Au Parlement européen, les associations de terrain témoignent du dénuement total des exilés au nord de la France et de la Belgique
C’est ce témoignage que sont venues nous apporter les associations d’aide aux migrants mardi 12 juillet au Parlement européen. Ces associations de terrain qui, solidaires des migrants face au désintérêt et à la carence des autorités publiques, ont peu à peu remplacé dans la mesure de leurs moyens des plus limités tous les services élémentaires et d’assistance. Pour la seconde année consécutive, un collectif d’association rassemblée au sein du « Jungle Tour »[[Amnesty International Nord-Pas-de Calais / Somme ; L’Auberge des Migrants (Calais) ; Artisans du Monde ; CASPA (Arras) ; CCFD Terre Solidaire ; CIMADE 62 ; Emmaüs Dunkerque ; Flandre Terre Solidaire ; Fraternité Migrants Bassin Minier 62 ; Itinérance (Cherbourg) ; Ligue des Droits de l’Homme Belgique francophone : RESF ; Salam Nord-Pas-de-Calais ; Terre d’Errance Flandre Littoral (Dunkerque) ; Terre d’Errance Norrent-Fontes ; Le Gran Mi (agglomération lilloise) ; La Marmite aux idées (Calais) ; Pigment (Bruxelles).]] parcourt des centaines de kilomètres, reliant en 10 jours à vélo les grands lieux de vie des migrants de la région
[[Bailleul, Lille, Angres, Norrent-Fontes, Saint-Omer, Calais, Dunkerque, Ostende, Bruges, Gand, Bruxelles.]].
Chaque étape est l’occasion de rencontrer les associations locales et les organismes d’accueil, afin de mettre en commun leurs expériences et tisser des liens entre associations des deux côtés de la frontière. Mais surtout le Jungle Tour c’est la rencontre entre les associatifs et les migrants dans les « jungles » où ils vivent à longueur d’année, entre deux expulsions, pour recueillir des faits et échanger sur leurs conditions de vie et les pratiques des autorités à leur encontre. A l’invitation d’Hélène Flautre, le Jungle Tour s’est achevé le 12 juillet au Parlement européen, par l’exposé de l’ensemble de ces faits et par un message de responsabilité adressé aux décideurs européens. Une prise de responsabilité est effectivement urgente, tant le constat est édifiant à l’issue de cette réunion.
Les migrants sont unanimes, la pression policière est omniprésente, particulièrement violente et ne fait aucune distinction. Tous les migrants n’ont pas le statut de réfugié ni même de demandeur d’asile, mais même ceux qui en bénéficient ne peuvent finalement pas compter sur la protection censée accompagner leur statut. Ceux-là même qui sont chargées de leur protection les persécutent.
Les méthodes employées par certaines forces de police évoquent un véritable « centre de rétention à ciel ouvert ». Des réveils en pleine nuit aux expulsions et arrestations récurrentes (un migrant fut arrêté 6 fois dans la même journée à Calais), tout est fait pour dissuader les migrants de déposer une demande d’asile ou de la mener à son terme. Comment quelqu’un vivant dans la rue, harcelé, sans cesse déplacé, pourrait-il être en mesure de monter un dossier et rassembler les preuves nécessaires pour accéder au statut de réfugié?
L’harcèlement s’accompagne parfois de violences physiques. L’arme favorite: le gaz lacrymogène, utilisable aussi bien sur les couvertures que sur la nourriture. Certains migrants ont aussi eu leur compte de passage à tabac, morsure de chiens (à Ostende notamment), vol de carte SIM et destruction de téléphone portable, les coupant ainsi de leurs familles. Plus grave encore, les associations rapportent des cas de diabétiques dont l’insuline aurait été détruite.
Cette pression extrême a malheureusement les effets escomptés. Des migrants découragés, coupés de tout soutien, déplacés d’une frontière à l’autre en cours de procédure (un schéma courant est le trajet Ostende-Calais-Italie-Calais), finissent par se résoudre à demeurer dans la clandestinité devant cette accumulation d’épreuves venant s’ajouter à celles subies avant et pendant leur périple vers l’Europe.
Les associations ne sont pas non plus à l’abri de cet acharnement, des militants sont actuellement poursuivis en justice. Mais elles ont réagi en saisissant le nouvellement nommé Défenseur des Droits français sur les violences policières, souhaitons que ce test important pour l’état des libertés et des droits? en France soit concluant.
