Jadot accuse le gouvernement de «double discours» sur le TAFTA
Que pensez-vous du durcissement du discours de l’exécutif sur le TTIP ?
Ce discours démontre la duplicité du gouvernement par rapport au TTIP. Le gouvernement veut faire plaisir aux anti-TAFTA en leur disant : “On est prêts à quitter la négociation.” Mais les raisons pour lesquelles ils sont prêts à quitter cette négociation sont les pires des raisons, puisqu’au fond, ce que François Hollande, Manuel Valls et Matthias Fekl demandent aux Américains, c’est de libéraliser autant que l’Europe l’a fait, en particulier dans l’accès aux marchés publics. Aujourd’hui, les États-Unis ont l’intelligence d’avoir le “Buy American” (“acheter américain”), de privilégier les PME.
Les Américains ont une vision stratégique de leur industrie à travers les marchés publics, alors que l’Europe est la seule entité commerciale au monde à avoir choisi ce que l’on appelle l’ouverture par défaut de ses marchés les marchés publics sont ouverts aux investisseurs étrangers, sauf exceptions – ndlr]. Tous les autres pays du monde font des marchés publics un instrument politique. Au fond, ce que veulent Hollande, Valls et Fekl aujourd’hui, c’est que les Américains soient aussi bêtes que les Européens, qu’ils ouvrent totalement leurs marchés publics aux entreprises européennes. Ils donnent l’impression de jouer aux altermondialistes, mais la raison pour laquelle ils le font, c’est le pire du libéralisme idiot d’aujourd’hui.
Vous pourriez tout de même, en tant qu’opposant au TTIP, vous réjouir qu’un pays monte au créneau pour dire que ces négociations sont dangereuses.
Je n’ai pas entendu le gouvernement dire que ces négociations étaient dangereuses. J’ajoute que le double discours de la France est confirmé par le fait qu’aujourd’hui, Matthias Fekl, qui avait paru au départ très ouvert à la discussion, refuse désormais tous les débats publics avec les anti-TAFTA. Comme par hasard, il les annule toujours au dernier moment. Il veut apparaître comme un adversaire du TAFTA et ne surtout pas être mis devant ses contradictions.
Paris explique qu’il ne signera rien si des centaines d’indications géographiques ne sont pas reconnues par les Américains, pour protéger les productions agricoles en Europe. Ce n’est pas le “pire du libéralisme”…
Sur ce point, ils ont raison. Mais sur les marchés publics, le gouvernement ne fait que reprendre le discours des firmes de services, comme Veolia ou Suez, ou encore des groupes pharmaceutiques, qui ont tout à gagner à s’emparer d’une partie des services publics. Sous l’apparence d’un discours altermondialiste musclé, le gouvernement durcit la négociation pour obtenir plus de libéralisme de la part des Américains.
Paris estime qu’il est parvenu, avec l’aide de Berlin, à supprimer le mécanisme de règlement dit État-investisseur (ISDS), prévu dans le mandat de négociation du TTIP, et qui aurait permis à une entreprise d’attaquer en justice un État. La Commission européenne défend désormais une “cour des investissements”.
On est en train de nous faire prendre des couteaux de boucher pour des couteaux à beurre. L’ISDS a au moins l’honnêteté d’afficher la couleur : des investisseurs privés vont pouvoir attaquer les États. Le plus gros du boulot sur le nouveau système qui a été présenté, c’est de changer sa dénomination. C’est devenu une “cour”. Très bien. Certes, des éléments ont été améliorés, mais le principe est exactement le même : des investisseurs privés peuvent toujours attaquer des États lorsque ceux-ci prennent des décisions sur l’environnement, la santé, les droits sociaux.
Au moment où l’on a tellement besoin de remettre de la souveraineté démocratique, ils amplifient une mondialisation qui se déploie d’abord au bénéfice des multinationales. Dire que c’est une victoire française et que tout va bien, c’est un jeu de communication foireux. Cela revient à ignorer totalement la réalité. On est en train de construire une nouvelle hiérarchie juridique où le droit privé commercial peut prévaloir sur des droits environnementaux ou sociaux, alors même que personne n’a apporté la preuve qu’il y avait besoin de modifier le système en place.
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