Malika Benarab-Attou : «En Algérie, on n’est pas encore dans un moment d’ouverture démocratique»

9 novembre 2011

le 02.11.11

La députée européenne du groupe Europe écologie les Verts, Malika Benarab-Attou, se dit «sceptique» quant aux réformes politiques engagées en Algérie. Pour la députée d’origine algérienne, le défi de l’Algérie est de réussir «une véritable démocratisation et une réelle intégration maghrébine».

– Quel est l’objet de votre visite en Algérie, à un moment où l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient connaissent des bouleversements politiques profonds ?

C’est une visite qui entre dans le cadre des rencontres interparlementaires entre le Parlement européen et l’Algérie. Elle intervient, il est vrai, dans un moment historique où les Tunisiens ont livré un combat qui leur a permis d’aller vers des élections libres. L’Egypte, la Libye et d’autres pays aussi en font de même. Le Maroc s’est doté d’une nouvelle Constitution, mais le problème est toujours posé et le Mouvement du 20 février n’a pas été au bout de cette ouverture tant réclamée. On parle d’une monarchie parlementaire, mais le roi garde toujours le pouvoir de gouvernance, en sus du titre de commandeur des croyants. Sans oublier le makhzen et les élites qui gravitent autour de l’autorité monarchique et qui ont un pouvoir économique important.

En Algérie, nous avons l’impression que la situation est gelée. Il y a effectivement le traumatisme de la décennie noire, mais par ailleurs, nous avons une société civile active avec des ONG, des ligues de droits de l’homme et certains journaux indépendants. Et dans le même temps, il y a cette réforme constitutionnelle. Nous avons eu, d’ailleurs, l’occasion de rencontrer des collègues parlementaires algériens qui nous disent qu’il y a de nouvelles lois qui vont sortir. On vient pour comprendre et voir ce qui est en train de se jouer.

– Allez-vous soulever ces questions avec vos interlocuteurs algériens ?

Bien évidement. En Algérie, on n’est pas encore dans un moment d’ouverture démocratique, malheureusement. Je suis assez sceptique. J’ai eu l’occasion de le dire à l’ambassadeur d’Algérie auprès de l’Union européenne, lorsque nous avons évoqué cette réforme constitutionnelle et les nouvelles lois. J’ai rencontré des représentants d’ONG, à titre indicatif, qui disent ne pas trop croire en la nouvelle loi sur les associations. Nous avons également l’impression qu’il n’y a pas une réelle indépendance des médias. J’ai peur que le pouvoir algérien ne rate le coche de la démocratisation de l’Algérie, et c’est bien dommage.

Je vais évoquer aussi la question de l’intégration maghrébine. Dans ce monde multipolaire, les Maghrébins ont tout intérêt à une réelle intégration maghrébine. Les peuples le veulent, ils se pensent comme des peuples frères, il existe des liens très forts entre ces peuples du Maghreb et je pense que l’Algérie ne peut plus continuer à fermer ses frontières. Je pense que c’est un moment opportun pour le faire, notamment en opérant un premier pas qui serait d’ouvrir la frontière entre l’Algérie et le Maroc. Je pense que la question sahraouie trouvera son règlement dans cette ouverture, parce qu’on sortira du conflit entre l’Algérie et le Maroc. Pas seulement cela. Une réelle intégration régionale permet de peser dans ce monde multipolaire, sinon le Maghreb n’aura plus de place. On pense qu’au niveau du Parlement européen cela va conduire vers une relation moins déséquilibrée, quand on veut faire des négociations il est important que nos partenaires ne soient pas trop faibles par rapport à nous. L’Algérie a besoin d’une intégration régionale et d’une démocratisation.

– L’Algérie a signé, depuis 2005, l’Accord d’association. Quelle évaluation faites-vous de cet accord en tant que parlementaire européenne ?

Quand je regarde les différents accords d’association dans le cadre de la délégation Maghreb, je trouve qu’il s’agit d’un des plus faibles. L’impression que j’ai est que l’Etat algérien n’a pas la volonté d’avoir un accord d’association avec l’Europe qui soit fort. Cela ne l’intéresse pas trop, me semble-t-il. Au final, cet accord ne profite ni à l’Algérie ni à l’Europe. Certaines lignes, avec des financement à la clé, existent, mais comme le pouvoir algérien ne souhaite pas qu’on regarde trop ce qui se passe à l’intérieur, il ne veut pas de conditionnalités liées au respect des droits de l’homme, à la démocratie, à l’indépendance des médias… Alors on n’avance pas vraiment. Il reste un accord assez faible, de mon point de vue.

– Les peuples de la région se soulèvent contre des régimes qui ont longtemps bénéficié du soutien occidental…

Il y a une espèce de myopie de la part des gouvernements occidentaux et c’était le cas aussi des Américains. Mais cette myopie a été aussi voulue par les régimes du sud de la Méditerranée, qui sont des régimes à majorité autoritaires, voire dictatoriaux, qui ont instrumentalisé la menace intégriste qu’ils ont mis en avant. «Si ce n’est pas nous, ce sera le chaos intégriste et islamiste», disent-ils. Il est vrai qu’on pense souvent au cas iranien. Mais je crois que sur la rive sud de la Méditerranée, ce n’est pas parce qu’ils sont musulmans dans leur culture qu’ils vont suivre l’exemple iranien. L’islam n’est pas un bloc, il y a des islams. Pourquoi ne pas parler alors du wahhabisme et de l’Arabie Saoudite qu’on n’évoque presque jamais alors que c’est un pays dirigé par un pouvoir autoritaire, qui instrumentalise l’islam afin de continuer d’opprimer le peuple ? Il s’agit d’un acteur important dans le monde musulman, qui diffuse beaucoup de publications, forme des imams et finance un certain nombre d’acteurs partageant cette vision d’un islam wahhabite, intégriste, qui n’est pas du tout cet Islam humaniste que moi j’ai connu, celui du Maghreb et de la Méditerranée.

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