Cambriolages de médias: la «malédiction Woerth», ironise l’opposition
28 Octobre 2010 Par
Mathilde Mathieu
Après la série de vols d’ordinateurs qui a touché les rédactions de
Mediapart, du Monde et du Point (et visé en particulier des journalistes
enquêtant sur l’affaire Bettencourt-Woerth), l’opposition réagit avec
prudence. Seul Noël Mamère, député Vert, pointe directement du doigt
l’exécutif: «Ce gouvernement utilise des pratiques de barbouzes, a-t-il
affirmé, mercredi 27 octobre. On vit dans une république bananière, où on
va essayer de nous faire croire que des plombiers volent des ordinateurs la
nuit, en oubliant de voler les bijoux et la chaîne stéréo. Dans l’histoire,
c’est Sarkozy le plombier aux petits pieds!»
Au parti socialiste, Marie-Pierre de la Gontrie, secrétaire
nationale aux libertés publiques et à la justice, «pas adepte de la théorie
du complot», rejette toute conclusion hâtive et préfère s’interroger sur
«une concomitance troublante». Pour le Parti de gauche, Eric Coquerel
évoque «une drôle d’épidémie», tandis que Nathalie Griesbeck, responsable
de la justice au «shadow cabinet» du Modem, ironise sur «la malédiction
Woerth» après celle «de Toutankhamon». «Tant que les faits ne sont pas
établis, on ne peut pas bâtir d’accusations», note encore l’eurodéputé
Jean-Paul Besset, pour Europe Ecologie.
Ces précautions prises, le PS reproche aux ministres concernés de
rester «silencieux», et en particulier à Michèle Alliot-Marie d’avoir «fait
mine d’apprendre (le vol subi par Le Point) au micro de France Inter»,
mercredi matin. En effet, alors que l’information courait déjà depuis la
veille, la garde des Sceaux a juré à la radio: «Je ne savais pas (…). Ah
bon ?! Ben écoutez, je n’en sais rigoureusement rien!» Elle a ensuite
dédramatisé le vol subi par le journaliste du Monde, Gérard Davet:
«Lui-même se pose un certain nombre de questions, sachant qu’il habite en
rez-de-chaussée… Je crois qu’une fenêtre était ouverte (en fait à
l’espagnolette), donc toutes les possibilités sont ouvertes en la
matière…»
Marie-Pierre de la Gontrie recommande au gouvernement de «prendre
cette affaire suffisamment au sérieux» et de «se manifester», ajoutant: «Si
le pouvoir donne l’impression de ne pas voir de quoi on parle, ça ne peut
qu’aggraver le soupçon, les gens se demandant à qui profite le crime…»
De son côté, l’écologiste Jean-Paul Besset souligne que «plus on
avance dans cette affaire Woerth-Bettencourt, plus on s’enfonce dans des
zones marécageuses et pestilentielles, où tout est permis». Et de rappeler
l’épluchage sauvage des factures téléphoniques d’un collaborateur de
Michèle Alliot-Marie (ordonné par le directeur général de la police
nationale en personne), puis de journalistes du Monde (commandé par le
procureur Philippe Courroye en dépit de la loi): «Il y a un aspect
cumulatif dans cette histoire, pointe Jean-Paul Besset. Mais croire que
tout cela peut décourager des journalistes, c’est un calcul minable
d’officine, c’est se mettre le doigt dans l’œil!»
Au Parti de gauche, Eric Coquerel note également que «ces
cambriolages correspondent assez à l’air du temps, dans un régime qui
décide d’écouter les journalistes et qui procède par intimidations». Le
conseiller régional d’Ile-de-France n’en revient pas que «le premier
réflexe d’Alliot-Marie, quand on lui parle du vol chez l’enquêteur du
Monde, ce soit de dire que la fenêtre était ouverte»: «C’est un signe de
fragilité, comme chez une bête blessée.» Tout de même, Marie-Pierre de la
Gontrie s’inquiète: «L’effet recherché, c’est bien d’intimider les gens qui
apportent des informations aux journalistes», estime la socialiste.
Face au mutisme du gouvernement, le Syndicat national des
journalistes, premier de la profession, a demandé un rendez-vous au plus
vite à la garde des Sceaux, cinglant dans un communiqué: «Cette épidémie de
cambriolages (…) renvoie sinistrement aux pratiques d’Etats dictatoriaux,
où règnent menaces et entraves de toutes sortes à la liberté d’informer.»