Le cri d’alarme du Dr Denis Mukwege sur la RDC
Le 4 novembre dernier, j’ai eu l’immense honneur d’accueillir au Parlement européen le Dr Denis Mukwege, figure emblématique de la lutte pour les droits humains en République démocratique du Congo (RDC).
Lauréat du prix Sakharov en 2014 et Prix Nobel de la paix en 2018, le Dr Mukwege, surnommé « l’homme qui répare les femmes », consacre sa vie à combattre les violences sexuelles et notamment leur usage dans les conflits armés. Sa détermination, malgré les menaces constantes qu’il reçoit, force l’admiration.
Une violence systémique, des victimes toujours plus jeunes
Au cours de notre échange, le Dr Mukwege a partagé des constats glaçants. Depuis la fondation de l’hôpital Panzi, plus de 83 000 femmes victimes de violences sexuelles y ont été soignées. Mais aujourd’hui, une tendance effrayante émerge : de plus en plus d’enfants subissent ces violences. Dans certaines régions de la RDC, jusqu’à 30 % des femmes qui accouchent sont des mineures, parfois âgées de seulement 12 ans. Ces viols restent presque toujours impunis.
En 2023, plus de 25 000 femmes ont été victimes de violences sexuelles, principalement dans la province du Nord-Kivu, où le groupe armé « M23 » soutenu par l’armée rwandaise, affronte les forces congolaises dans une guerre d’agression. Pour les populations civiles, le viol devient une arme psychologique, utilisée pour humilier, contrôler et déplacer les communautés, dans une stratégie de terreur orchestrée par les groupes armés.
Un rapport accablant mais sans suite
En 2010, le rapport « Mapping » du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme identifiait plus de 600 crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis en RDC, dont certains s’apparenteraient à un génocide. Ce document mettait en évidence l’implication de huit armées ou groupes armés affiliés à autant de pays étrangers, dont le Rwanda et l’Ouganda. Pourtant, quatorze ans plus tard, aucune justice n’a été rendue. Les autorités nationales de ces pays n’ont jamais engagé de poursuites, et la justice congolaise, corrompue et mal équipée, est incapable de traiter des crimes d’une telle ampleur.
Une guerre qui s’autofinance au mépris des populations
Ce conflit, loin de s’essouffler, est alimenté par des intérêts économiques colossaux. Les groupes armés et leurs soutiens étrangers comme le Rwanda, exploitent les ressources minières de l’est de la RDC, comme le coltan et le tantale, des matières premières essentielles pour la transition numérique et écologique. Ces minerais sont ensuite introduits en contrebande au Rwanda, qui les exporte comme s’ils provenaient de son propre territoire, bien que le pays n’en possède aucun gisement.
Cette exploitation est largement tolérée par la communauté internationale. L’Union européenne, par exemple, a récemment signé un accord avec Kigali pour faciliter son approvisionnement en minerais stratégiques. En agissant ainsi, l’UE ferme les yeux sur les crimes commis en RDC et risque de devenir complice des exactions orchestrées par le régime de Paul Kagame. J’avais d’ailleurs interpellé le Commissaire désigné pour les partenariats internationaux à ce sujet, et il semblait lui aussi fermer les yeux.
L’UE vient de valider une nouvelle enveloppe de 20 millions d’euros pour financer l’armée rwandaise dans son opération au Mozambique.
Alors même que l’ONU documente ses crimes de guerre récurrents en RDC.@JosepBorrellF, l’UE ne peux pas légitimer les criminels de guerre ! pic.twitter.com/qte849yiwd
— Mounir Satouri 🌍 (@MounirSatouri) November 19, 2024
L’Europe face à ses contradictions
L’hypocrisie atteint son comble avec les récentes décisions de l’UE. Tout en dénonçant les violences commises en RDC, les États membres ont accordé 20 millions d’euros supplémentaires à l’armée rwandaise pour ses opérations au Mozambique contre les groupes jihadistes. Si l’objectif semble légitime, il est impossible de garantir que ces fonds ne financeront pas indirectement les activités criminelles du Rwanda en RDC.
L’accord que l’UE a conclu avec le Rwanda nous rend complices des crimes abjects commis en RDC.
Le Commissaire désigné pour les partenariats internationaux ne semble pas voir le problème et nie le drame humanitaire sur place malgré les rapports de l’ONU qui le documentent ⤵️ pic.twitter.com/gEUtf49nbh
— Mounir Satouri 🌍 (@MounirSatouri) November 6, 2024
Le cri d’alarme de Mukwege, notre responsabilité
Le Dr Mukwege rappelle que les violences sexuelles, utilisées comme armes de guerre, ne sont pas une fatalité mais le fruit d’un système d’impunité. Il appelle la communauté internationale à assumer ses responsabilités : soutenir une justice indépendante, exiger des enquêtes crédibles, et mettre fin à la complicité économique avec les régimes impliqués dans ces crimes.
En tant qu’eurodéputé, je ne peux que m’associer à cet appel. L’Union européenne doit cesser d’être un spectateur passif ou, pire, un acteur indirect de cette tragédie. Nos décisions économiques et politiques doivent refléter nos valeurs. Pour les femmes et les enfants de la RDC, pour les populations civiles victimes de cette guerre oubliée, nous ne pouvons plus détourner le regard.
Mounir Satouri
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