Migrations : comment lutter contre un fantasme ?

15 janvier 2024

Migrations : comment lutter contre un fantasme ?

Projet de loi immigration : la spirale irrationnelle anti-réfugiés sape les droits humains qui font la base de notre société.

La nature même du projet de loi immigration porté par Gérald Darmanin et Emmanuel Macron nous confirme qu’un piège mortifère se referme sur une partie de la classe politique française, à droite et jusqu’au centre. Ce piège est électoral : il consiste à courir après une extrême droite qui, sondage après sondage, se rapproche toujours plus du pouvoir. Il est aussi moral et culturel : il légitime une logique de martyrisation des étrangers qui sape les droits humains au fondement de notre démocratie. 

Si l’objectif officiel du gouvernement est de lutter contre les “appels d’air” – autrement dit, de stopper les flux migratoires (comme les 28 lois déjà promulguées depuis 1980) sa méthode consiste à “pourrir” la vie de celles et ceux qui n’appartiennent pas à la nation française. Dans la version la plus dure, élaborée au Sénat, la loi prévoit un florilège de misères consistant à conditionner les prestations sociales pour les étrangers réguliers, à remettre en question le droit du sol, à instaurer un délit de séjour irrégulier, à limiter le droit d’hébergement d’urgence, à durcir le droit au regroupement familial, ou à refuser de donner des papiers à des personnes travaillant depuis des années en France. La droite et le gouvernement seraient donc prêts à ne plus soigner des malades, à séparer des familles, à maintenir des travailleurs indispensables dans la clandestinité. Ils seraient prêts à inscrire l’inhumanité dans la loi. 

Cette violence légale, censée dissuader les migrants d’arriver sur notre sol est absurde tout autant qu’ignoble. Elle repose sur le fantasme d’un afflux migratoire massif qui ne repose sur aucune réalité observable. Ce que nous disent les chiffres de l’INSEE, c’est que le solde migratoire (entrées moins sorties) de migrants en France se situe autour de 200 000 personnes depuis les années 2000, soit moins de 0,5 % de la population – dans la moyenne européenne. La plupart des arrivées sont liées aux mariages mixtes, à l’installation d’étudiants, au regroupement familial. Une minorité – 40 000 personnes – des arrivants sont des réfugiés, ce qui classe la France parmi les pays peu accueillants au sein de l’Union Européenne. Quant à l’immigration irrégulière, son poids est tout simplement dérisoire : 150 000 personnes par an en Europe, soit 0,03 % de la population de l’Union.

Flux migratoires des immigrés en France

Illustration 1
flux migratoire © INSEE

L’analyse des chiffres et des faits révèle que l’afflux massif de migrants relève du fantasme, du mensonge fabriqué de toutes pièces. Les scientifiques ont beau dénoncer une manipulation coupable, rien n’y fait : nombre de français et d’européens semblent gagnés par un délire collectif dont la montée des idées d’extrême droite est le symptôme le plus flagrant. Cette folie a une longue histoire et les boucs émissaires sont vieux comme le monde. Rappelons simplement que les théories concernant les juifs avant la seconde guerre mondiale avaient convaincu des pans entiers de la société européenne et pas simplement des minorités extrémistes. 

Dans Le Creuset français, l’historien Gérard Noiriel montre que les grands moments de rejet des étrangers ont eu lieu lors des ralentissements économiques et des transformations sociales majeures : dans les années 1880, 1930 et 1980. La crise de 2008 et l’austérité imposée aux peuples d’Europe sont concomitants du décollage des extrêmes droites sur notre continent. Les racines du mal-être sont sans doute à chercher du côté des inégalités qui se creusent sous l’effet des politiques libérales dominantes depuis les années 70. Pourtant, ce sont les étrangers que l’on désigne comme coupables et que l’on cherche à punir. 

Face à cette panique identitaire, notre rôle est de rappeler les faits et les chiffres, de démontrer l’absurdité des postures démagogiques. Notre rôle est de proposer une gestion des migrations rationnelle et responsable à l’échelle européenne, un accueil digne de ce nom. Pourtant, je crains que tout cela ne suffise pas. Lutter contre une obsession maladive ne peut se faire avec les seules armes de la raison. Pour dépasser une passion négative fondée sur la peur, il est besoin d’une autre passion, plus puissante. Face à une France aigrie qui se recroqueville sur elle-même, nous avons besoin d’un horizon porteur de sens et d’espoir. Nous avons besoin d’un projet de justice, de progrès, de paix. Bâtir ce projet est la haute mission qui nous incombe. 

 

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