Égypte : la Commission européenne s’enquiert des exportations françaises d’outils de cyber surveillance

8 février 2022

Les exportations françaises de matériel de cyber surveillance aux autorités égyptiennes ont été nombreuses ces dernières années, bien que l’Égypte soit engagée dans une répression politique très forte.

Le média Disclose avait révélé en novembre 2021 l’existence de plusieurs contrats et le contexte de leur autorisation par le Ministère de l’Économie, amenant des nouveaux éléments à la connaissance du public. Mounir Satouri, rapporteur permanent du Parlement européen sur l’Égypte, a interpellé la Commission européenne sur la non-conformité de ces exportations avec les règlements européens régissant les exportations de biens à double usage. 

Aujourd’hui, en réponse à cette interpellation rejointe par 34 autres eurodéputé-e-s, la Présidente de la Commission annonce que ces services s’enquièrent des circonstances de ces autorisations et leur conformité avec le droit européen, aux vues des obligations concernant les droits humains contenues dans ces règlements.

 

Réponse de la Présidente de la Commission Ursula Von der Leyen

 
 

Lettre sur les exportations françaises d’outils de cyber surveillance au régime égyptien

Bruxelles, 20 Décembre 2021

 À la Présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, au Haut Représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et Vice-Président de la Commission, Josep Borrell, et au Commissaire chargé du commerce extérieur, Valdis Dombrovskis

 

Madame la Présidente, Monsieur le Haut Représentant et Monsieur le Commissaire,

 

Dans le cadre des révélations sur les dimensions de la coopération franco-égyptienne qui violent les droits humains en Égypte, le média indépendant Disclose a récemment révélé que 3 entreprises françaises ont vendu des outils de cybersurveillance au régime égyptien. Ces exportations sont nécessairement autorisées par le Service de contrôle des biens à double usage (SBDU), placé sous la responsabilité du Ministère français de l’Économie.

 

Disclose a documenté que la SBDU a autorisé depuis 2014 le déploiement par Nexa Technologies du logiciel de surveillance Cerebro et la vente par Ercom-Suneris de l’outil d’espionnage et de géolocalisation téléphonique Cortex Vortex à l’Égypte. Il semblerait qu’il ait également autorisé Dassault Systèmes à vendre le moteur de recherche Exalead aux services de renseignement égyptiens.

 

Par ailleurs, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) a également dénoncé dès 2018 l’exportation par la société Idémia de la base de données Morpho au régime égyptien.

 

Par la présente, nous demandons à la Commission d’examiner l’ouverture d’une procédure d’infraction à l’encontre de la France pour ses infractions et manquements aux obligations qui lui incombent en vertu de règlements successifs sur l’exportation de biens à double usage.

 

Le règlement de refonte relatif à l’exportation de biens à double usage (2021/821), entré en vigueur le 9 septembre 2021, précise que les États membres devraient tenir dûment compte des risques de violations des droits de l’homme, évidents en l’espèce, lorsqu’ils autorisent l’exportation d’articles de cyber surveillance et, par la suite, l’assistance technique nécessaire. Nous sommes donc particulièrement soucieux de clarifier si la France a violé des règles européennes explicites depuis septembre 2021 en omettant délibérément de révoquer ces autorisations. Selon nos informations, le système d’espionnage téléphonique Cortex Vortex est en ce qui le concerne toujours en fonctionnement.

 

La Commission est chargée de veiller à ce que tous les États membres de l’UE appliquent correctement la législation de l’UE. Nous demandons donc à la Commission d’exiger de la France qu’elle divulgue toute assistance technique fournie au régime égyptien par ces entreprises et de préciser si la SBDU avait dûment informé ces entreprises que ces systèmes étaient susceptibles d’être utilisés à des fins de répression (en particulier comme le prévoit le règlement 2021/821).

 

Nous notons également que la législation européenne était déjà restrictive au moment de la signature des contrats de ces entreprises avec l’Égypte. Le règlement sur les exportations de biens à double usage (428/2009) était mis à jour depuis octobre 2014 à la lumière d’une nouvelle catégorie de biens à double usage de l’Arrangement de Wassenaar.[1] Cette catégorie semble correspondre à certains des articles que ces entreprises ont vendus à l’Égypte. C’est pourquoi nous estimons également qu’il est nécessaire que la Commission examine la conformité des autorisations de la SBDU et des exportations de ces entreprises au titre de cette version précédente du règlement sur l’exportation de biens à double usage.

 

Nous considérons que la France a pu violer les règlements 428/2009 et 2021/821 et que les entreprises également. Aujourd’hui, l’Égypte compte 65 000 prisonniers politiques. Dans notre résolution de décembre 2020, nous avons condamné l’intensité de cette répression et appelé les États membres à cesser toutes les exportations vers l’Égypte de technologies de surveillance et d’autres équipements de sécurité susceptibles de faciliter les attaques contre les défenseurs des droits de l’homme et les militants de la société civile, y compris sur les médias sociaux, ainsi que toute autre forme de répression interne.

 

Madame la Présidente, Monsieur le Haut Représentant et Monsieur le Commissaire, nous vous remercions d’avance pour l’attention que vous porterez à ces faits de la plus haute importance pour le respect des droits humains et le respect du droit européen.

