Tunisie : la scandaleuse condamnation de Taoufik Ben Brik, par William Bourdon, Hélène Flautre, François Gèze
L’atroce comédie en quatre actes se déroule sous nos yeux, mais, en haut lieu, personne ne bouge.
Acte I : le 25 octobre 2009, le général Zine el-Abidine Ben Ali est « réélu » pour un cinquième mandat à la tête de la Tunisie avec 89,62 % de suffrages exprimés, s’attirant aussitôt les « sincères » félicitations du président français, Nicolas Sarkozy.
Acte II : le même jour, à 16 h 45, le journaliste Taoufik Ben Brik, infernal trublion depuis plus de dix ans – et qui depuis des semaines distillait ses billets assassins contre le régime tunisien sur de nombreux sites Web –, fait l’objet d’une provocation, qu’il dénonce immédiatement par des posts aux sites Web français : alors qu’il va chercher sa fille de dix ans à l’école, il est violemment pris à partie par une automobiliste, qui l’accuse contre toute évidence d’avoir heurté son véhicule et de l’avoir agressée.
Acte III : le 29 octobre, Ben Brik est placé sous mandat de dépôt pour « atteinte aux bonnes mœurs », « diffamation », « agression » et « détérioration des biens d’autrui ».
Acte IV : après un simulacre de procès de quelques heures le 19 novembre, le journaliste est condamné, le 26 novembre, à six mois de prison ferme.
Réaction officielle de la France, a minima, par la voix du porte-parole du Quai d’Orsay : « Nous regrettons cette décision et rappelons notre attachement à la liberté de la presse en Tunisie comme partout dans le monde. »
Réaction officielle de l’Union européenne : aucune.
Et pourtant, la « punition » de Ben Brik est loin d’être un acte isolé : dès le lendemain de sa réélection, Ben Ali a brusquement intensifié les actes d’agression et de harcèlement à l’encontre de nombreux journalistes et opposants. Au-delà de ces victimes, cette série de provocations très calculées, frappant notamment un symbole historique de la révolte, vise à l’évidence un double objectif.
En premier lieu, adresser un avertissement aux foyers d’opposition internes à la dictature, de plus en plus nombreux. Ceux du peuple, dont témoignent notamment les émeutes du bassin minier de Gafsa en 2008, durement réprimées. Mais aussi ceux qui se font jour au sein de la bourgeoisie, de plus en plus bousculée par la vaste entreprise de prédation des richesses du pays conduite depuis plusieurs années par la famille de Leila Trabelsi, l’épouse du président, qualifiée par certains de « régente de Carthage ».
Et en second lieu, « tester » la réponse de la communauté internationale des États à ce durcissement répressif. Dans l’attente qu’elle continuera à « couvrir », comme elle l’a fait depuis l’arrivée au pouvoir de Ben Ali en 1987, les violations des droits de l’homme qui sont le cœur de cette « si douce dictature » que dénonçait Ben Brik dans son livre publié en 2000.
A ce jour, le test est malheureusement positif, comme en témoignent les « non-réactions » que nous avons évoquées. Et cela, en tant que citoyens européens, nous ne l’acceptons pas. Car c’est en notre nom que l’Union européenne a signé avec la Tunisie un « accord d’association », entré en vigueur le 1er mars 1998, pour développer les échanges économiques entre les deux partenaires. Un accord dont l’article 2 stipule : « Les relations entre les parties, de même que toutes les dispositions du présent accord, se fondent sur le respect des principes démocratiques et des droits de l’homme qui inspirent leurs politiques internes et internationales et qui constituent un élément essentiel de l’accord. »
La violation de cette clause par Carthage aurait dû de longue date entraîner, de la part des États membres de l’Union européenne, et de la France au premier chef, la suspension de l’accord d’association. L’atroce comédie dont est victime aujourd’hui Taoufik Ben Brik, même s’il devait être gracié par Ben Ali – ce que nous souhaitons évidemment –, montre à quel point cette clause semble n’être qu’un chiffon de papier pour ceux qui prétendent nous représenter. Il est plus que temps d’en finir avec cette hypocrisie, par la suspension, au nom de la violation de son article 2, de l’accord d’association entre l’Union européenne et la Tunisie, jusqu’à la libération de Ben Brik et de tous les prisonniers d’opinion et à l’engagement formel du gouvernement tunisien de pleinement respecter les clauses de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Premiers signataires : William Bourdon, avocat ; Hélène Flautre, députée européenne ; François Gèze, éditeur ; Jean-François Julliard, secrétaire général de RSF ; Noël Mamère, député ; Gilles Perrault, écrivain ; Éric Sottas, secrétaire général de l’OMCT ; Marie-Christine Vergiat, députée européenne : Jean Ziegler, sociologue.