L’Union européenne doit jouer son rôle de leadership
(article paru sur le site du Nouvel Obs)
Interview “L’UE reste plantée dans ses égoïsmes nationaux, comme le reste du monde”, déplore le député européen Yannick Jadot (Europe Ecologie), qui estime que la clé d’un accord à Copenhague dépendra surtout de la position européenne.
Quel bilan tirer de Kyoto ? Les engagements ont-ils été tenus ?
– Pour ce qui est du bilan positif, Kyoto a doté le monde d’un cadre jusqu’à ce jour unique du point de vue environnemental. C’est un cadre international négocié au sein des Nations unies, ce qui signifie que tous les pays représentés à l’Onu sont partie prenante. En outre, les engagements qui y ont été pris sont contraignants, les Etats doivent donc tenir leurs promesses. Enfin, et c’est là une spécificité du protocole de Kyoto, le principe de responsabilité commune et différenciée y a été inscrit : les pays riches les plus responsables du réchauffement climatique ont été les plus soumis à des engagements.
Mais on peut aussi dresser un bilan négatif de Kyoto : les engagements pris en 1997 étaient d’une réduction des émissions de gaz à effets de serre de 5% au niveau de la planète. Or, les pays riches ont augmenté dans l’ensemble leurs émissions de 10%. La communauté internationale a donc échoué à voir les engagements respectés. Cet échec est notamment dû aux Etats-Unis, qui n’ont jamais ratifié le protocole.
En quoi aborde-t-on différemment Copenhague par rapport à l’état d’esprit qui prévalait au moment où l’on préparait Kyoto ?
– Il y a trois grandes différences.
Premièrement, les pays émergents ont depuis pris de l’importance dans les négociations. Parce que leurs économies pèsent désormais en matière de gaz à effet de serre, l’enjeu de la qualité de leur développement est devenu essentiel. En outre, ils sont aujourd’hui à la frontière entre pays riches et pays pauvres : ils se sont industrialisés, mais demeurent encore des pays en développement. Ils font donc partie des gros émetteurs de gaz à effet de serre mais comptent encore des centaines de millions de pauvres avec tous les grands défis que cela comporte.
Deuxièmement, l’enjeu principal de Copenhague est le soutien aux pays du Sud pour faire face aux défis climatiques. C’est la reconnaissance de l’urgence absolue d’agir et celle de la responsabilité des pays riches, qui totalisent 80% des gaz concentrés (et non émis) dans l’atmosphère, tandis que les pays du Sud vont subir 80% des effets climatiques. Pendant les 50 dernières années, la relation Nord/Sud a été une relation de prédation, parfois de compassion, et de promesses non tenues, bref, une relation de hiérarchie. Il va maintenant falloir trouver une relation plus respectueuse et équitable.
Troisièmement, on assiste avec Copenhague au retour des Etats-Unis. Certes, c’est un retour on ne peut plus timide et ils arriveront à Copenhague non préparés. Mais cela reste une grande rupture par rapport aux années Bush. Il n’était pas convaincu par le réchauffement, il ne voulait pas négocier dans le cadre de l’ONU et ne voulait pas d’un accord contraignant. Avec Obama, les deux premières hypothèques ont été levées. Mais il demeure très opposé à un accord contraignant, donc à la spécificité de Kyoto.
Pour Copenhague, vous posez le problème en ces termes : soit un accord est signé pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, soit on va vers un réchauffement de la planète avec toutes les conséquences que cela comporte (crise alimentaire, tempêtes, réfugiés climatiques, etc.). Vous envisagez donc un échec ?
– Faisons le point sur le contexte. Les économies émergentes s’engagent, depuis environ six mois, à mettre en œuvre des mesures pour réduire efficacement l’impact du changement climatique. Ces engagements nationaux sont au-dessus de ce que l’on croyait pouvoir attendre d’elles. Les Etats-Unis, en revanche, ne seront pas prêts. Donc, il faut que l’Union européenne prenne le leadership des négociations. Pour l’instant, l’Europe s’engage à réduire de 20% ses émissions de gaz à effet de serre, alors que les scientifiques disent qu’il faudrait que le seuil soit de 40%, tandis qu’au parlement européen, nous avons mis la barre à au moins 30%. Pour ce qui est du soutien financier aux pays du Sud, l’UE en fait un objet tactique. Elle dit qu’elle est prête à mettre entre 2 et 15 milliards d’euros, alors qu’elle devrait mettre 30 milliards (sur les 100 milliards par an nécessaires au total). Or, si l’UE se révèle capable d’afficher ces ambitions, alors les pays émergents accepteront probablement de mettre une partie de leurs engagements nationaux dans le cadre commun. Résultat, les Etats-Unis se retrouveront isolés, montrés du doigt comme les vilains canards, et cela fera du coup bouger Obama, car ce serait un cuisant échec pour lui de se retrouver mis au banc de la communauté internationale.
Mais si l’Union européenne continue son jeu tactique où personne n’avance tant que les autres n’avancent pas, alors ce sera un échec complet.
A quoi ressemblerait un échec ?
– Il y a plusieurs types d’échec possibles.
Le premier, ce serait qu’il n’y ait pas d’accord du tout. Lors de la réunion de Barcelone, début de novembre, les pays africains ont été jusqu’à quitter la table, ce qui ne présage rien de bon. S’il y a un échec complet, il est possible que le protocole de Kyoto explose, avec toutefois une clause de rendez-vous ultérieur pour reprendre les discussions. Sachant que d’ici là, on sera fixé sur la loi climat en discussion aux Etats-Unis.
