Assange: un sujet de droit
Ensuite, elle remet sous les feux des projecteurs une procédure judiciaire sibylline. Alors que Julian Assange devrait être soutenu dans son travail sans relâche pour les libertés de la presse et de l’information et en faveur d’une transparence nécessaire au bon fonctionnement des démocraties, le Royaume-Uni et la Suède, comme François Hollande en son temps, nient son droit à comparaitre devant la justice sans craindre d’être extradé tout autant que de trouver refuge en lieu sûr.
Au-delà de la défense du fondateur de Wikileaks, véritable vigie des libertés fondamentales dans des démocraties s’égarant parfois, il s’agit là d’aborder la situation de l’homme. Car, dans l’inextricable affaire Julian Assange, la France n’est pas le seul pays européen dont l’action – ou bien plutôt l’inaction – interpelle.
La justice suédoise s’empêtre depuis plusieurs années déjà dans cette affaire judiciaire sans être capable de fournir la moindre explication crédible. Sans tomber dans les pires travers des théories conspirationnistes, il y a fort à parier que ce qui paralyse la justice suédoise est très similaire à ce qui poussa en juillet dernier François Hollande à prendre en moins d’une heure une décision pour une procédure administrative habituellement longue et fastidieuse : la pression des États-Unis qui mènent contre Assange une enquête de sécurité nationale sans précédent depuis février 2010. Soit 3 mois avant la publication de la vidéo « Collateral murder ». 6 mois avant même que ce dernier ne pose le pied en Suède…
Je suis personnellement l’affaire depuis plusieurs années. J’ai rencontré Julian Assange à l’Ambassade d’Équateur de Londres où il vit reclus, constatant de mes propres yeux les conditions de vie qui sont les siennes. Je me suis déplacée en Suède sans pouvoir rencontrer la procureure Marianne Ny qui a refusé de me recevoir. Honnêtement, je ne sais pas ce qu’il s’est réellement passé. Il ne me revient pas de juger cette affaire sur le fond. Mais ce que je sais, c’est d’une part qu’un individu est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable et d’autre part que c’est un droit pour tout suspect que d’être jugé dans un délai raisonnable. Tout comme c’est un droit pour les victimes de pouvoir tourner la page. Pour ce faire, une enquête est nécessaire. Une enquête qui nécessite qu’Assange soit entendu. Ce que la procureure refuse obstinément depuis des années, sous de nombreux prétextes, fallacieux pour la plupart.
Espérons donc que la décision du groupe de travail de l’ONU obligera à relancer une procédure judiciaire délibérément au point mort.
Tout dans cette affaire est en effet confus. Et ce, depuis les premiers instants.
Alors que le substitut de garde avait décidé de classer l’affaire, la procureure Marianne Ny décide de la rouvrir quelques jours plus tard. Rien d’illégal certes. Mais une décision pour le moins inhabituelle.
Aujourd’hui, en continuant d’accuser Assange de vouloir fuir la justice suédoise, elle ne se contente pas de mentir. Elle fait également preuve d’un terrible mépris à l’égard des autorités équatoriennes, les accusant à mots à peine voilés de protéger un criminel se soustrayant à la justice de ce grand pays démocratique et respectueux des droits humains qu’est la Suède.
Elle feint d’ignorer les véritables raisons qui ont poussé Assange à trouver refuge au sein de l’Ambassade de l’Équateur. Il n’a pas fui la Suède contrairement à ce que l’on peut entendre ici ou là. Il est parti avec l’accord écrit du procureur. C’est seulement quand il a craint pour sa vie et après avoir passé plusieurs mois en prison puis en résidence surveillée qu’il a décidé de se réfugier à l’Ambassade d’Équateur. Il a d’autre part signifié à plusieurs reprises sa volonté de se soumettre à la justice suédoise. L’unique obstacle : il ne peut prendre le risque de sortir de l’ambassade de l’Équateur. Un obstacle aisément contournable : il suffirait à la procureure de se rendre sur place pour l’interroger. L’Équateur a d’ailleurs donné son accord pour que l’interrogatoire ait lieu au sein de son ambassade londonienne.
Le refus d’Assange de se rendre en Suède pour être entendu par la justice suédoise est loin d’être un caprice.
Depuis les révélations permises par Edward Snowden, la réalité des menaces à son encontre ne fait plus aucun doute. Assange qui, rappelons-le, est un journaliste et un éditeur, figure sur la liste des wanted people par les États-Unis, tel le pire des terroristes. Cela signifie concrètement qu’il pourrait à tout moment se retrouver dans une prison de haute sécurité aux États-Unis pour le reste de sa vie, le Royaume-Uni ne s’étant jamais formellement engagé à ne pas mettre en œuvre son extradition vers ce pays.
Que la procureure Marianne Ny feigne d’ignorer ces menaces en dit long sur son entêtement.
Elle refuse d’envisager toute alternative, que ce soit en procédant à son interrogatoire par visioconférence ou en déléguant l’action publique à l’Équateur, sans pour autant décider de classer le dossier.
Son entêtement, qu’il soit strictement personnel ou le fruit d’une pression, n’a que trop duré. Il est une tâche indélébile pour ce pays dont le progressisme, le respect des droits humains, l’avant-gardisme dans la consécration de nombre de nouveaux droits sociétaux sont partout reconnus. Une tâche si sérieuse que l’ONU, avant même la décision de son groupe de travail, s’était auparavant penchée sur le problème que constitue en Suède la toute-puissance des procureurs dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours. La Suède, ce pays qui le premier au monde a consacré en 1776 les libertés d’information et de la presse et a aboli la censure, ne peut fouler au pied près de 250 ans d’histoire de lutte pour les droits humains en contribuant directement ou indirectement à la persécution de Julian Assange.
Je ne souhaite en rien contester le droit suédois. Que ce pays dispose d’une législation qui protège plus que tout autre les droits des femmes est admirable. Nous sommes d’autant plus exigeants avec la Suède, que c’est un modèle de tolérance et d’avant-gardisme social dont nos justices devraient s’inspirer. Mais ce combat légitime pour la protection et les droits des femmes ne doit pas se faire au mépris du droit.
Assange est sujet à un traitement inhabituel voire cruel. En juin dernier, il a tristement célébré sa troisième année de confinement à l’ambassade équatorienne de Londres où il a demandé l’asile politique convaincu que ni le Royaume-Uni ni la Suède ne seraient en mesure de le protéger d’une extradition politiquement motivée aux États-Unis.
Le Royaume-Uni lui refuse l’accès à l’air libre, à des soins de santé ainsi qu’à tous ses droits fondamentaux les plus essentiels. Des droits octroyés à tout prisonnier. L’un des droits dont nous jouissons tous, en cas de suspicion d’actes répréhensibles, est d’être inculpé et jugé dans un délai raisonnable ou d’être libéré, dégagé de tout soupçon.
C’est à cela qu’aspire Julian Assange. C’est à ce respect du droit que la justice suédoise doit aujourd’hui s’astreindre.
Le droit est depuis trop longtemps bafoué dans cette affaire. Le procureur national de Suède doit se saisir dans les plus brefs délais du dossier. À lui de décider de procéder à une enquête en bonne et due forme ou de déléguer l’action publique à l’Équateur.
Je souhaite que cette décision du groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire soit le premier pas vers la résolution d’une affaire qui n’a que trop duré. Le Royaume-Uni et la Suède jouent désormais leur crédibilité en matière de respect des droits de l’homme.