela quel que soit l’attitude des gauches ou des écologistes.

La guerre aux pauvres et aux plus vulnérables

Au-delà des éléments déjà évoqués, la disparition d’un commissaire chargé des questions sociales, qui existait depuis des décennies, dans l’architecture de la Commission est là encore éloquente.

De la même manière, la place accordée à des commissaires de premier plan issus de pays qui remettent en question les droits des femmes, des personnes migrantes ou des personnes LGBTQ+ signe une désertion en rase campagne sur le plan des valeurs.

Dans cette affaire, on assiste bien à une coalition idéologique qui s’attaque à l’écologie comme au acquis sociaux et aux droits humains.

La lecture que je propose est volontairement anglée sur ce que je considère comme révélateur d’un point de vue politique.

D’un point de vue « technique », je n’ignore pas qu’une lecture plus « positive » de cette architecture est possible. L’idée selon laquelle, par exemple, la dispersion « façon puzzle » des sujets écolos permettrait de saisir des opportunités pour obtenir des avancées est parfois proposée. Il y a aussi une présentation de cette nouvelle Commission consistant à dire que cette vice-présidence socialiste à la « transition propre, juste et compétitive » serait une garantie significative pour sauvegarder l’ambition d’un « Green Deal » désormais même plus nommé, un peu comme Voldemort, dont on ne doit pas prononcer le nom…

Je pense, hélas, que pour cette Commission, il s’agit désormais de nourrir la conception d’une écologie sans normes ni règles de protection de l’environnement ou de la santé – présentées comme les ennemis de l’innovation et de la compétitivité ; une écologie compatible avec la croissance grâce au techno-solutionnisme, une écologie compatible avec le libre–échange. Bref, une écologie marketée et sculptée par les lobbys qui présenterait sous un jour favorable les intérêts installés.

Cette vision n’est pas sans contradictions… On voit mal, par exemple, comment combiner la poursuite à marche forcée des traités de libre-échange et le « protectionnisme » ou la défense de notre souveraineté agricole…

Mais c’est bien cette logique qui inspire, par exemple, le récent rapport Draghi qui, certes, invite à des investissements européens massifs, mais qui ne conditionne pas vraiment leurs usages et qui ne dit pas qui va les payer (ce qui est rarement un bon signe pour les plus fragiles et pour nos services publics) … Tel un nouveau Diafoirus, le Docteur Draghi prescrit la même potion amère déjà mainte fois administrée. Celle qui fait mine de déplorer les effets dont on chérit les causes.

Bref, retour au « business as usual » : voilà en quelques mots la feuille de route de la nouvelle Commission VDL.

Et maintenant ?

S’il y a bien un enjeu à saisir le momentum sur une nécessaire réorientation de la « puissance » Europe au service d’une transition écologique et sociale, l’architecture de cette Commission et son centre de gravité politique soulèvent plus d’inquiétudes que d’espoirs.

Alors que notre énergie et nos capacités d’action budgétaire, réglementaire, industrielle et intellectuelle devraient être orientées vers un changement de modèle dont le « Green Deal » constituait l’esquisse, on assiste à une régression qui va plonger l’Union européenne dans un repli et une sclérose qui pourraient durablement fragiliser ses bases démocratiques et humanistes.

À ce stade, le groupe Verts/ALE doit, de mon point de vue, faire preuve de lucidité.

Le choix de soutenir un second mandat de VDL pour permettre, comme expliqué plus haut, de bâtir un cordon sanitaire robuste avec les extrêmes droites et préserver autant que possible la dynamique du « Green Deal » a montré ses limites.

Le meilleur service à rendre à l’écologie – et à la clarté du débat politique dans l’institution comme en dehors – est de refuser de rester prisonnier de ce pari.

Je veux bien concéder que la famille verte a fait preuve de responsabilité en allant au bout d’une logique de responsabilité vis-à-vis d’une coalition – et d’un PPE – qui avait donc le choix de la direction dans laquelle elle souhaitait se tourner.

Mais désormais, les choses sont claires. Et il faut dire avec force qu’il n’y a pas de « et en même temps » possible avec l’extrême droite et l’écologie.

De ce point de vue, la vice-présidence exécutive accordée au candidat de Meloni et l’absence de vice-présidence explicitement dédiée à la continuité du « Green Deal » constituent une ligne verte qui devrait être consensuelle, non seulement entre tous les Verts, mais aussi pour tous les démocrates et progressistes européens.

La bataille pour l’avenir que nous voulons pour l’Europe ne fait que commencer.

C’est sur des bases solides et armés de valeurs sûres que nous devons la mener.

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