Ventes d’armes: la Cour pĂ©nale internationale doit enquĂȘter sur les crimes de guerre au YĂ©men et leurs complices

24 mars 2023

Depuis dĂ©jĂ  8 ans, la population yĂ©mĂ©nite subit une guerre sanglante, dans laquelle les crimes de guerre sont systĂ©matiques, et qui est devenu la cause d’une famine sans prĂ©cĂ©dent. Il y a 3 ans, un collectif d’ONG avait dĂ©posĂ© une communication auprĂšs de la Procureure de la Cour pĂ©nale internationale (CPI), rassemblant un ensemble de preuves et de motifs pour que la CPI ouvre une enquĂȘte sur les crimes commis au YĂ©men. Face Ă  la gravitĂ© de ces crimes et les nombreuses ventes d’armes europĂ©ennes Ă  des parties au conflit soupçonnĂ©es de ces crimes, les dĂ©putĂ©-e-s europĂ©en-ne-s Ă©cologistes Hannah Neumann, Mounir Satouri, Alviina AlametsĂ€ et Tineke Strik demandent Ă  la CPI d’ouvrir une enquĂȘte formelle sur les responsabilitĂ©s pĂ©nales des acteurs Ă©conomiques et politiques de France, d’Allemagne, d’Italie, d’Espagne et du Royaume-Uni qui ont pu bontribuer Ă  ces crimes.

Retrouvez la lettre dans sa version française 👇

Lettre au Procureur de la CPI pour l’ouverture d’une enquĂȘte officielle sur le YĂ©men

Karim A.A. Khan QC, Procureur

La Cour PĂ©nale Internationale

La Haye, Pays-Bas 

Bruxelles, le 23 mars 2023

Objet : Appel Ă  la Cour pĂ©nale internationale (CPI) pour ouvrir une enquĂȘte officielle sur le YĂ©men

Monsieur le Procureur Karim A.A. Khan KC,

Je vous Ă©cris au sujet de la communication au titre de l’Article 15 soumise le 11 dĂ©cembre 2019 par une coalition de collectifs europĂ©ens et yĂ©mĂ©nites dirigĂ©e par Mwatana for Human rights et le Centre europĂ©en pour les droits constitutionnels et humains (la « Communication »), demandant Ă  la Cour d’enquĂȘter sur les gouvernements europĂ©ens et les responsables des entreprises d’armement pour avoir potentiellement aidĂ© et Ă©tĂ© complices des crimes de guerre au YĂ©men.

La guerre au YĂ©men a maintenant atteint le stade macabre de huit ans. Depuis mars 2015, deux des plus gros clients de l’industrie europĂ©enne de l’armement – l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (EAU) – dirigent une coalition militaire (la «Coalition») qui a menĂ© des dizaines d’attaques aveugles et disproportionnĂ©es contre des habitations civiles, des marchĂ©s , hĂŽpitaux, Ă©coles et sites du patrimoine culturel. Selon le Yemen Data Project, 8 983 civils ont Ă©tĂ© tuĂ©s par les attaques de la coalition depuis 2015. Le YĂ©men connaĂźt Ă©galement des niveaux d’insĂ©curitĂ© alimentaire sans prĂ©cĂ©dent : en juin 2022, 19 millions de YĂ©mĂ©nites Ă©taient en situation d’insĂ©curitĂ© alimentaire et 161 000 personnes vivaient dans des situations de « famine ».

Environ trois ans aprĂšs la prĂ©sentation de la communication, le dĂ©ficit de responsabilitĂ© n’a jamais Ă©tĂ© aussi grand. La perspective de lutter contre l’impunitĂ© pour les crimes de guerre et les violations des droits humains commis au YĂ©men a Ă©tĂ© sĂ©rieusement Ă©branlĂ©e en octobre 2021 lorsque le Conseil des droits humains des Nations unies n’a pas renouvelĂ© le mandat du Groupe d’experts Ă©minents (GEE). Le GEE reprĂ©sentait le seul mĂ©canisme d’enquĂȘte indĂ©pendant existant documentant les graves violations des droits humains commises par toutes les parties au conflit au YĂ©men.

