Une nouvelle politique européenne d’infrastructures énergétiques pour répondre à l’urgence climatique

9 juillet 2020

Au cours de la session plénière de cette semaine, les membres du Parlement européen adopteront une résolution exprimant la position du Parlement sur la prochaine révision du règlement relatif aux infrastructures énergétiques transeuropéennes (règlement RTE-E ou TEN-E en anglais). La loi actuelle définit le processus et les critères de sélection des projets d’infrastructures transfrontalières d’électricité, de gaz et de pétrole d’intérêt européen : obsolète, elle doit être révisée au plus vite afin de garantir que seuls les projets conformes à l’accord de Paris soient soutenus. Le groupe des Verts/ALE souhaite mettre fin dès maintenant au soutien de l’UE aux projets fossiles, tels que les gazoducs ; et demande donc à la Commission européenne d’adopter dès cette année des mesures transitoires sur la manière de dépenser les fonds européens dans les infrastructures énergétiques.

RTE-E : une réglementation dépassée et non conforme aux objectifs climatiques

 

Le règlement sur les réseaux transeuropéens d’énergie définit le processus et les critères de sélection des projets d’infrastructure transfrontaliers prioritaires de l’UE. Ces projets prioritaires, appelés « projets d’intérêt commun » (PIC, ou PCI en anglais), bénéficient de procédures d’autorisation accélérées et sont automatiquement éligibles pour recevoir un soutien financier via des fonds publics européens.

Adopté en 2013, le règlement RTE-E n’est donc pas du tout aligné sur l’accord de Paris, ni sur le « Green Deal » européen. De fait, l’UE continue de dépenser l’argent des contribuables dans des infrastructures fossiles, qui seront en place pendant les 20 à 60 prochaines années, au lieu de consacrer son soutien exclusivement à des infrastructures liées aux énergies renouvelables

Les critères de sélection actuels sont basés sur la diversification et la sécurité de l’approvisionnement, plutôt que sur la durabilité et le respect des limites planétaires. De plus, les projets sont sélectionnés selon une procédure qui exclut toute analyse indépendante et tout contrôle démocratique.

 

La poursuite de la course aux énergies fossiles n’est pas seulement un crime contre les objectifs climatiques européens, mais elle a également un impact considérable sur les droits fondamentaux des citoyens : les vagues de chaleur, la montée des océans et les risques accrus de sécheresse auront un impact de plus en plus important sur la vie et la santé de millions d’Européens sur le continent, en contradiction avec l’obligation de l’UE de protéger les droits de ses citoyens.

La nécessité de mesures transitoires en attendant la mise en place d’un nouveau cadre

 

En février 2020, la commissaire à l’énergie Kadri Simson a promis, suite à une interpellation de l’eurodéputée Verts/ALE Marie Toussaint, de rendre les infrastructures énergétiques de l’UE compatible avec l’objectif de neutralité climatique pour 2050. Le vice-président Timmermans a réagi via Twitter juste avant un important vote du Parlement européen sur la dernière liste de projets d’infrastructures énergétiques, en déclarant que tous les projets seraient “analysés à l’aune du Green Deal”, afin d’être compatibles avec nos objectifs. Toutefois, en réponse à une question écrite de Marie Toussaint sur la façon de s’assurer concrètement que les projets sont « compatibles avec le Green Deal », la Commissaire Simson a répondu que « le processus d’évaluation prendra également en compte les objectifs du Green Deal européen » … soulevant plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Par conséquent, aucun critère ou processus n’est en place pour assurer un alignement efficace sur les objectifs en matière de climat et de durabilité. Les critères de sélection des projets, ainsi que le processus d’établissement des futures listes de projets sont en cours d’examen par le Parlement européen. 

 

La résolution d’aujourd’hui envoie un signal fort et unifié demandant de garantir que les infrastructures énergétiques soient compatibles avec les objectifs climatiques – et ce, dès maintenant, sans attendre la mise en oeuvre de la loi révisée en 2023.

 

Un projet de révision du règlement sur les infrastructures énergétiques

 

L’infrastructure énergétique européenne doit mettre notre système sur la bonne voie pour atteindre les objectifs climatiques et faire du « Green Deal » européen une réalité. 

Les pipelines et les lignes électriques sont des investissements à long terme, choisir une mauvaise voie aujourd’hui nous bloque pour des dizaines d’années dans une dépendance aux fossiles. Comme l’extraction, le transport et l’utilisation du gaz fossile entraînent des émissions responsables du changement climatique, les infrastructures correspondantes doivent être progressivement supprimées pour atteindre la neutralité climatique. 

Les infrastructures qui permettent la transition énergétique doivent donc être soutenues par le règlement RTE-E révisé. Les principes fondamentaux pour les Verts, comme l’efficacité énergétique, la mise en place d’un système entièrement basé sur les sources d’énergie renouvelables, l’élimination des fossiles et un contrôle démocratique fort doivent être au cœur d’une nouvelle législation européenne sur les infrastructures énergétiques.

 

La meilleure énergie, c’est celle qu’on ne consomme pas !

