Politique étrangère : l’Europe manque d’Union

11 septembre 2012
L’évolution de plusieurs dossiers internationaux ne peut qu’inquiéter, alors que l’Europe joue des intérêts essentiels, à commencer par des enjeux de sécurité majeurs aux portes mêmes de l’Union Européenne. Mais on sent bien qu’une impuissance globale frappe la diplomatie de l’Europe face aux puissances concurrentes. Dans ce monde périlleux, l’Europe manque d’union.
Le dossier syrien tient encore et toujours le devant de l’actualité, sans que Bachar El Hassad n’apparaisse définitivement affaibli. En Iran, le compte à rebours a commencé d’une arme atomique qui pourrait tout déstabiliser au Moyen Orient. En Afghanistan, c’est un retrait définitif qui s’annonce, sur fond d’échec de l’intervention occidentale incapable d’instaurer un État démocratique, avec moins de corruption et une véritable légitimité. Plus près de nous, la situation du Nord Mali (Azawad) est hors contrôle, tandis que les démocraties du printemps arabe semblent étouffées dans l’œuf par la montée des islamistes.

L’Europe, puissance mondiale incontestée au plan économique, est aux premières loges de la plupart de ces conflits lourds de menaces pour l’avenir. Mais elle apparaît incapable de dominer les luttes d’influence avec les autres puissances mondiales. A l’ONU, la France et la Grande Bretagne disposent chacun d’un siège au Conseil de Sécurité et l’Union Européenne, créée après la fin de la deuxième guerre mondiale, doit passer par eux. Les britanniques sont restés satellisés par la puissance américaine, tandis que la France joue « perso » et n’exerce pas, ou trop peu, de complémentarité avec les autres diplomaties d’Europe, qui sont d’ailleurs toutes marquées par une volonté d’exister plus que par une volonté d’être efficaces.
Le jeu des grandes puissances est cynique et dicté par une réalité simple : est, et reste une « grande puissance », celui qui dispose d’une force d’armement supérieure. Pour chacun, le lobby militaro-industriel est donc le déterminant principal, et, en France, chacun connait son poids : Dassault, EADS (Fusée Ariane, Eurocopter, etc..), Thalès (bombes en tous genres), chantiers navals (porte-avion et autres navires de guerre) et bien d’autres encore…, ainsi que les enjeux de concurrence à l’échelle mondiale avec les Russes, les Américains et bientôt les Chinois. Pour vivre économiquement, un tel consortium ne peut se contenter du marché intérieur. Il doit impérativement exporter.

Dès lors, on comprend mieux pourquoi le dictateur syrien pourrait bien passer le cap d’une révolution arabe qui a emporté ailleurs des dirigeants moins bien établis, Kadhafi en Libye ou Moubarak en Egypte. Ses mentors internationaux -Chine et Russie- vont en effet très probablement le soutenir jusqu’au bout.

Qu’est-ce qu’un mentor international ? Très rapidement résumé, c’est un marchand d’armes lourdes qui dispose d’un pouvoir de véto au sein du Conseil de sécurité de l’ONU. Comprenons le mécanisme : quand le chef d’un Etat à la démocratie plus que limitée achète des armes, il n’achète pas qu’une panoplie d’engins de guerre. Il achète aussi un « droit de véto » au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, pour se garantir, le jour venu, contre une action internationale qui, si elle est votée de façon unanime contre lui, entraînerait inéluctablement sa perte. Et le jour où son peuple appelle à plus de démocratie, il bénéficie jusqu’au bout de l’appui de son mentor qui lui permet, par son véto à l’ONU, d’éviter les sanctions internationales les plus lourdes, à commencer par la zone d’exclusion aérienne telle qu’elle avait été mise en place en Irak au dessus du Kurdistan sous Saddam Hussein.

Or, tant qu’ils subiront les assauts aériens des MIG vendus à la Syrie par la Russie, les opposants à Bachar El Assad seront écrasés sous les bombes. Et en soutenant mordicus le régime syrien, les autorités russes lancent le message dont ils ont besoin pour arracher de nouveaux clients : vous pouvez compter sur nous, nous vous soutiendrons coûte que coûte.

La mésaventure d’un avion turc -de fabrication américaine- abattu il y a quelques semaines par la DCA après un survol « fortuit » de la Syrie est venue confirmer que la zone d’exclusion aérienne exigerait des moyens considérables. Visiblement, les américains, par autorités turques interposées, étaient tentés. Les Russes ont mis leur véto,… et l’Europe n’a rien dit, ou n’a rien pu dire, tiraillée entre des corps diplomatiques pléthoriques et contradictoires. C’est ainsi que ce conflit est en train de basculer au profit des dictatures, avec en arrière-plan la question iranienne.
En fait, c’est toute l’organisation diplomatique de l’Europe et de ses États qui doit être revue de fond en comble. Réfléchissons un instant : quel est désormais l’intérêt d’avoir une ambassade de France en Belgique, ou une ambassade de Belgique aux Pays Bas ? Face aux enjeux réels de sécurité dans le monde, où il faut soutenir l’essor des démocraties qui seules peuvent garantir la paix, pourquoi « s’espionner » entre européens alors qu’il y a tant à faire ailleurs ?

Les États européens cherchent des milliards d’euros à économiser pour rétablir leurs comptes publics. Ils seraient bien inspirés de chercher de ce côté là. Et surtout, en faisant corps sur la scène mondiale, ils pourraient être à la hauteur de leurs responsabilités. Au rythme où le monde évolue, c’est la nouvelle priorité de la construction européenne.

François ALFONSI

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