Lettre sur les exportations françaises d’armes vers le régime russe depuis 2014

17 mars 2022

À la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen, au président du Conseil européen Charles Michel et au haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et vice-président de la Commission Josep Borrell.

Chère présidente de la Commission, cher président du Conseil, cher haut représentant,

Depuis l’embargo de l’Union européenne qui a été imposé à la Fédération de Russie sur les exportations d’armes le 1er août 2014, la France a transféré des armes à la Russie pour une valeur totale de 152 millions d’euros.

Ces systèmes d’armes équipent les chars, les avions de chasse et les hélicoptères russes qui mènent aujourd’hui la guerre d’agression de Vladimir Poutine contre l’Ukraine, au mépris total du droit international humanitaire, de la Charte des Nations unies et de la vie humaine. Ces systèmes d’armes permettent aux troupes russes de prendre un avantage considérable sur leur adversaire et servent une puissance militaire qui menace l’Union européenne, l’OTAN et, en particulier, les États membres de l’Est.

Nous sommes consternés que la France ait sapé de manière aussi flagrante les efforts européens visant à changer le cours de la politique étrangère agressive et révisionniste de Vladimir Poutine.

Le gouvernement français a tenté de justifier ces ventes en soulignant que l’embargo, décidé en août 2014, n’était pas rétroactif. Nous rejetons cette justification car ces transferts ont clairement trahi l’esprit dans lequel l’embargo a été décidé et son objectif. En outre, ces transferts ont violé au moins 6 des 8 critères juridiquement contraignants de la position commune du Conseil de 2008 (2008/944/PESC) sur les exportations d’armes. Le critère 51 de la position commune interdit en effet les transferts qui menacent directement la sécurité des États membres l’Union européenne et le critère 32 interdit ceux qui peuvent provoquer ou prolonger un conflit – et un conflit de faible intensité était en cours en Ukraine depuis 2014. De plus, l’embargo a été imposé en raison d’une menace militaire que la Fédération de Russie fait peser sur un État souverain et sur l’architecture de sécurité européenne. Ainsi, outre les considérations juridiques et morales, le gouvernement français aurait dû arriver à la conclusion que, depuis 2014, tout transfert posait un risque sécuritaire majeur.

Rappelons les événements qui ont poussé les États membres à adopter l’embargo en 2014 : l’annexion de la Crimée, l’autoproclamation des républiques séparatistes pro-russes de Louhansk et de Donetsk et l’abattage du vol MH17 par un missile russe, tuant 298 personnes – dont 211 citoyen·ne·s européen·ne·s.

En transférant ces armes à la Russie, la France a porté atteinte à la sécurité de l’Union européenne et de l’Ukraine. Tout porte à croire que ces systèmes d’armes ont été utilisés dans l’attaque de la Russie contre Zaporijjia et sa centrale nucléaire, ce qui aurait pu provoquer un incident nucléaire majeur sur le continent européen.

Dans ce contexte, nous sommes très préoccupés par le fait que la communication du Commissaire au Marché intérieur, Thierry Breton, le 15 février dernier, ne fasse référence qu’à « des pratiques plus convergentes en matière de contrôle des exportations d’armes » et à « un accès compétitif aux marchés internationaux » sans préciser que la mise en œuvre des principes inscrits dans la position commune et le traité sur le commerce des armes (TCA) doit être renforcée de toute urgence. Les transferts que nous portons à votre attention aujourd’hui soulignent, une fois de plus, que la sécurité et les droits humains doivent être les principes directeurs de toute politique d’exportation et de transfert d’armes et que ces principes doivent prévaloir sur les considérations économiques et industrielles.

Nous demandons au haut représentant, au Conseil et à la Commission de se réunir d’urgence et de discuter du comportement irresponsable du gouvernement français depuis 2014 et de ses implications pour la sécurité européenne et d’analyser toutes les exportations nationales des États membres de l’Union européenne pour vérifier si d’autres transferts irresponsables vers la Fédération de Russie ont lieu ou ont eu lieu. Nous demandons instamment à la présidente de la Commission et au Conseil de garantir que toute politique émergente d’exportation d’armes au niveau de l’Union européenne soit, avant tout, dédiée à assurer notre sécurité, la sécurité de nos alliés et les droits humains des populations locales comme les citoyen·ne·s d’Ukraine. Nous demandons que le texte de la boussole stratégique portant sur les exportations d’armes soit révisé afin de refléter le fait que nos politiques d’exportation font partie de notre politique de sécurité. Enfin, nous vous exhortons à renforcer le cadre législatif sur les exportations d’armes de l’Union européenne et à demander des comptes au gouvernement français pour ces transferts, qui ont mis en péril la sécurité du peuple ukrainien et portent directement atteinte à la sécurité des citoyen·ne·s de l’Union européenne.

Chère présidente de la Commission, cher président du Conseil, cher haut représentant, nous vous remercions par avance de l’attention que vous porterez à cette question et à ses graves implications.

Les député·e·s du groupe Verts/ALE
Mounir Satouri (France)
Alviina Alametsä (Finlande)
Hannah Neumann (Allemagne)
Thomas Waitz (Autriche)

 

1Cinquième critère : sécurité nationale des États membres et des territoires dont les relations extérieures relèvent de la responsabilité d’un État membre, ainsi que celle des pays amis ou alliés.

2Troisième critère : situation intérieure dans le pays de destination finale (existence de tensions ou de conflits armés)

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