Mission au Sénégal : mise en œuvre de l’accord de pêche et échanges avec les communautés de pêche artisanales victimes de la surpêche

13 avril 2022

Du 21 au 24 février 2022, je me suis rendue au Sénégal dans le cadre d’une mission officielle avec mes collègues de la commission de la pêche du Parlement européen. Je vous propose un compte rendu de cette mission.

L’objectif était de se rendre sur place pour enquêter sur la mise en œuvre de l’Accord de Partenariat pour une Pêche Durable (APPD) dont le nouveau protocole a été signé entre l’Union européenne et le Sénégal en 2019 et ce pour une durée de 5 ans.

Qu’est-ce qu’un accord de pêche ?

Pour rappel, les APPD sont des accords de pêche par lesquels des pays tiers accordent l’accès à leurs eaux à un certain nombre de navires de pêche de l’Union européenne ciblant certaines espèces, en échange du paiement de droits d’accès et d’un soutien sectoriel pour soutenir le développement durable de la pêche dans le pays partenaire (cette partie de la somme versée est destinée au soutien à la pêche artisanale et aux communautés locales, au suivi scientifique et collectes des données, au contrôle des pêches, à la lutte contre la pêche illégale, etc.)

Ces accords représentent 135 millions d’euros par an sur le budget de l’UE. Sur le papier ils constituent des outils intéressants pour améliorer le suivi et le contrôle des pêches, la lutte contre la pêche illégale tout en permettant le financement de projets visant à soutenir les pêcheurs artisans et les communautés côtières des pays concernés. Ils permettent une plus grande transparence et un meilleur suivi des activités de pêche des navires étrangers qu’en l’absence d’accord, où des accords privés sont signés entre les pays côtiers et les armateurs privés ou d’autre pays, le plus souvent dans une opacité totale.

Dans la pratique cependant, certains sont encore loin d’être « durables » et mettent parfois à risque la durabilité des ressources halieutiques des pays en développement.  Les sommes versées justifient parfois la surexploitation des ressources dont dépendent les pêcheurs artisans et les communautés locales dans les pays concernés, malgré l’absence de données solides prouvant l’existence d’un « surplus de ressources ».

Cela nous amène, moi et mon groupe politique, à être très vigilants lors de l’examen de ces différents accords au Parlement européen.

Le nouvel accord de pêche entre l’Union européenne et le Sénégal donne accès aux eaux sénégalaises à 28 navires thoniers et 5 palangriers pour pêcher des espèces de thons, à 2 chalutiers pour pêcher en eau profonde, ainsi qu’à une dizaine de canneurs pour pêcher des petits poissons pélagiques servant d’appâts vivants destinés à la pêche au thon.

 

Des blocages dans la mise en œuvre de l’accord de pêche

Les pêcheurs européens présents sur place font face à différents problèmes, que nous avons pu aborder avec le ministre sénégalais de la pêche.

Le premier ce sont les difficultés que rencontrent les canneurs pour pêcher des appâts vivants, suite à la fermeture à la pêche de la Baie de Hann, une zone désignée par le gouvernement sénégalais comme une aire marine protégée.

Le second c’est l’accès aux licences de pêche pour les pêcheurs, malgré le fait qu’elles aient été payées en novembre 2021. Lors de notre visite en février, aucune licence n’avait été délivrée et la situation stagne malgré les relances de la Commission européenne.

Même si l’accès au port nous a été mystérieusement refusé le dernier jour de notre visite, nous avons pu rencontrer ces pêcheurs pour échanger sur leur situation. À partir du moment où un accord a été signé, il est important que celui-ci soit respecté et que les pêcheurs obtiennent leurs licences. Il faut que les discussions entre l’UE et le Sénégal avancent des deux côtés pour sortir du statut quo.

Parmi les points de blocage, il y a la question du paiement de l’amende d’un navire espagnol ayant commis une infraction et qui n’a jamais été payée. Une solution doit être trouvée pour que cette amende soit payée, c’est essentiel pour la crédibilité de l’UE.

Les pêcheurs artisans sénégalais nous ont fait part quant à eux du fait que la pêche artisanale sénégalaise n’a été que trop peu impliquée dans les négociations de l’accord et du manque de transparence et d’information associé à sa mise en œuvre.

 

Rencontre avec le ministre sénégalais de la pêche Mr. Alioune Ndoye et la représentante de l’Union européenne au Sénégal Mme Irène Mingasson.

 

Les communautés de pêche artisanales menacées par la surpêche destinée à l’aquaculture industrielle : l’UE peut et doit agir

Les pêcheurs et pêcheuses artisans au Sénégal font face à la multiplication des usines de farines à poissons. Pour produire cette farine de poisson utilisée pour l’aquaculture dans d’autres pays, des navires pêchent des poissons habituellement consommés par la population locale. Cela conduit à la surexploitation des petits poissons pélagiques dans la zone par des bateaux étrangers et à une pollution massive des écosystèmes.

Tous les pêcheurs sénégalais que nous avons rencontrés au Sénégal, dans les ports, sur le quai de débarquement, ont mentionné cette situation qui pose d’importants problème pour leur sécurité alimentaire[1], leurs moyens de subsistances et pour les jeunes, qui sont obligés de risquer leur vie pour prendre la mer pour quitter leur pays et chercher de meilleures perspectives ailleurs en Afrique, ou en Europe.

L’Union européenne ne doit pas se voiler la face et reconnaître les problèmes de sécurité alimentaire et environnementaux que cela pose.