 

Sincèrement,

 

Mounir Satouri, Rapporteur Permanent sur l’Égypte du Parlement européen

Markéta Gregorová, Rapporteur du Parlement sur le Règlement 2021/821

Philippe Lamberts, Verts/ALE

Rosa D’Amato, Verts/ALE Brando Benifei, S&D

Özlem Demirel, GUE

Yannick Jadot, Verts/ALE

Karen Melchior, Renew

Bettina Vollath, S&D

Ignazio Corrao, Verts/ALE

Patrick Breyer, Verts/ALE

Saskia Bricmont, Verts/ALE

Giuliano Pisapia, S&D

Eleonora Evi, Verts/ALE

Clare Daly, GUE

Marcel Kolaja, Verts/ALE

Henrike Hahn, Verts/ALE

Tineke Strik, Verts/ALE

Idoia Villanueva Ruiz, GUE

Tilly Metz, Verts/ALE

Miguel Urban Crespo, GUE

Mikulas Peksa, Verts/ALE

Katrin Langensiepen, Verts/ALE

François Alfonsi, Verts/ALE

Benoît Biteau, Verts/ALE

Damien Carême, Verts/ALE

Hannah Neumann, Verts/ALE

David Cormand, Verts/ALE

Gwendoline Delbos-Corfield, Verts/ALE

Karima Delli, Verts/ALE

Claude Gruffat, Verts/ALE

Michèle Rivasi, Verts/ALE

Caroline Roose, Verts/ALE

Marie Toussaint, Verts/ALE

Salima Yenbou, Verts/ALE

[1] Catégorie 5. A. 1. f.1. concernant « les équipements mobiles d’interception ou de brouillage des télécommunications, et leurs équipements de surveillance, comme suit, et leurs composants spécialement conçus; Équipement d’interception conçu pour l’extraction de la voix ou des données, transmis par l’interface aérienne »

Pour la presse bruxelloise, un signe de pression de la Commission sur la France

Dans un article du 9 Février, EU Observer analyse que « la France [est] sous pression de l’UE pour des ventes de surveillance à l’Égypte ».

Le président égyptien Abdel Fattah Al-Sisi (en bas à droite) à la conférence de Paris sur la Libye (Photo : Union européenne)

 

Par NIKOLAJ NIELSEN

BRUXELLES, 9. Février, 21:12

 


La Commission européenne a demandé à la France si elle autorisait la vente de technologies de cybersurveillance à l’Égypte, un pays où les rapports de répression sont devenus monnaie courante sous le président Abdel Fattah al-Sisi.

L’enquête a fait l’objet d’une lettre du 8 février écrite par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, à un membre du Parlement européen qui avait pressé les autorités européennes d’enquêter.

« Mes services sont en contact avec l’autorité française compétente pour clarifier les circonstances de ces cas et leur conformité avec la réglementation européenne en matière d’exportation », écrit von der Leyen dans la lettre adressée à l’eurodéputé vert français Mounir Satouri.
 
Satouri, ainsi qu’une poignée d’autres législateurs européens, avaient demandé en décembre à la Commission européenne d’agir après un rapport de Disclose, un média et groupe de plaidoyer basé en France, selon lequel la France autorisait l’exportation de logiciels de surveillance fournis par un certain nombre d’entreprises françaises.
 
L’enquête remet en lumière les liens étroits entre certains gouvernements européens et le régime d’al-Sissi, qui a été accusé d’exécutions extrajudiciaires et de torture – mais qui travaille également main dans la main avec l’UE pour freiner la migration irrégulière et réprimer les réseaux terroristes.
 
« Le gouvernement français actuel place ses relations commerciales avec l’Égypte sur les ventes d’armes et autres exportations avant la protection des droits humains et les préoccupations stratégiques à plus long terme », a écrit Satouri à EUobserver dans un communiqué envoyé par courrier électronique.
L’intervention de von der Leyen est également gênante pour l’actuelle présidence française de l’UE ainsi que pour le président français Emmanuel Macron, qui fin 2020 a honoré al-Sissi de la Grand-Croix de la Légion d’honneur.
 
Les autorités françaises chargées des exportations au sein du ministère français de l’Économie ont autorisé l’accord, selon Disclose.
 
Interrogés mercredi, les responsables du gouvernement français à Bruxelles ont refusé de commenter les ventes raportées à l’Égypte.
 
L’enquête intervient moins de 10 jours avant le sommet UE-Union africaine des 17 et 18 février et la présence attendue d’al-Sisi.

« Dérouler le tapis rouge pour Sissi alors que son gouvernement est responsable d’horribles abus systématiques serait extrêmement problématique, c’est un euphémisme », a déclaré Claudio Francavilla de Human Rights Watch.

Plus tôt ce mois-ci, plus de 170 députés nationaux et législateurs européens ont signé une lettre conjointe demandant à l’ONU de créer un mécanisme de surveillance des droits de l’homme pour enquêter sur les violations commises par le régime.

La technologie de surveillance qui faisait l’objet de la lettre de von der Leyen serait probablement détournée par les autorités égyptiennes, a déclaré Leslie Piquemal de la branche bruxelloise de l’Institut du Caire pour les études sur les droits de l’homme, une ONG.

Les équipements de surveillance sont « très clairement utilisés pour faciliter la répression de la dissidence en surveillant la communication en ligne, et nous supposons également localiser les personnes utilisant leurs appareils », a-t-elle déclaré.
 

PARTAGER L’ARTICLE

 

Aussi à ce sujet

Partager cet article

Les commentaires sont fermés.