Il est important de noter que dans son dernier rapport de septembre 2020, le GEE a lancĂ© un appel aux « États tiers pour qu’ils cessent de transfĂ©rer des armes aux parties au conflit Ă©tant donnĂ© le rĂŽle de ces transferts dans la perpĂ©tuation du conflit et la contribution potentielle aux violations ». En effet, malgrĂ© les preuves que des crimes de guerre potentiels ont Ă©tĂ© et continuent d’ĂȘtre systĂ©matiquement commis au YĂ©men, les exportations d’armes des pays europĂ©ens vers la Coalition se sont poursuivies sans relĂąche. Les autoritĂ©s d’exportation de l’Allemagne, du Royaume-Uni (RU), de la France, de l’Espagne et de l’Italie ont autorisĂ© l’exportation d’avions de combat, de bombes et de piĂšces de rechange, ainsi que de matĂ©riel d’entretien et de formation par des entreprises d’armement pour l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, alimentant cette guerre.

MĂȘme lorsque les tribunaux nationaux ont interrompu ces exportations, elles ont repris depuis. Par exemple, malgrĂ© une dĂ©cision de 2019 de la Cour d’appel du Royaume-Uni ordonnant la suspension des licences d’exportation vers l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, en 2020, le gouvernement britannique a dĂ©livrĂ© de nouvelles licences pour les ventes d’armes destinĂ©es Ă  ĂȘtre utilisĂ©es au YĂ©men, au motif que les violations du droit humanitaire par la Coalition au YĂ©men n’Ă©taient que des « incidents isolĂ©s ». L’Allemagne a Ă©galement rĂ©cemment redĂ©marrĂ© l’exportation d’armes vers la coalition.

Le mandat de la CPI est de poursuivre les crimes les plus graves qui relĂšvent de l’intĂ©rĂȘt de la communautĂ© internationale. Seize ans aprĂšs le premier communiquĂ© de presse sur la question des entreprises contribuant aux crimes dans les conflits armĂ©s, et suite au document de politique gĂ©nĂ©rale de 2016 du Bureau du Procureur (BdP) encourageant fortement la poursuite des acteurs commerciaux pour crimes environnementaux, la Procureure de la CPI de l’Ă©poque, Fatou Bensouda, a dĂ©clarĂ© en novembre 2019 que « la CPI peut exercer sa compĂ©tence sur les personnes qui, par le biais d’activitĂ©s commerciales, contribuent ou commettent directement des crimes internationaux en vertu du Statut de
Rome ». Alors que l’enquĂȘte et la poursuite d’acteurs commerciaux ne se sont jusqu’Ă  prĂ©sent pas matĂ©rialisĂ©es Ă  la CPI, la fourniture d’armes par des sociĂ©tĂ©s d’armement europĂ©ennes dans le contexte du YĂ©men reprĂ©sente une opportunitĂ© de faire la lumiĂšre sur l’implication des entreprises dans la commission de crimes internationaux.

Dans ce contexte, j’appelle la CPI Ă  donner suite Ă  la communication du 11 dĂ©cembre 2019, Ă  mettre fin Ă  l’examen prĂ©liminaire et Ă  ouvrir une enquĂȘte formelle sur les responsabilitĂ©s pĂ©nales des acteurs Ă©conomiques et politiques de France, d’Allemagne, d’Italie, d’Espagne et du Royaume-Uni. qui, en autorisant et en exportant des armes aux membres de la Coalition, ont pu contribuer Ă  de graves violations du droit international humanitaire au YĂ©men, y compris des crimes de guerre. L’ouverture d’une enquĂȘte jouerait un rĂŽle crucial dans l’instauration d’une complĂ©mentaritĂ© positive par le biais d’une coopĂ©ration judiciaire avec les autoritĂ©s nationales chargĂ©es des poursuites dans la constitution de dossiers et l’obtention de preuves.

De plus, en l’absence de tout autre mĂ©canisme international de responsabilitĂ© pour le YĂ©men, la CPI est le forum le plus appropriĂ© pour enquĂȘter et poursuivre les auteurs de crimes internationaux commis dans ce conflit. Cela s’inscrirait clairement dans le mandat de la CPI qui est de faire progresser l’Ă©tat de droit et de lutter contre l’impunitĂ©, et de veiller Ă  ce que justice soit rendue quel que soit le pouvoir politique et Ă©conomique des auteurs de crimes internationaux.
J’attends votre dĂ©cision et vous exhorte Ă  faire tout ce qui est en votre pouvoir pour que des comptes soient rendus au peuple yĂ©mĂ©nite.

SincĂšrement,

Hannah Neumann, membre du Parlement européen
Mounir Satouri, membre du Parlement européen
Alviina AlametsÀ, membre du Parlement européen
Tineke Strik, membre du Parlement européen

 

Retrouvez l’enquĂȘte Made In France du mĂ©dia Disclose rĂ©vĂ©lant l’usage massif d’armes françaises dans la guerre au YĂ©men ainsi que l’enquĂȘte French Arms.

 

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