Le statu quo l’emporte sur les retrouvailles attendues Erdogän-Sarkozy
On aurait pu donc imaginer, dans une approche pragmatique, qu’à l’occasion de cette visite en France du premier Ministre turc, le souci de conciliation l’emporte et qu’une ardeur à afficher les intérêts bilatéraux communs s’attache à gommer la ténacité du désaccord sur l’avenir des relations turco européennes. Les deux leaders conservateurs auraient pu nous gratifier de leur accord sur presque tout, de la réforme du système financier international à la lutte contre le terrorisme, de la lutte contre l’immigration clandestine, à la sécurité énergétique et climatique planétaire, en évitant toujours d’en venir au Désaccord. Il n’en a rien été ! La fraîcheur des relations aura été parfaitement revendiquée et assumée par l’un et par l’autre.
Erdogän est en effet venu clairement rappeler que l’adhésion à l’UE figurait au titre des priorités de la Turquie mais que ce n’était pas une exclusive. La Turquie semble avoir désormais pleinement pris conscience d’elle même et met sa puissance géostratégique au service offensif d’une influence mondiale incontournable ; il ne s’agit plus de faire la manche devant les chefs d’Etat européens pour escompter gagner un ticket d’entrée dans une Union européenne moins influente.
En désignant dés son arrivée, la politique israélienne de « menace pour la paix », Erdogän n’avait d’ailleurs manifestement pas décidé de jouer la séduction, vue la familiarité notoire de Sarkozy avec les gouvernants israéliens. Quand à celui-ci, aucun signe probant préalable ne pouvait suggérer une volonté de rupture avec l’attitude désinvolte qui avait accueillie le Président Gül à l’automne dernier.
C’est donc le statut quo sur base d’entente froide qui prévaut. Comme si chacun avait privilégié les bénéfices internes escomptés d’une fermeté affichée sur la perspective d’un avenir coopératif. Ce n’est une bonne nouvelle pour personne.
Sarkozy devrait pourtant réaliser que le succès de sa politique extérieure est largement conditionné à la bonne volonté et au succès de la diplomatie turque. En effet si le gouvernement d’Erdögan développe une intense politique de bon voisinage, de médiateur au Moyen-Orient et plus globalement d’intégration de points de vue pluriels sur le monde, la politique française apparaît, quant à elle, surtout velléitaire et dispendieuse, que l’on songe au sommet euro-méditerranéen de Paris, aux déclarations manichéistes sur le dépassement du « conflit des civilisations ». Voire parfois simplement comme une politique de représentant de commerce, quand on songe à la tournée pro nucléaire inaugurée à Tripoli !
Dans cette région cependant, du Caucase à l’Atlas, la Turquie est plus souvent qu’à son tour le meneur de jeu! Y compris en Israël où elle peut hausser le ton, sans perdre son intérêt d’allié et de médiateur avec les pays arabes ou encore en Iran où toute stratégie internationale devra nécessairement rechercher l’assentiment coopératif de cette voisine, seule aujourd’hui en capacité de construire un dialogue effectif entre les différents partis.
A feindre de l’ignorer, Sarkozy se prive d’un partenaire décisif. Mais à trop
reconnaître les mérites de son hôte turc Sarkozy prendrait le risque de convaincre, y compris l’opinion publique française, qu’il serait bien inconvenant de priver l’Europe de tant d’atouts !
Si, comme le prétend Sarkozy, en refusant l’adhésion de la Turquie et en bloquant l’ouverture de 5 chapitres de négociation, « La France serait le seul pays honnête » de l’Union Européenne, alors il serait temps de dire honnêtement à la Turquie, à l’opinion publique française et à ses homologues européens, quelle est sa conception de l’Europe. Son Europe serait-elle fondée sur le christianisme ? La Turquie ne serait elle pas européenne ? Pourrait-on continuer d’affirmer que la France est un pays laïc ? Pourrait-on considérer la liberté de religion, de croyance et de pensée, et la liberté d’expression comme des droits inaliénables, y compris pour les millions de citoyens musulmans européens ? Pourrait-on revendiquer une Europe de la démocratie et des droits de l’Homme ?… Le débat honnêtement posé pourrait être passionnant ! A vrai dire, la décision des pays de l’UE d’entamer des négociations en vue de l’adhésion de la Turquie ne fixe pas de terme précis. Elles peuvent aboutir à une adhésion, mais également à un autre résultat, y compris par la volonté de la Turquie. Or, cette question ne se posera qu’au cours des années à venir. A un moment où la France aura à sa tête un autre Président ? Et certainement à un moment où la Turquie ne sera plus le pays d’aujourd’hui. Car aujourd’hui, la priorité est de soutenir de toutes les façons la démocratisation de la Turquie, de résoudre la question kurde, de soutenir l’égalité des droits entre homme et femme, la liberté d’expression et de la presse, l’indépendance de la justice, d’encourager l’adoption d’une constitution civile et citoyenne. Et en la matière, la France figure bien au titre des Etats membres « malhonnêtes » de l’UE, refusant, par exemple, de communiquer à la Turquie les mesures qu’elle doit prendre pour se mettre en conformité avec l’acquis communautaire sur le chapitre de la justice, des libertés et de la sécurité ! Et accréditant dans le même temps et ce faisant les préjugés éculés sur une Turquie supposée arriérée !
Une Turquie démocratique au coeur de l’Union permettrait à l’Europe de gagner
infiniment en charme, en autorité, en attractivité, autant d’atouts qui se répercuteraient jusqu’en Afrique, en Asie…et dynamiseraient l’Europe !
Hélène Flautre, députée européenne Europe Ecologie, Présidente de la Commission Parlementaire Mixte UE-Turquie – 9 avril 2010 –