S’il n’y a pas d’accord sur le fond mais seulement un communiqué vide, on aura probablement aussi une clause de rendez-vous.
Le problème, c’est que perdre un an, c’est grave, vu l’accélération du réchauffement climatique.
Autre scénario possible, les Etats-Unis passent un accord avec la Chine qui stipule que la politique internationale sur le changement climatique n’est que l’addition d’engagements nationaux, qui seraient évalués chaque année lors de grands rendez-vous, mais sans le jeu de contraintes internationales. A mes yeux, mieux vaut un échec qui explicite les responsabilités et les conflits en présence. Cela mettrait plus la pression qu’un accord au rabais.
Quel serait selon vous un accord satisfaisant ?
– Il faudrait un accord contraignant, et des engagements avec des objectifs comptables. Que les pays riches s’engagent à réduire de 25 à 40% les émissions de gaz à effet de serre. C’est ce qu’ils ont signé à Bali. Qu’ils s’engagent à aider les pays du Sud à hauteur de 100 milliards d’euros par an. Et qu’une partie des engagements nationaux des pays émergents soient inscrits dans le cadre international.
On entend dire que Copenhague doit être le point de départ et non le point d’arrivée. Qu’est-ce que cela signifie ?
– Cela signifie qu’il va y avoir encore des négociations après la conférence de Copenhague. Car elles ont déjà pris trop de retard. Si Copenhague ne débouche pas sur un échec, il va falloir ensuite négocier les conditions de l’accord car ce sera un accord politique mais pas juridique.
La question du réchauffement climatique pose de manière évidente le problème de la division Nord/Sud. Vous dîtes, et vous n’êtes pas le seul, que les pays riches doivent être les pionniers et doivent se montrer solidaires avec les pays pauvres. Ne participez-vous pas, en posant le problème en ces termes, à cette division ?
– Un Kenyan émet 0,5 tonne de CO2 quand un Américain en émet 20 tonnes. Même un Chinois émet cinq fois moins qu’un Américain. Et du fait des délocalisons de nos usines en Chine, on peut dire que les Chinois émettent aussi du CO2 à notre place. C’est une réalité, distinguer les deux est la moindre des justices. Plus tard, quand les pays émergents auront atteint la phase suivante, il faudra alors revoir les termes de l’accord.
Quand les Américains expliquent qu’ils ne s’engageront pas tant que les Chinois ne feront pas de même, c’est nier que la responsabilité n’est pas la même, pas plus que le niveau de richesse. C’est juste un argument pour ne pas agir. De plus, et Yvo de Boer (le patron des négociations climat de l’ONU, ndlr), l’a rappelé récemment, les efforts mis sur la table par les Chinois sont plus importants que ceux des Européens. Le problème c’est comment passer des engagements nationaux au cadre international. Autrement dit, quelle part de leurs engagements nationaux doit devenir contraignants.
En pleine crise économique, comment croire à qu’un tel engagement financier à destination des pays pauvres soit possible ?
– Ce n’est même pas ce qui a été versé à Wall Street cette année en bonus et rémunérations complémentaires en tous genres ! Et puis, c’est progressif, l’objectif de 100 milliards d’euros par an devra être atteint en 2020. La somme investie sera de toute façon bien moins importante que ce que le réchauffement climatique nous coûtera si on laisse faire.
Vous dîtes que les pays riches ont tout à gagner en s’engageant à Copenhague, car cela créera notamment des emplois. Comment expliquez-vous que ces arguments ne parviennent pas à convaincre ?
– Pourquoi Nicolas Sarkozy continue-t-il de vendre des centrales nucléaires ? Les dirigeants ont conservé le logiciel des Trente Glorieuses, ils ont le fantasme d’un retour à la croissance quel que soit le moyen.
Conclusion, vous êtes plutôt pessimiste…
– Oui. Je veux croire que l’UE a la capacité d’intervenir mais je ne suis pas très confiant dans sa capacité à assurer le leadership qu’elle devrait avoir. Elle reste plantée dans ses égoïsmes nationaux, comme le reste du monde.
Vous avez quitté Greenpeace pour entrer en politique. Aujourd’hui, pensez-vous que votre action en politique est plus efficace que celle que vous meniez au sein de l’association pour contribuer à faire avancer les choses sur le plan écologique ?
– L’action de Greenpeace continue à porter ses fruits. Il n’y a qu’à voir l’Ultimatum climatique qu’elle a lancé avec d’autres associations, qui marche très bien. Le problème, c’est l’indigence politique en terme environnemental. Et pour faire bouger les choses sur le plan de l’écologie politique, il faut entrer en politique, j’en reste convaincu.
Pourtant, Europe Ecologie se querelle avec les Verts sur la question des listes pour les élections régionales. Cela ne risque-t-il pas de brouiller votre message ?
– On est plus dans Copenhague en ce moment que dans les régionales. Mais pour répondre à votre question, l’ouverture, le dépassement sont en train de se faire, cela suscite des tensions mais la très vaste majorité suit ce mouvement d’élargissement de l’écologie politique. Des têtes de liste sont attribuées à d’autres que des Verts. Le mail de Dany traduit son impatience, qui est aussi une impatience collective, on est pressé que tout cela se structure. Et je reste convaincu qu’Europe Ecologie est le bon cadre pour mon engagement, qu’il est nécessaire et complémentaire des mobilisations citoyennes.
Interview de Yannick Jadot par Sarah Halifa-Legrand
(le lundi 9 novembre) Nouvel Obs.com : lien de l’article ici