Îles Féroé : Une petite nation libre et prospère

De l’ancien empire colonial du Danemark, il est resté deux territoires, le Groenland dans le Grand Nord Arctique, et à mi-chemin entre Copenhague et la calotte glaciaire, perdues « au milieu de nulle part » en Mer du Nord, les Îles Féroé, archipel de plusieurs îles régnant sur un domaine maritime considérable.

 

Une autonomie très avancée

L’Histoire des îles Féroé a basculé au début de la seconde guerre mondiale, quand le 3ème Reich a envahi le Danemark. Leur situation au nord-est de l’Écosse en aurait fait un danger immédiat pour la Grande Bretagne si l’Allemagne avait pu y établir une base navale. Aussi, dès 1940, la flotte britannique en a pris le contrôle, coupant de fait le territoire de sa tutelle danoise passée sous contrôle de l’armée nazie.

A la fin de la guerre, le camp de la victoire auquel appartenaient les féroïens leur a permis d’envisager l’indépendance. Un referendum a eu lieu en 1948 opposant au choix de l’indépendance la proposition d’un régime d’autonomie très large concédé par le Danemark qui, pour le rendre attractif, l’avait accompagné par un engagement garanti par traité d’une dotation financière pérenne. Ce second choix a perdu le referendum, mais de peu, si bien que l’indépendance n’a pas été proclamée par le Parlement féroien de l’époque. En fait, l’absence de soutien international n’a pas permis de bousculer totalement la souveraineté danoise sur l’archipel, et les Iles Féroé n’ont pas été inscrites sur la liste des « territoires à décoloniser » établie par l’ONU, contrairement au Groënland, aux colonies d’Afrique ou à la Nouvelle Calédonie.

Par contre le régime d’autonomie dont elles bénéficient depuis est sans doute le plus avancé qui soit. A tel point que lors de l’adhésion du Danemark à l’Union Européenne, il a fallu consulter le peuple féroïen qui l’a refusée, maintenant leur territoire hors de l’UE. La raison principale de ce refus a été la volonté de conserver un total contrôle de ce qui est leur grande richesse économique, à savoir une zone maritime immense en Mer du Nord, très riche en ressources halieutiques. La crainte que l’exclusivité de leur zone de pêche soit donnée en contrepartie de négociations au sommet entre le Danemark et les autres États d’Europe a été déterminant dans ce choix et, grâce à lui, les autorités féroïennes ont construit un très important secteur de la pêche et de l’aquaculture qui assure 95% de leurs exportations. L’autre motivation qui a contribué à cette décision est la persistance d’un sentiment indépendantiste important, leurs partis expliquant qu’à l’obstacle du refus d’accorder leur indépendance aux Îles Féroé par le Danemark viendrait s’ajouter un second obstacle avec l’Europe.

Autre singularité marquante de cette autonomie qui leur donne de multiples compétences, notamment la fiscalité en recettes comme en dépenses, les Îles Féroé maîtrisent totalement leurs relations internationales dans la Conférence Nordique où ils siègent avec une égalité de représentation avec le Danemark. Dans ce cadre, ils négocient directement les accords de pêche avec leur voisinage, Écosse, Norvège, Russie ou Islande.

Les résultats économiques de leur autonomie sont impressionnants. Leur PIB, 45.000 € par habitant, est plus élevé que celui du Danemark, qui est déjà un des plus élevés d’Europe. En Corse il est inférieur à 30.000 € par habitant. Le taux de chômage est inférieur à 2%, et cela depuis très longtemps. Leur population est en croissance régulière, atteignant désormais 55.000 habitants contre 40.000 au début des années 90, croissance en très grande partie alimentée par un excédent naturel de la natalité.

Ces performances économiques sont impressionnantes, surtout si l’on considère leur isolement « au milieu de nulle part » et leur configuration qui les a obligés à de titanesques travaux pour assurer une bonne mobilité entre les différentes îles. Celles-ci sont relativement proches, mais il a fallu construire des dizaines de kilomètres de tunnels pour les relier entre elles. Autre infrastructure essentielle : malgré la faible population, il existe une Université à Tórshavn, leur capitale. Toutes ces infrastructures ont été financées grâce aux performances de l’économie des Iles Féroé.

F.A

 

 

Le poisson féroïen vaut bien le gaz allemand !

Un accord de pêche a été conclu par les Îles Féroé avec la Russie dans les années 80 au terme de longues années de conflit avec les bateaux russes, protégés par leur marine, qui venaient braconner massivement dans leurs eaux territoriales. Depuis cet accord, les Russes respectent les droits des féroiens, et la part des poissons exportés vers la Russie est passée de moins de 10% à 25%. Aussi quand le Danemark a adhéré aux sanctions européennes contre la Russie, qui incluent l’arrêt de toute vente de poisson à Moscou, le Parlement Féroien s’y est opposé en arguant que cela provoquerait automatiquement le retour des « navires-voyous russes » dans leurs eux territoriales et que leur économie en serait terriblement impactée. Ils ont fait valoir le cas de l’Allemagne qui continuait à pouvoir importer le gaz russe pour faire tourner son économie car sinon elle serait menacée de s’écrouler aussitôt. Et c’est ainsi que les 55.000 féroiens ont pesé autant que 80 millions d’allemands pour faire valoir leurs intérêts ! C’est dire la force de l’autonomie constitutionnelle dont ils bénéficient au sein de l’Etat danois.

 

Faut-il renvoyer l’argent des Danois à Copenhague ?

De par leur statut, les Îles Féroé bénéficient d’une dotation de l’Etat danois qui alimente leur budget annuel. La part de cette dotation était de 25% dans les années 80. Elle n’est plus que de 3% désormais, tant le territoire a développé ses propres ressources par sa seule économie. Aussi le débat rebondit entre indépendantistes qui veulent s’affranchir de cette dépendance, et « unionistes » qui argumentent que cet argent sert à améliorer les politiques sociales du territoire et qu’il serait pénalisant pour les féroiens de s’en priver. Ils accusent les indépendantistes de vouloir « appauvrir » les féroiens.

Comme si un jour le débat faisait rage en Corse pour savoir si on veut se passer de la dotation de continuité territoriale qui maintient une mainmise politique de Paris sur l’ïle en lui substituant des impôts prélevés sur notre propre économie. Aux Îles Féroé, ils en sont là !

 

Le pari culturel de la Conférence Nordique en faveur d’une langue minoritaire

Le féroïen est la langue spontanément parlée sur l’archipel, toute la population connaissant également le danois et l’anglais. Mais l’attachement à leur langue y est très fort, et elle est restée la langue de communication principale sur les Îles.

Lors de notre voyage à Tórshavn nous avons visité un impressionnant centre culturel dédié à la culture commune des peuples nordiques. Il a été financé par la Conférence Nordique qui a choisi de l’implanter dans le plus petit de ses territoires. Norvégiens, Islandais, Féroïens, Suédois et Danois partagent la même culture d’origine, mais l’éloignement fait qu’ils ont développé, à partir d’une même racine, des langues différentes. Les scandinaves sont 30 millions, dont 55.000 féroïens. C’est pourtant aux îles Féroé que ce projet a été réalisé, le choix politique étant de se tourner vers la plus minoritaire des langues scandinaves pour la mettre en valeur et en faire le ciment de leur civilisation commune. Il a ouvert en 1983. C’est un succès remarquable, dont la programmation artistique est assurée 350 jours par an, avec des Congrès et des spectacles qui attirent des participants venus de tout l’espace nordique.

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