Carence des services publics atténuée par la solidarité locale
Que la capacité d’hébergement des centres d’accueils soit largement dépassée par l’afflux de réfugiés n’est pas surprenant, ce qui l’est en revanche est la progressive aggravation de cette crise.
A Lille, 800 personnes sont actuellement à la rue et la situation s’est encore aggravée depuis l’année dernière où un hébergement était encore possible une nuit sur trois. Désormais l’engorgement dans les centres d’hébergement est tel que le SAMU social en est réduit à refuser l’accueil quasi systématiquement.
Les moyens alloués sont de plus en plus insuffisants. Des centres d’accueils sont censés fermer et des salariés de l’urgence sociale risquent d’être licenciés.
Devant la faillite des services publics, des associations, comme le Grand Mi à Lille, se sont impliquées dans l’hébergement. Mais leurs moyens étant limités, elles finissent irrémédiablement par être débordés comme c’est le cas d’Emmaüs.
A Bailleul, l’association Flandre Terre Solidaire s’engage dans le suivi et ouvre chaque hiver un centre d’accueil et de convalescence pour les migrants malades, blessés ou tout simplement moralement épuisés et psychologiquement cassés. Certains sortent à peine de soins lourds qu’ils sont déjà renvoyés à la rue, encore fragiles. Soigner puis renvoyer un malade au risque que sa santé se dégrade à nouveau: la question de la migration n’en est pas à sa première contradiction… Pour exemple le cas d’un tuberculeux, renvoyé auprès du centre de convalescence au mépris des risques de contagion.
La solidarité est aussi celle des habitants de la région avec les migrants et qui s’engagent auprès d’eux par des dons de nourriture, de vêtements, etc… Des élus ont également apporté leur aide à l’organisation du Jungle Tour et, discrètement, s’engagent avec vigueur dans l’aide aux migrants.
Abandonner le règlement Dublin II
La réponse du règlement du 18 février 2003, dit Dublin II, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile, n’est pas adéquate.
Elle peut mener à des situations à l’exact opposé du bon sens. C’est le cas d’une famille entrée en Europe par l’Italie et sur le chemin de la Grande-Bretagne, la mère accouche au Nord-Pas-de-Calais. Au bout de 8 jours la mère et l’enfant sont renvoyés à la rue. Compte tenu de cette situation, les parents décident de faire leur demande d’asile en France, ce qui leur est initialement refusé. En effet, en vertu du règlement Dublin II, cette famille aurait dû retourner en Italie avec leur bébé de 8 jours pour enregistrer leur demande d’asile puisque l’Italie est leur pays d’entrée.
Si la raison a fini par l’emporter, ce cas illustre parfaitement l’incohérence de la règlementation européenne en matière d’asile.
Cette procédure injuste fait porter tout le « poids » de l’accueil sur quelques pays avec pour toute logique des considérations purement géographiques et nullement liées aux capacités d’accueil. Ce non-sens amène par exemple à un taux absolument ridicule d’acceptation des demandes d’asile en Grèce, à hauteur de 0,04% en 2009. Ce règlement envoie ainsi un message très clair aux migrants: ne déposez pas de demande d’asile et restez clandestins !
Les dispositions les plus accueillantes ne sont jamais mises en œuvre, et les nombreux manquements à la directive sur les normes minimales d’accueil devraient amener les eurodéputés à déposer un recours auprès de la Commission contre les Etats membres.
Une des conclusions à tirer de cette crise est la nécessaire abolition du règlement Dublin II, qui trahit son but même d’intégration en empêchant les migrants de demander l’asile dans le pays de leur choix. Il les empêche ainsi d’accéder à un travail légal. Alors que le droit à l’emploi est un des leviers d’action le plus simple et le moins onéreux à la portée des Etats membres. Pourtant ces derniers n’en comprennent pas l’évidence, alors même qu’une expulsion coûte pas moins de 20 000 euros à l’Etat. En matière d’asile, comme en tout domaine d’ailleurs, le tout sécuritaire ne paie pas.
Plus d’informations:
http://www.jungletour.sitew.com
Suivre les étapes du Jungle Tour en documents audio:
http://audioblog.arteradio.com//echodesjungles/frontUser.do?method=getHomePage