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Economie : la gauche doit regagner la bataille des idées

27 mai 2007
En matière économique, la gauche a perdu la bataille des idées. Selon les enquêtes qualitatives de l’institut CSA, pour les Français, le « souhaitable est de gauche, mais le possible est de droite ». Les Français souhaitent plus de services publics, de protection sociale, de maîtrise de la mondialisation. Mais ils pensent aussi que dans l’économie mondialisée la seule façon pour la France de s’en sortir est de baisser les impôts « de ceux qui réussissent », de « libérer » le travail, de diminuer « les charges » et la dette publique. Une fois ce programme accompli la France sera plus compétitive, plus forte et pourra, éventuellement, financer davantage de protection sociale, de sécurisation des emplois, de services publics… Bref, pour atteindre le souhaitable de gauche, il faut passer par le possible de droite !
Pour espérer gagner les prochaines batailles électorales, la gauche doit d’abord gagner celle des idées. Cette bataille, la gauche l’a perdue non dans la qualité (ou l’absence de qualité) de ses réponses, mais dans la façon de poser les questions. Demandez aux Français quel est le principal problème économique auquel la France doit faire face, la réponse de la majorité sera « la mondialisation qui détruit nos emplois ». A force de mettre systématiquement l’accent sur les entreprises qui délocalisent, sur la concurrence des chinois ou du plombier polonais, une partie de la gauche a contribué à faire passer l’idée que la mondialisation libérale est un rouleau compresseur qui s’impose à l’ensemble de l’économie française et que toute tentative de régulation sociale (extension des 35 heures, augmentation du Smic…) et environnementale (normes pour lutter contre le dérèglement climatique…) se traduira, tôt ou tard, par des délocalisations massives. Persuadés du caractère incontournable de cette épée de Damoclès et totalement sceptiques sur la possibilité de voir advenir une alternative globale au capitalisme mondialisé, les Français préfèrent renoncer aux 35 heures pour préserver leur emploi, avoir une moindre retraite pour ne pas augmenter les charges sociales qui pèsent sur les entreprises, etc… Ce qui reste de Billancourt est désespéré.

Essayons donc de remettre la mondialisation à sa place. Environ 80 % de qui est produit en France est consommé en France. Et 80 % de ce qui est exporté l’est dans l’Union européenne. 80 % de nos emplois sont des emplois de services et du bâtiment dont l’immense majorité ne sont pas délocalisables comme les enseignants, les médecins, les éboueurs, les agences immobilières, les artisans, les ouvriers qui construisent nos maisons… Les délocalisations sont dramatiques pour les personnes et les territoires qui les subissent et il faut mettre en place les dispositifs nécessaires pour accompagner ces mutations. Mais on ne peut pas réduire l’évolution de l’économie française à la mondialisation. L’immense majorité de nos emplois, et notamment ceux qui se créent massivement dans les services aux personnes, dans les collectivités locales, dans le bâtiment… n’ont strictement rien à voir avec la mondialisation.

Remettre la mondialisation a sa place, c’est aussi montrer que si le politique le veut, ou plutôt quand le politique le veut, il peut reprendre la main sur les multinationales, icônes du capitalisme mondialisé. L’an dernier, l’Union européenne a adopté la directive Reach qui impose des obligations de transparence à l’industrie chimique pour qu’elle utilise le moins possible les substances polluantes et dangereuses pour notre santé. Malgré un lobbying acharné des multinationales du secteur, soutenu par le gouvernement français, la commission et surtout le parlement européen ont tenu bon et ont imposé de nouvelles règles qui disent en substance aux multinationales : vous pouvez produire où vous voulez, en Inde, au Brésil ou en Afrique du Sud, mais si vous voulez vendre sur le marché de l’Union, vous devez respecter ces obligations. Or, aucune multitnationale, quelque soit sa puissance, ne peut se passer du marché européen. Et aucun Etat n’a attaqué cette réglementation devant l’organisation mondiale du commerce (OMC) car les règles de l’OMC prévoient déjà que tout ce qui protège la santé humaine peut justifier des limites au libre échange. Avec cette méthode d’accès sélectif au marché, l’Union européenne tient un outil imparable, non pas pour fermer ses marchés mais pour accroître les standards de production partout dans le monde, y compris au Brésil, en Inde, et en Afrique du Sud. Et ainsi maîtriser la mondialisation.

Faut-il forcément passer par l’Union européenne ? C’est mieux, mais ce n’est pas indispensable. Le projet pour « rendre possible le souhaitable de gauche » peut passer aussi par cette autre belle idée qui est le couple franco-allemand, totalement vidée de sens politique depuis une décennie. La France est le premier partenaire économique de l’Allemagne. Et l’Allemagne est le premier partenaire économique de la France. Plutôt que de se faire la guerre économique en baissant à tour de rôle le coût du travail ou les impôts payés par les entreprises au nom de nos compétitivités respectives, engageons une politique de coopération économique. Harmonisons nos taux d’imposition sur les facteurs économiques les plus mobiles comme le capital et le bénéfice des entreprises, menons des politiques de recherche et d’innovation commune et coordonnée pour faire advenir les centaines d’innovations dont nous allons avoir besoin pour lutter contre le réchauffement dramatique de la planète. Décidons ensemble de dire que les produits que nous importons devront respecter les normes sociales fondamentales de l’organisation internationale du travail. Aucune multinationale ne peut se passer de nos deux marchés réunis. Aucun Etat de l’Union ne nous attaquera devant l’OMC. La Chine et l’Inde le feraient-elles ? Rien n’est moins sûr. Car depuis un an, ces deux géants sont confrontés à des tensions sociales internes de plus en plus fortes. Malgré la répression, il n’y a jamais eu autant de grèves en Chine. Ce qui a conduit l’Etat a expliqué aux multinationales qu’il leur faudrait à terme respecter la législation sur le paiement des heures supplémentaires ou sur le salaire minimum. Multinationales qui ont aussitôt brandi le chantage à la délocalisation. Mais où délocaliser une fois que l’on a quitté les Etats-Unis et l’Europe pour la Chine et l’Inde ? On le voit les temps sont peut être mûrs pour que, dans l’économie réelle telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, et non dans une économie rêvée succédant à un hypothétique grand soir, des politiques de gauche puisse reprendre la main sur la mondialisation. C’est quand la gauche propose un espoir qu’elle est la meilleure et la plus utile. C’est cette espérance que porte aujourd’hui l’écologie politique.

Pascal Canfin

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