Les tâches concrètes d’un gouvernement économique européen Tribune de P Canfin, P Lamberts et G Schick dans Les Échos
Le gouvernement économique européen, tout le monde en parle. Mais quel contenu lui donner ? Pour répondre à cette question, procédons à une analyse critique de la situation actuelle. La gouvernance de la zone euro se résume à deux champs de la politique économique : l’inflation des prix à la consommation, qui est de la responsabilité de la Banque centrale européenne (BCE), et les finances publiques, encadrées par le Pacte de stabilité et de croissance sous la responsabilité de la Commission. En l’état, cette gouvernance comporte deux grands angles morts qui expliquent largement son inefficacité actuelle.
Le premier angle mort porte sur l’endettement privé. Les pays de la zone euro dont la situation économique est la plus dramatique sont ceux qui ont vu leur endettement privé exploser ces dernières années. L’Irlande et l’Espagne, par exemple, affichent un taux d’endettement privé supérieur à 160 % du PIB. Une explosion qui a alimenté l’inflation du prix des actifs patrimoniaux, essentiellement l’immobilier et les actifs financiers. Des dérapages qui n’ont alerté ni la Commission, focalisée sur l’endettement public, ni la BCE, focalisée sur l’inflation des biens et des services. Au contraire, avant la crise, l’Espagne et l’Irlande étaient même présentées comme les bons élèves de la zone euro en matière de finances publiques puisqu’elles respectaient les critères du Pacte de stabilité. Depuis le déclenchement de la crise, les ménages de ces pays qui se sont surendettés pour acheter leur logement voient la valeur de leur patrimoine fondre au moment où leurs revenus diminuent avec l’explosion du chômage sans que les remboursements qu’ils doivent effectuer ne baissent pour autant. Ce qui les incite à diminuer encore leur consommation, alimentant ainsi le développement du chômage. Seule voie de sortie : des dépenses publiques pour soutenir la consommation privée. Ce qui a fait exploser en retour le déficit public et fait sortir ces pays du cadre du Pacte de stabilité. Face à constat, la BCE et la Commission européenne doivent élargir leur champ d’analyse. Pour la Commission, il s’agit de sortir du dogme selon lequel seul l’endettement public est facteur de déséquilibre. Pour la BCE, il s’agit de se doter d’un objectif en matière d’inflation des actifs patrimoniaux pour lutter contre les bulles spéculatives. Un nouvel objectif qui suppose que la BCE dispose, en plus des taux d’intérêt, de nouveaux outils de pilotage du crédit, parmi lesquels la modulation des exigences de capitaux propres des banques en fonction du cycle économique dans un pays donné.
Le second angle mort de la gouvernance économique actuelle porte sur l’évolution de la compétitivité relative des Etats membres. Ainsi l’Allemagne, qui a mené une politique de rigueur salariale ces dix dernières années, a vu sa compétitivité relative nettement progresser. Ce qui n’était pas un problème au départ l’est devenu en créant des déséquilibres importants de balance courante, c’est-à-dire principalement des échanges de biens et de services. Nul ne peut reprocher à l’Allemagne d’être le principal exportateur mondial grâce notamment à la qualité de ses produits. En revanche, il est anormal que, du fait de la faiblesse de sa consommation bridée par la rigueur salariale, l’Allemagne n’importe pas plus. Une course à la déflation salariale ne peut être une solution pour l’ensemble de la zone euro. En effet, dans une économie aussi intégrée que celle de la zone euro, les excédents de balance courante des uns sont très largement les déficits des autres. La généralisation d’une telle politique ne fait que déprimer la demande et condamne la zone euro à un sous-emploi durable.
Afin d’éviter cette situation, le solde des échanges de biens et de services entre les pays membres doit devenir un indicateur clef pour la Commission européenne. Dès lors que les déséquilibres, surplus ou déficit, excèdent 3 % du PIB, la Commission doit étudier la situation et faire des préconisations de politique économique si cela se révèle nécessaire. Recommandations qui deviendraient contraignantes si la situation devait s’aggraver et dépasser les 5 % du PIB. Aujourd’hui, le déficit de la balance courante de la Grèce avec les autres pays de la zone euro (14,4 % du PIB en 2008) oblige le gouvernement grec à réagir. Mais l’excédent allemand (7 % du PIB en 2008, dont plus de la moitié avec des pays de l’eurozone) nécessite lui aussi un changement de politique en Allemagne.
PASCAL CANFIN, DÉPUTÉ EUROPÉEN EUROPE ÉCOLOGIE
PHILIPPE LAMBERTS, DÉPUTÉ EUROPÉEN, COPRÉSIDENT DU PARTI VERT EUROPÉEN
GERHARD SCHICK, DÉPUTÉ AU BUNDESTAG, PORTE-PAROLE DES GRÜNEN POUR LES QUESTIONS FINANCIÈRES