Deux ans après Luxleaks, l’heure d’un premier bulletin de notes pour Juncker

5 novembre 2016
Il y a deux ans, le scandale Luxleaks dévoilait les graves dérives fiscales du Luxembourg. Il est maintenant l’heure de faire, sous forme de bulletin de notes, une première évaluation des actions entreprises depuis par la Commission européenne et son président Jean-Claude Juncker, personnellement juge et partie dans cette histoire.

Il y a deux ans, la Commission européenne nouvellement désignée débutait son mandat avec le scandale Luxleaks : grâce aux révélations de lanceurs d’alerte et de journalistes, les citoyens européens découvraient que près de 350 multinationales bénéficiaient d’un taux d’imposition proche de 0% au Luxembourg, grâce à la conclusion d’accords fiscaux extrêmement complaisants. Deux ans plus tard, beaucoup reste à faire pour un système fiscal plus équitable et plus transparent en Europe.

Au lendemain du scandale Luxleaks, Jean-Claude Juncker, ancien Premier ministre et Ministre des Finances du Luxembourg au cœur du scandale Luxleaks, et actuel Président de la Commission européenne, était venu rassurer le Parlement européen : la Commission européenne fera tout pour lutter contre l’évasion fiscale des multinationales.

Les promesses ne sont évidemment tenues que si des actions concrètes sont réalisées. C’est pourquoi, nous avons fait l’exercice d’évaluer – sous la forme d’un bulletin de note – les progrès réalisés par M. Juncker et son administration dans le domaine de la justice fiscale.

En résumé, si des progrès ont été accomplis, M. Juncker peux faire beaucoup mieux ! Voici son bulletin, concernant :

1. La protection des lanceurs d’alerte :
N’a montré jusqu’à présent aucun intérêt pour cette matière

Bien que les Verts aient présenté une proposition de directive dans ce domaine, la Commission continue à traîner des pieds, arguant un manque de compétence à ce sujet. Mais, selon certaines rumeurs, un texte législatif serait en préparation pour l’année 2017.

2. La transparence sur les montages fiscaux avantageux accordés par les Etats membres aux multinationales :
A fait le strict minimum et ne devrait pas se reposer sur ses lauriers

La Commission et les États membres ont trouvé un compromis boiteux en la matière. Les informations sur les montages fiscaux avantageux accordés par les États membres aux multinationales seront bien partagées entre les États membres, mais la Commission n’y aura qu’un accès limité. Quant au grand public, il n’y aura toujours pas accès ! Ces mesures n’entreront en vigueur qu’en 2017. Peu mieux faire.

3. La transparence fiscale des entreprises :
Peut mieux faire, et nous y veillerons !

La Commission a répondu partiellement à l’appel du Parlement européen et de la société civile en faveur d’une législation obligeant les entreprises à rendre publiques des informations comptables précises concernant leurs activités (notamment le chiffre d’affaires, le profit, le nombre d’employés et les impôts payés) dans chaque territoire où elles sont implantées.

Présentées au lendemain du scandale des « Panama Papers », ces mesures sont loin d’être suffisantes. Notamment, les activités des entreprises ne seront rendues publiques que dans les pays européens, ce qui signifie que nous ne disposerons toujours pas d’informations relatives à ce qu’elles font au Panama, dans les îles Caïmans ou aux États-Unis, par exemple. Cette réforme est désormais entre les mains du Parlement européen et des États membres. Les écologistes européens feront tout pour la renforcer.

4. La fin du secret fiscal et la lutte contre les sociétés écrans :
A réalisé certains progrès et fait preuve de bonne volonté

En juillet 2016, en réaction notamment au scandale des « Panama Papers », la Commission a proposé de renforcer la législation européenne contre le blanchiment d’argent, et de rendre publiques toutes les informations concernant les bénéficiaires effectifs des sociétés écrans et trust. C’est une étape importante que le Parlement européen et les Etats membres devraient sans plus tarder concrétiser.

