La PAC doit être capable de répondre à nos défis !
Une opinion de Tilly Metz, Martin Häusling et Benoît Biteau
Beaucoup de bruit pour rien ? Tel pourrait être la conclusion de ce « super trilogue » portant sur la future PAC, prévu aujourd’hui, vendredi 26 mars, à l’invitation de la présidence portugaise de l’Union européenne. L’objectif de cette initiative est d’accélérer le processus de négociation. Contribuera-t-elle à remettre la Politique agricole commune (PAC) sur la bonne voie ? Nous craignons fort qu’il s’agisse plutôt d’un chèque en blanc aux États membres, cosigné par la Commission européenne et le Parlement, malgré toutes les leçons tirées du passé récent.
Plafonner les aides de la PAC ou fermer les yeux sur les agissements d’Orban ?
Cela fait des lustres que nous combattons pour le plafonnement des aides directes que reçoivent chaque bénéficiaire. Grâce à la pression exercée avec les ONG et la société civile, nous avons réussi à l’inclure dans la position du Parlement Européen (à 100 000€ – un seuil certes déjà trop élevé). Mais, contrairement au Parlement européen qui a voté en faveur d’un plafonnement obligatoire des paiements directs, les États membres pensent que cela doit rester un engagement volontaire au niveau national.
Le plafonnement des aides directes est pourtant absolument nécessaire car il pourrait contribuer à réduire les inégalités entre agriculteurs/trices et faciliter l’accès au foncier pour les jeunes agricultrices et agriculteurs et les nouveaux/elles arrivant·e·s – notamment en Europe centrale et orientale où ces inégalités se sont stabilisées et parfois même accrues au cours de la dernière décennie, alors que leur réduction est un objectif déclaré de la PAC actuelle. Maintenir le caractère volontaire du plafonnement reviendrait donc à ignorer – une fois de plus – ce problème crucial, tout en continuant, par ailleurs, à se vanter de manière hypocrite du rôle joué par la PAC pour soutenir les petites exploitations familiales et les nouveaux/elles entrant·e·s.
Mais les problèmes liés au budget de la PAC ne se limitent pas à sa répartition injuste.
En 2021, au cœur de l’Europe, on trouve encore plusieurs pays où les principaux bénéficiaires des fonds de la PAC décident eux-mêmes de leur répartition – soit des conflits d’intérêts notoires. C’est notamment le cas en République tchèque et en Hongrie, où, comme le souligne une étude récente commandée par notre groupe (en anglais), le budget de la PAC a alimenté l’oligarque antisémite, xénophobe et anti-européen Viktor Orbán, propriétaire de gigantesques propriétés agro-industrielles. Un plafonnement obligatoire des paiements directs, mis en œuvre de manière efficace, pourrait assécher leurs sources de revenus et laisser l’argent des contribuables européen·ne·s financer celles et ceux qui nous nourrissent : les agricultrices et les agriculteurs.
Mais, alors que les États membres se réunissaient au Conseil AGRIPECH ces lundi et mardi derniers, la rumeur nous dit qu’ils ne souhaitent tout simplement pas parler de plafonnement lors du prochain « super trilogue » qui réunira les trois institutions de l’Union européenne. Ce nouvel exemple du refus du Conseil d’aborder des sujets qui pourraient déranger certains de ses membres est totalement inacceptable. Nous ne pouvons qu’encourager nos collègues de l’équipe de négociation du Parlement européen à rester fermes et à se battre pour l’une des dernières choses que le Parlement européen peut encore gagner afin d’améliorer cette fausse réforme.
Un nouveau modèle de mise en oeuvre ou un écran de fumée pour de fausses promesses ?
Dans le « modèle de conformité » actuel, la Commission européenne est censée jouer un rôle dans l’allocation des fonds via la « gestion partagée » avec les États membres. Par ce biais, elle devrait être en mesure d’éviter les cas les plus flagrants de mauvaise gestion. Pourtant, les cas de la Hongrie et de la République tchèque ont clairement démontré que ces mécanismes de contrôle sont déficients. De même, les résultats de la PAC en matière de climat, de biodiversité et de bien-être animal ont été jusqu’à présent insuffisants. Mais le positionnement du Conseil montre que les États membres ne semblent pas être dérangés par l’utilisation douteuse des fonds européens, conséquence directe du manque de contrôle de l’Union européenne. Pire : sous couvert du « nouveau modèle de mise en œuvre » annoncé, les États membres veulent simplement étendre aux sept prochaines années ce qui s’est avéré néfaste et inefficace au cours des sept dernières…
Dans un monde idéal, la Commission aurait proposé de combler les lacunes de la PAC, afin que l’argent ne parvienne qu’aux agricultrices et aux agriculteurs et non aux oligarques et en se basant sur des indicateurs concrets pour évaluer, année après année, les performances de chaque État membre et, ainsi, contribuer à atteindre les objectifs de l’Union européenne en matière d’utilisation des pesticides ou de bien-être animal, par exemple. C’est en tout cas comme cela que ce nouveau modèle de performance a été vendu : comme un ensemble d’outils pour mieux évaluer l’impact de la PAC.
En effet, ce que les citoyen·ne·s veulent, c’est savoir à quoi l’argent est dépensé et si cela est efficace. Mais la vérité est que nous ne le saurons pas avant la fin de la prochaine période budgétaire. Car, jusque-là, la seule chose mesurée sera le montant dépensé pour chaque programme de la PAC, alors que les « indicateurs d’impact », eux, ne seront évalués qu’en fin de période. En clair, au nom de la simplification, les États membres bloquent les informations les plus significatives en matière de performances. Résultat, d’ici la fin de la période, 40 % du budget de l’Union européenne sera dépensé sans savoir si les mesures sont efficaces et sans savoir si elles ont effectivement atteint les bénéficiaires prévu·e·s. Basé sur des données que les États membres ne seront de toute façon pas tenus de communiquer, ce nouveau modèle de mise en œuvre pourrait donc n’être qu’un écran de fumée pour de fausses promesses… voire une machine à blanchir l’argent sale.
La Commission ne peut pas prétendre, d’un côté, que le Pacte vert européen sera sa boussole et dire aux jeunes activistes de Fridays For Future qu’elle s’occupera du climat, tout en donnant aux États membres un maximum de flexibilité pour répéter leurs propres échecs passés dans un secteur censé supporter plus de 50 % des efforts financiers de l’Union européenne en termes d’atténuation du changement climatique. Nous refusons d’accepter la mort de la PAC en tant que politique paneuropéenne, tout comme nous refusons d’admettre que que le secteur agroalimentaire de l’Union européenne serait perdu pour la cause et ne pourrait être réformé de manière significative.
👉 Cela suffit ! Refusons de donner un chèque en blanc aux États membres !
👉 Nous avons besoin d’un mécanisme de contrôle efficace pour l’argent des contribuables.
👉 Nous avons besoin d’une répartition équitable des fonds pour soutenir les agriculteurs locaux.
👉 Nous avons besoin d’une PAC en capacité de répondre à ces défis.
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