Panama Papers : La Société Générale nous a-t-elle dit la vérité ?
Près d’un an après le scandale des Panama Papers, la Commission du Parlement européen (Commission PANA) créée pour enquêter sur cette affaire, continue son travail d’investigation. L’un des principaux axes de notre travail au sein de cette Commission est d’évaluer le rôle joué par les intermédiaires, tels que les banques, les cabinets d’avocats ou les prestataires de services aux entreprise qui conseillent leurs clients sur où et comment cacher leur argent. Dans une étude publiée récemment, les Verts européens ont déjà démontré que nombre d’entre eux sont basés en Europe (en particulier au Royaume-Uni, en Suisse et au Luxembourg) et que les grandes banques comme UBS, Crédit Suisse, HSBC ou Société Générale comptent parmi les 20 premiers intermédiaires à l’échelle internationale.
Lundi 6 mars se tenait la troisième d’une série d’audiences sur le rôle des intermédiaires dans la facilitation de l’évasion et de la fraude fiscales. Ce fut l’occasion d’interroger les acteurs français et suisses, y compris les grandes banques, sur leur implication dans le scandale des Panama Papers. Si les banques françaises BNP Paribas et Société Générale ont bel et bien envoyé un représentant pour répondre aux questions des députés européens, leurs homologues suisses UBS et Crédit Suisse ont malheureusement refusé notre invitation. Un manque de respect envers le Parlement européen d’autant plus profond que le matin même de notre réunion, les présidents d’UBS et du Crédit Suisse, Axel Weber et Urs Rohner, avaient rencontré à Bruxelles le vice-président de la Commission européenne Jyrki Katainen et qu’ils participaient le lendemain matin à la conférence annuelle de leur lobby européen, le Swiss Finance Council.
Dans l’ensemble, les réponses concrètes ont été rares à cette réunion. Lorsque Eva JOLY, députée européenne, a interrogé Patrick Suet de la Société Générale sur les propriétaires réels des fondations Rousseau et Valvert mentionnés dans les Panama Papers, il lui a répondu que ces dernières avaient été créés pour les clients et qu’elles n’appartenaient pas à la banque. Il est fort dommage que M. Suet n’ait pas regardé France 2 le 28 février, lorsque l’émission Cash Investigation a révélé des preuves concrètes du contraire. Dans ce programme, les journalistes ont en effet dévoilé un document inédit issu des fuites des Panama Papers, un échange d’emails entre la Société Générale et le cabinet d’avocats panaméen fournisseur de services corporatifs, Mossack Fonseca.
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C’est la raison pour laquelle Eva JOLY a demandé à la Commission d’enquête du Parlement européen d’inviter la journaliste française Elise Lucet au Parlement, afin que nous puissions entendre une autre version des faits. Elise Lucet et son équipe disposent de documents très précieux et ont fait un travail d’investigation journalistique qui pourrait fortement aider notre enquête parlementaire.
Pendant son audition, la Société Générale n’a pas plus répondu aux autres questions pourtant très précises d’Eva Joly. D’après nos informations, la « Société Générale Bank and Trust » au Luxembourg aurait signé en 2010 un contrat de quatre ans avec Mossack Fonseca et en aurait fait son unique prestataire de services pour la création de sociétés offshore. Dans le cadre de ce contrat, Mossack Fonseca aurait notamment été en charge de fournir des conseils sur la manière de déplacer les sociétés offshore de la Société Générale vers les Seychelles au moment où la législation devenait plus stricte dans les Îles Vierges Britanniques. Mossack Fonseca aurait également eu pour mission d’aider les clients de la filiale suisse de la Société Générale ainsi que de distribuer des « cadeaux de Noël » aux principaux dirigeants de la banque française.
Malheureusement, Eva JOLY n’a obtenu aucune réponse, ni sur la date, ni sur la durée, ni sur le contenu du contrat entre la Société Générale et Mossack Fonseca. Les réponses se font toujours attendre aussi concernant les raisons pour lesquelles la Société Générale a choisi le Panama comme destination privilégiée, et pourquoi de nombreuses sociétés ont été récemment créées à Malte. Selon nos informations, en 2014, Mossack Fonseca aurait indiqué à la Société Générale que Malte était une nouvelle destination attractive pour leur business.
Le fait que certaines banques n’ont même pas pris la peine de se présenter devant la Commission d’enquête du Parlement européen est scandaleux. Mais il est tout autant déplorable que des banques comme la Société générale s’y présentent sans apporter aucune réponse aux légitimes questions de nos députés.
L’enquête du Parlement européen est pourtant cruciale : elle vise à mettre en lumière les pratiques passées et à regarder si celles-ci ont disparu (nous avons de sérieux doutes à ce propos). Si des banques ou d’autres intermédiaires aident leurs clients à échapper à l’impôt ou à blanchir de l’argent, il est nécessaire de les considérer comme co-auteurs de ces crimes et donc de les poursuivre.
C’est pourquoi nous accueillons avec satisfaction l’extension pour six mois – jusqu’en décembre 2017 – de l’enquête menée par le Parlement. En attendant la conclusion des travaux de la commission d’enquête, vous pouvez encore regarder l’audition du 6 mars ci-dessous et faire circuler l’information suivante : sans l’aide des banques et autres intermédiaires, il n’y aurait pas d’évasion fiscale ni de blanchiment d’argent…