Certes, ces poissons ne sont pas directement pêchés par les navires européens au Sénégal mais les navires européens les pêchent dans la région, en Mauritanie. Or ces poissons ne connaissent pas de frontières entre les différents pays côtiers d’Afrique de l’Ouest. De plus, même si l’Union européenne ne produit pas directement de farines de poissons contrairement à d’autres pays présents en Afrique, le secteur de l’aquaculture européenne est très dépendant de ces farines, pour l’élevage d’espèces carnivores.

Selon la FAO, l’effort de pêche doit être réduit de 50% dans la région pour certaines espèces comme la sardinelle ronde[2]. Il faut donc que l’UE pousse pour une gestion durable de ces stocks au niveau régional (elle n’existe pas aujourd’hui), et prenne en compte le principe de précaution et la gestion écosystémique des pêches dans le cadre de tous ses accords de pêche dans la région. Le changement climatique ne fera qu’empirer cette situation déjà dramatique en conduisant à une migration des populations de poissons concernées vers le nord.

 

Rencontres avec des pêcheurs artisans inquiets par l’impact de l’industrie de farines de poisson – port de Hann

 

Le secteur de la pêche au Sénégal : un manque de transparence sur les navires étrangers et des activités de pêche illégale qui menacent l’environnement et les droits humains

Un problème étroitement lié au pillage des ressources en Afrique de l’Ouest est celui de la pêche illégale et de la transparence de la pêche. Malgré les clauses dans l’Accord cela reste un véritable tabou au Sénégal. Un parlementaire sénégalais que nous avons rencontré lors de notre visite nous a pourtant rappelé que la pêche illégale engendrait près de 150 milliards de pertes par an !

La transparence doit être au cœur de la mise en œuvre cadre du partenariat entre l’UE et le Sénégal, et doit être considéré comme une opportunité pour améliorer la situation des différentes pêcheries. Il faut que tous les accords de pêche signés entre le Sénégal et d’autres pays (Chine, Turquie, etc) mais aussi avec des acteurs privés soient rendus publics. Il faut aussi faire la transparence sur les activités de pêche (navires, captures) et notamment des informations sur les sociétés de pêche nationales à capitaux étrangers. C’est une nécessité pour stopper le pillage et lutter contre les violations des droits humains à bord.

Un rapport récent de l’ONG Environmental Justice Fondation[3] a par exemple montré l’ampleur de l’implication de la flotte chinoise, très présente dans la région, dans des cas de pêche illégale en Afrique de l’Ouest étroitement liés à des violations de droit humains et de destruction de l’environnement marin.

 

Soutien sectoriel : des dépenses pas toujours ajustées aux besoins des communautés de pêche artisanale

Nous avons aussi visité plusieurs infrastructures et projets financés par l’UE dans le cadre de l’Accord de pêche.

Certains sont positifs comme le futur quai de pêche Ndangane et les infrastructures de transformation pour les femmes transformatrices, que nous avons eu l’occasion de rencontrer.

Les pêcheurs artisans ont cependant fait états de certains problèmes dans les nouvelles infrastructures : par exemple le toit pour ce quai de pêche n’est pas adapté aux conditions climatiques.

 

Avec les femmes transformatrices et les pêcheurs artisans à Ndangane Sambou

 

Nous avons aussi visité le navire de recherche Itaf Deme, qui a fait l’objet d’une bonne rénovation. Cependant, beaucoup d’appareil à l’intérieur sont anciens, vétustes ou ne fonctionnent pas et il va falloir de l’argent pour l’entretien si des recherches sont refaites. C’est absolument prioritaire.

Le projet pilote de container solaire à Mbour, subventionné par l’UE mais géré par une structure privée, montre également les limites du soutien sectoriel. Le projet est intéressant mais l’infrastructure n’a qu’une capacité de 5 tonnes et son accès reste cher. Cela fait qu’il reste inaccessible aux pêcheurs artisans.

 

 

Au port de Mbour – à droite le projet pilote de container solaire

 

Enfin, les communautés de pêche au Sénégal et la société civile manquent d’information détaillée sur ce qui est fait avec l’argent de l’appui sectoriel. Par exemple le Centre de Recherches océanographique (CRODT) n’a pas reçu pendant plusieurs années les fonds qui devaient lui être alloués, handicapant ainsi la capacité de recherche halieutique (notamment sur les petits pélagiques).

La consultation des pêcheurs artisans pendant les négociations et concernant la distribution de l’aide sectorielle, ainsi que la protection de leur activité de toute concurrence et prédation étrangère dans le cadre des Accords de Pêche est une demande que nous réitérons régulièrement en tant que Verts. A l’heure où le Sommet Union européenne-Afrique était censé refaçonner nos relations avec l’Afrique, cela nous paraît absolument crucial.

 

 

 

[1] Voir https://www.rfi.fr/fr/%C3%A9conomie/20210601-afrique-de-l-ouest-un-rapport-alerte-sur-les-cons%C3%A9quences-d%C3%A9vastatrices-du-commerce-de-la-farine-et-de-l-huile-de-poisson et le dernier rapport de la FAO de février 2022: https://www.fao.org/3/cb7990en/cb7990en.pdf

[2] https://www.fao.org/3/cb0490en/CB0490EN.pdf

[3] https://ejfoundation.org/news-media/global-impact-of-illegal-fishing-and-human-rights-abuse-in-chinas-vast-distant-water-fleet-revealed-2

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