Hélène Flautre : « En Tunisie, un vrai débat politique va enfin commencer »
J’ai observé le processus électoral dans la ville de Sidi Bouzid au centre de la Tunisie. Dès 6 h 30 du matin, les files d’attente ont commencé à se former devant la petite école transformée en bureau de vote. Il y avait un monde fou et les Tunisiens et les Tunisiennes étaient très fiers, très émus de participer à cet exercice national de civisme. Ils maniaient le bulletin de vote avec beaucoup de précaution… J’ai pu constater le bon déroulement de cette journée électorale. La transparence et l’absence de fraudes dans le déroulement du vote est incontestable.
Le parti islamiste Ennahda sera en position de force dans la future assemblée constituante tunisienne. Est-ce une surprise ?
Ennahda est un parti très implanté dans la société tunisienne, en ville et dans les zones rurales, dans toutes les couches sociales. Il est visible à la télévision, présent dans les mosquées… Il s’agit de « l’objet politique » le mieux identifié du pays. Ennahda n’a pas que des activités politiques, le parti participe aussi à des actions humanitaires. Et il est le mieux organisé : un délégué était présent dans chaque bureau de vote lors de l’élection. Le score qu’il réalise est de ce fait très compréhensible. Ennahda se veut l’équivalent de l’AKP, le parti musulman-démocrate au pouvoir en Turquie. Nous en saurons plus sur sa véritable nature dans son exercice du pouvoir. Mais je pense qu’ils ne sont pas tout à fait prêts pour diriger un pays et qu’ils le savent… ils vont donc devoir composer avec les autres forces politiques progressistes.
Que dit ce scrutin sur l’état d’esprit des Tunisiens ?
Ce vote a permis pour la première fois de faire entendre la voix des populations les plus marginalisées qui se sont exprimées en masse. Cette Constituante nouvelle nous informe dans un premier temps sur la sensibilité politique du pays… Désormais, tout est à écrire ! Un vrai débat politique va enfin commencer et on peut être sûr qu’il va se passer quelque chose dans la vie politique tunisienne. La surprise de ce scrutin est également le score réalisé par le Congrès pour la République (CPR) de Moncef Marzouki qui est lui laïque mais a fait campagne sans diaboliser Ennahda. Il ne faut pas oublier que Ben Ali lui même a interdit ce parti et instrumentalisé le « tabou » Ennahda. Marzouki sera dans la coalition et Ennahda devra négocier avec lui comme avec Mustapha Ben Jaafar d’Ettakatol, un autre parti de la gauche laïque, par exemple.