Contre Daech
Une chose est sure : le vote par le parlement français de la prorogation de l’État d’urgence ne saurait tenir lieu de politique dans la durée. La violence des évènements, la douleur des victimes, l’angoisse de toute la société ne doivent pas nous empêcher de démêler l’entrelacs des problématiques auxquelles nous sommes confrontés. L’émotion légitime et la surenchère dans le discours martial ne doivent pas masquer l’ampleur des défis qui sont devant nous.
Combattre l’hydre terroriste… et ses soutiens directs ou indirects !
La menace Daech ne s’est pas construite en un jour. Elle est le fruit d’une généalogie où s’entrecroisent des données géopolitiques complexes inscrites dans le temps long. Le choix d’une focale historique plus ou moins longue pourrait nous conduire à porter le regard sur les choix opérés lors de la décolonisation, à considérer les conséquences désastreuses de la première guerre du Golfe, à réinterroger la seconde intervention militaire en Irak, à mesurer l’effet domino des printemps arabes et de la chute du pouvoir Kadhafiste en Libye. Aussi loin que porte l’analyse, elle commande de ne pas céder à la facilité et à admettre que l’essor des mouvements islamistes terroristes dans la région est autant le fruit de l’histoire endogène de la région que le résultat des choix occidentaux, largement impactés par l’obsession pour le pétrole.
Si nous voulons combattre l’essor du terrorisme islamiste, nous devons reconsidérer notre politique étrangère. La question syrienne est de ce point de vue emblématique. Tout changement de pied qui viserait à s’allier même provisoirement à Bachar El Assad pour contrer l’État Islamique aggraverait la situation. En réalité, et nous l’avons affirmé dès le début de la crise syrienne, la seule solution durable est de s’appuyer sur l’opposition démocratique à Bachar El Assad, sans illusion aucune sur ses faiblesse ou ses ambiguïtés. Les tragiques attentats de Paris ne doivent pas nous conduire à nier la barbarie du pouvoir de Damas qui a gazé sa population et bombardé des hôpitaux. Comment ne pas voir que Daech tire notamment sa force des exactions du pouvoir syrien ?
Le terrorisme islamiste est une hydre multicéphale, dont les membres s’entredévorent, mais ont tous nos valeurs et nos pays en horreur commune. Les combattre demande de s’attaquer d’urgence au terreau qui leur permet de prospérer : l’absence de démocratie, le déficit d’éducation qui en découle, la pauvreté, les famines causées par la crise environnementale. Si Daech nous attaque, ce n’est pas seulement pour frapper l’esprit de nos populations par la violence, c’est aussi pour nous entrainer dans une guerre au sol, dont l’issue serait dramatique. L’illusion que la solution serait uniquement militaire est une impasse. Je vais plus loin, puisque nous sommes opposés au terrorisme islamique comment expliquer les bonnes relations que notre pays, pour des raisons commerciales, s’obstine à entretenir avec des pays dont on ne peut que souligner la grande ambiguïté à l’égard des mouvements terroristes ?
Nous défendons des valeurs, mais transigeons en permanence avec elles quand il s’agit de vendre des avions rafales, dont on frémit d’ailleurs en imaginant dans quelles mains ils pourraient tomber en cas d’évolution chaotique. Entre le combat contre le terrorisme et la complicité silencieuse avec des régimes indécents, l’heure arrive ou il faudra choisir sans détour.
Déconstruire l’endoctrinement d’une frange de notre jeunesse, pour tarir le recrutement des terroristes
Ce chantier d’une nouvelle politique étrangère est d’ailleurs intimement lié à la question des apprentis djihadistes présents sur notre territoire. Quand dans les années 90 et 2000 nous posions la question du financement de l’Islam de France, la question de la construction des mosquées et de la formation des Imams, les écologistes furent accusés de permissivité et de soutien au communautarisme. Il n’en était rien. Au contraire, nous disions alors que laisser le financement du culte musulman dans notre pays aux mains de puissances étrangères était une faute majeure au regard de notre ambition républicaine.
Premièrement car loin d’admettre l’Islam au nom des religions françaises, nous le rejetions de fait comme une religion de l’étranger, oublieux de notre longue histoire et des syncrétismes en cours dans notre pays. Mais également en second lieu parce que la nature à horreur du vide. La place inoccupée ne l’est pas resté longtemps : le wahhabisme a avancé ses pions dans nos quartiers financé par l’Arabie Saoudite ou le Qatar. Le vide spirituel de nos sociétés hyper matérialistes mêlé à la désespérance sociale et aux discriminations systémiques a fait le reste du travail de sape. Des esprits faibles ont sombré, trouvant ici l’occasion d’habiller de guenilles conceptuelles leur amertume sans limite et leur haine recuite au feu de la frustration.
Quelle conception étriquée de la laïcité a pu nous conduire à laisser faire ? N’aurait-il pas été préférable de faire émerger une logique concordataire visant à fixer les conditions d’existence et les bornes d’un Islam de France ? Faute de l’avoir menée plus tôt, cette tâche va maintenant nous occuper dans l’urgence. Autre question, mais qui est liée, l’affluence soudaine d’imams sur nos plateaux de télévision est par ailleurs un cruel révélateur de la sous-représentation des musulmans laïcs dans l’espace public. Les français de culture musulmane se sentent-ils représentés par les imams qui détiennent de fait le quasi-monopole de la parole publique sur la question de la lutte contre la doxa intégriste ? Mais je reviens aux candidats au djihad : la dimension irrationnelle de leur geste, patente ne doit pas masquer la dimension politique de leur acte. Ils sont les dérisoires jouets de manipulateurs rompus aux techniques les plus modernes de la communication.
Mais ne nous trompons pas : les discours victimaires ne disent rien de la complexité de ce qui se joue dans l’enrôlement de ces jeunes français, nés chez nous, élevés chez nous, et devenus meurtriers chez nous. Le djihad peut séduire sans distinction de classe sociale ou d’origine. Il n’en demeure pas moins que les auteurs des attentats récents présentent de troublantes similitudes de parcours de vie. Leur radicalisation a souvent été précédée d’une désaffiliation sociale, d’un parcours de délinquance ordinaire qui les a amené à transcender leur existence dans une réinvention pseudo religieuse. Leurs errances personnelles ont trouvé dans le terrorisme un cadre ou déverser leur trop plein de souffrance et de haine. C’est ce mécanisme que nous devons déconstruire. Par tous les moyens à notre disposition, dans toute l’étendue de la gamme des moyens préventifs et coercitifs existants. D’autres sont encore à inventer, en particulier concernant les jeunes qui reviennent de Syrie ou d’ailleurs. En premier lieu, toute la rigueur de la loi doit s’appliquer, pour condamner leurs actes. Mais ce n’est pas suffisant. Un suivi est indispensable. Et quand, certains trop rares, se repentent de leurs actes, témoignent de la folie de leur endoctrinement, et appellent leurs congénères à ne pas sombrer dans la spirale de la violence, nous devons analyser leur parcours et les encadrer, comme des personnes qui s’échappent d’une secte. Le travail contre l’endoctrinement est un travail de longue haleine. La première pierre consiste à entrevoir que le nihilisme des jeunes français tentés par le djihadisme fait écho au vide laissé par l’épuisement de notre récit républicain, incapable d’apparaître aux yeux d’une partie grandissante de la population comme autre chose qu’une fiction au service des puissants.
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