5. L’harmonisation de l’impôt sur les sociétés :
Des efforts remarqués sur l’assiette fiscale, mais toujours rien sur les taux d’imposition

La Commission européenne vient de relancer le débat sur l’harmonisation de l’impôt sur les sociétés en Europe. Vaste et difficile chantier, mais la Commission a introduit certaines mesures qui pourraient convaincre les entreprises à y adhérer. Pour convaincre le plus grand nombre, elle a également soigneusement évité de parler d’harmonisation des taux d’imposition. Or, en l’absence d’un niveau minimum d’imposition effective en Europe, nous risquons de renforcer la course vers le moins-disant fiscal, jusqu’à voir l’impôt sur les sociétés complètement disparaître à terme !

6. La fin de la concurrence fiscale en Europe :
Paresseux et distrait, devrait se concentrer davantage !

L’Europe se distingue par les nombreux avantages fiscaux que chaque pays octroie aux entreprises. Jusqu’à présent, la Commission européenne ne s’est toujours limitée qu’à des recommandations en la matière, ce qui ne suffit pas à convaincre les États à cesser de se faire concurrence. Une autre stratégie serait de mettre fin à la règle de l’unanimité en matière fiscale. Placé à jeu égal avec les Etats membres, le Parlement européen pourrait enfin défendre l’intérêt général européen face à l’impôt.

7. Les sanctions contre les paradis fiscaux :
Est plus attentif mais a des soucis pour comprendre les concepts de base

La Commission européenne a enfin commencé le travail de fond consistant à dresser une liste noire des paradis fiscaux, répondant ainsi à une demande faite depuis longtemps par le Parlement européen. Mais elle s’est tirée d’emblée une balle dans le pied en s’imposant à elle-même l’exercice périlleux et inutile d’obtenir le soutien unanime des Etats membres sur cette liste noire. Elle semble avoir oublié que l’Union européenne abritait encore un certain nombre d’entre eux.

8. Les enquêtes sur l’évasion fiscale des multinationales :
A obtenu de bons résultats grâce à une camarade de classe

S’il faut attribuer un bon point ici, celui-ci revient sans conteste à la Commissaire Vestager, qui a récemment décidé qu’Apple devrait rembourser 13 milliards d’impôts non perçus et a lancé des enquêtes sur McDonalds et Engie. Elle a également répondu aux attentes dans les cas Fiat et Starbucks et se penche à présent sérieusement sur IKEA, après l’enquête menée par les écologistes européens. Bravo, continue sur cette voie !

9. La régulation de « l’industrie de l’évasion fiscale » :
Moins de bavardages et plus d’actions s’il vous plaît!

Comme les Panama Papers l’ont bien montré, de nombreux intermédiaires – cabinets comptables, cabinets d’avocats, gestionnaires de fortunes etc… – font usage des paradis fiscaux et aident leurs riches clients à éluder ou éviter les impôts. Ils vivent des règles fiscales complexes et des incohérences entre les pays sur le plan législatif. La Commission ne fait que lancer cette semaine une consultation publique en la matière, alors que les citoyens européens attendent depuis longtemps des mesures concrètes.

10. Le renforcement des contrôles par les administrations fiscales nationales :
S’abstient malheureusement de participer aux discussions

Combattre l’évasion et l’optimisation fiscales ne peut se faire sans inspecteurs des impôts qui enquêtent sur les cas et aident les Etats à recouvrer l’argent perdu. Que les choses soient claires : il est du ressort des administrations fiscales nationales d’enquêter et le cas échéant d’engager des poursuites pour fraude et évasion fiscale. Mais lorsque l’on sait que l’administration fiscale britannique n’a fait qu’une seule enquête en la matière sur les 5 dernières années, il y a clairement un problème! Nous souhaiterions que le Président Juncker intervienne dans le débat et s’assure que les 28 font tout leur possible pour enquêter sur l’évasion fiscale.

Évaluation globale : Il y a deux ans, nous avions lancé un ultimatum à Juncker : il doit agir ou partir! Mis sous pression, Jean-Claude Juncker a pris quelques engagements en faveur de la justice fiscale, mais le bilan de cette année est fait de demi-mesures ou de progrès non concrétisés. Ce n’est que lorsqu’il se repose sur ses camarades de classe que l’on constate de réels progrès. À l’heure où sa Commission est sous le feu des critiques par manque de résistance aux conflits d’intérêt, il ne reste plus beaucoup de temps à M. Juncker pour prouver que la justice fiscale fait réellement partie de ses priorités.

Partager cet article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.