 

Nous devons dès à présent privilégier l’efficacité énergétique car elle nous permet d’atteindre nos objectifs à moindre coût. L’efficacité énergétique, la sobriété énergétique et les mesures axées sur la baisse de la demande (telles que les rénovations de bâtiments) peuvent réduire la nécessité de construire des infrastructures coûteuses. Un nouveau règlement RTE-E doit comparer chaque projet d’infrastructure à des mesures alternatives plus durables.

 

Vers une Europe 100% renouvelable !

 

L’électrification à l’aide d’énergies renouvelables est la clé pour rester sous la barre des 1,5 degré de réchauffement climatique. Par conséquent, le nouveau règlement RTE-E doit financer un réseau 100% renouvelable.

 

Actuellement, seuls les grands projets d’infrastructure transfrontaliers sont soutenus par le règlement RTE-E, excluant ainsi les infrastructures décentralisées d’énergies renouvelables gérées par les citoyens ou les collectivités. Les infrastructures permettant aux citoyens de créer des communautés d’énergies renouvelables doivent être incluses dans le champ d’application du règlement RTE-E, grâce à une base juridique élargie. 

 

Pas un euro de plus pour les fossiles !

 

Jusqu’à présent, le règlement RTE-E permet de développer les infrastructures fossiles, telles que les gazoducs, malgré leur impact dramatique sur le climat et les citoyens. Ces infrastructures ont déjà bénéficié de plus de 1,5 milliard d’euros de fonds directs de l’UE entre 2015 et 2016, et l’UE s’apprête à encore financer de nouveau gazoducs ! Pourtant, notre réseau actuel est largement capable de répondre à nos besoins énergétique présents et futurs, comme le montre le rapport Artelys. Chaque euro supplémentaire dépensé dans des infrastructures fossiles est donc une dépense inutile et climaticide.

 

Par conséquent, ni le pétrole ni le gaz ne méritent une place dans le futur règlement RTE-E. En outre, les « fausses solutions » telles que les gaz à base de fossiles (notamment l’hydrogène dit gris, bleu ou turquoise dérivé du pétrole ou du gaz) ne sont pas conformes aux objectifs de neutralité climatique. De même, le discours des lobbies gaziers souhaitant continuer à développer des gazoducs pour “plus tard” y transporter une part “indéfinie” d’hydrogène vert dans un avenir “indéterminé” est une tentative de continuer à percevoir des fonds pour un système fossiles qui se meurt ; et n’est évidemment pas compatibles avec le « Green Deal » européen. 

 

De plus, le futur règlement RTE-E doit appliquer le principe pollueur-payeur, concept fondamental du droit européen de l’environnement. Ainsi, le contribuable européen ne doit pas soutenir les travaux réduisant les fuites de méthane des infrastructures de gaz fossile : les exploitants de gazoducs sont entièrement responsables de ces émissions et doivent payer les coûts qui en résultent.

 

Enfin, le déploiement d’un réseau européen d’infrastructures pour le captage et le stockage du carbone (CSC) constitue un gaspillage de l’argent des contribuables, car il constitue une “fausse solution” ne nous faisant pas sortie de notre dépendance aux fossiles.

 

Un contrôle démocratique fort et aucun conflit d’intérêt

 

Le règlement RTE-E actuel comporte plusieurs conflits d’intérêts. ENTSO-G et ENTSO-E, organes de l’UE composés des industries du transport d’électricité et de gaz, jouent un rôle très important dans le processus de définition des projets d’infrastructure prioritaires : ils produisent un plan d’infrastructure à long terme appelé plan décennal de développement du réseau (TYNDP). Ces plans contiennent des estimations de la quantité d’électricité et de gaz que l’Europe consommera dans les années à venir et une liste des projets d’infrastructure que l’UE souhaitent réaliser. Comme cela a été récemment révélé (rapport Global Witness:Pipe down), environ 75 % de l’argent des contribuables distribué aux infrastructures gazières sont allés directement aux membres de l’ENTSO-G (i.e. les opérateurs de réseaux de gaz) – le même organisme qui a un grand rôle à jouer dans le choix des projets prioritaires. C’est un conflit d’intérêt inacceptable et nous avons besoin d’un organisme indépendant pour superviser les ENTSO dans l’établissement des plans de réseau et leur remplacement pour la sélection des projets d’infrastructure. Le TYNDP doit être aligné sur les politiques énergétiques et climatiques de l’UE et devrait être soumis à l’Agence de coopération des régulateurs de l’énergie (ACER), un organisme indépendant, pour approbation.

 

En outre, le public doit être bien informé, avoir accès aux données relatives aux projets, être informé de tous les moyens d’influencer le processus et avoir la possibilité de s’exprimer à tous les niveaux. Le Parlement européen doit être davantage impliqué dans le processus, ainsi que les organisations européennes de consommateurs et les parties prenantes en général.

 

La résolution de cette semaine est une étape clé vers la fin du financement public des infrastructures de combustibles fossiles. Le groupe des Verts/ALE continue à se mobiliser pour un RTE-E révisé et ambitieux.

 

Si vous aussi, vous voulez agir avec nous :

 

Marie Toussaint est une militante pour la justice climatique et juriste en droit international de l’environnement. Elle a co-fondé l’association Notre Affaire à Tous, à l’origine de l’Affaire du Siècle. Élue eurodéputée en mai 2019, elle siège en commission ITRE (énergie), ENVI (environnement) et JURI (affaires juridiques). 

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