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Sandrine Bélier à propos de la loi LOPPSI 2 “Cette vision de la société que nous propose la droite n’est pas ma France”

19 janvier 2011
Interview parue sur le 19 janvier 2011

En discussion au Sénat pour un deuxième round, la loi de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, ou Loppsi 2, devrait être adoptée sans difficulté, ni surprise. A cette occasion, les eurodéputés Sandrine Bélier et Eva Joly d’Europe Écologie ont pris la parole pour dénoncer les effets “dangereux, irresponsables et contraires aux valeurs de l’Union européenne et des droits de l’homme” de ce texte.

Sandrine Bélier revient sur cet engagement contre une société du tout sécuritaire.
Vous évoquez dans votre tribune la question du choix de société.


La LOPPSI constitue-t-elle pour vous l’incarnation de la vision qu’en a la droite française?

Oui, la question que nous renvoie ce texte est une question de choix de société, comme nous l’énonçons avec Eva Joly dans notre tribune, c’est le choix entre une société de la répression ou une société de la responsabilité, de la solidarité et du partage. Vouloir répondre et réduire le sentiment d’insécurité que vivent les français ne peut pas être restreint à créer un État policier qui contrôle au quotidien la vie de tous ses citoyens. Cela ne réduira pas les inégalités et la difficulté des fins de mois. Et je pense qu’il y a des principes et équilibres démocratiques qu’il faut veiller à maintenir et sauvegarder: le rôle et la place du pouvoir judiciaire dans cet équilibre sont primordiaux pour garantir le respect des droits fondamentaux par le pouvoir exécutif lui-même. Le rôle et la place de chaque citoyen et la protection de ses droits fondamentaux sont primordiaux pour protéger les citoyens de l’insécurité des dérives d’un autoritarisme étatique.

La question que nous devons nous poser est dans quelle France voulons nous vivre ? Quelle France nous propose aujourd’hui l’UMP? Expulsion des plus démunis, le piétinement de la justice et des droits des citoyens, la censure du Net, la constitution de nouvelles milices et la politique de la peur font-ils parties de nos valeurs, de notre héritage démocratique ? Je fais partie de ceux qui ne le pensent pas. Cette politique ne fait pas honneur à la France et à celles et ceux qui, de tous temps, ont permis à notre pays de s’ériger en modèle de terre démocratique des droits de l’Homme à travers le monde. Je ne crois pas qu’en stigmatisant des populations, en restreignant les libertés publiques et numériques les citoyens gagnent en vitalité démocratique, politique, sociale ou économique. Avec la LOPPSI, c’est une loi de plus qui participe à opposer les citoyens entre eux et à favoriser les clivages… Non, décidément, cette vision de la société que nous propose la droite française pour la France, n’est pas ma France.

Vous n’évoquez Internet qu’à travers l’évocation de la HADOPI. Pourtant, la LOPPSI touche aussi au réseau, notamment au travers de l’article 4.

C’est juste, mais nous l’avions bien à l’esprit aussi. Nous n’avons pas cité l’article 4, comme bien d’autres dispositions du texte. Merci de me donner l’occasion de faire ici un focus et d’énoncer que cet article est également très préoccupant. Concrètement, ce qui est introduit avec la LOPPSI c’est la possibilité pour le ministère de l’Intérieur d’ordonner le filtrage d’un site Internet aux fournisseurs d’accès qui ne pourront pas s’y opposer. Ce filtrage – en d’autres termes le contrôle des contenus des sites web – se ferait sur la base d’une liste confidentielle qui ne sera auditée que 24 mois après que la loi entre en vigueur.


Certains justifieront cette mesure par le fait qu’il s’agit de lutter contre la pédopornographie, un fléau contre lequel il est essentiel de se mobiliser.

Mais, quelles sont les limites à ce contrôle, quelles sont les garanties contre les atteintes excessives à la vie privée, à la liberté d’expression, au principe de présomption d’innocence? Aujourd’hui, on nous propose de contrôler l’activité des citoyens sur le web pour lutter contre la pédopornographie, demain pour lutter contre le partage de la culture qui porte atteinte aux intérêts des industries de divertissements, et après-demain ? Quelle activité, quels propos seront susceptibles de faire l’objet d’une mesure qui prévoit, sans procédure préalable, de supprimer des pages du web? Mon souci aujourd’hui c’est l’esprit de la LOPPSI. Lorsqu’on applique le droit, on se réfère à la lettre et à l’esprit du texte. L’esprit de cette loi constitue une vraie menace à la liberté d’expression et à l’accès à l’information dans un contexte plus général. Ce qu’il faut mesurer est que ce texte n’est pas isolé et n’est pas le premier. Il s’inscrit dans un ensemble d’autres décisions et mesures réglementaires dans une logique purement répressive. Hadopi a posé des bases de la LOPPSI. L’Arjel, l’Autorité des jeux en ligne, aussi, instaure de son côté les bases de la censure et, si l’on veut remonter plus loin encore, la DADVSI est une des premières lois qui vise à réguler Internet, à le “civiliser”. A ceci s’ajoute le traité anticontrefaçon ACTA, un traité international qui aimerait étendre le contrôle du Net à l’échelle internationale. La LOPPSI2 n’est qu’un morceau d’un puzzle construit depuis quelques années et aux répercussions bien plus globales.

La France ayant été condamnée trois fois en deux ans par la CEDH, pensez-vous que cela puisse se reproduire?

Oui, la Cour Européenne des Droits de l’Homme pourrait être saisie du premier dossier motivé par la LOPPSI et la France n’est pas à l’abri d’une nouvelle condamnation. C’est un ultime recours, et je pense qu’il faut aujourd’hui se concentrer sur toutes les formes d’actions possibles. Elles ne sont pas que juridiques. La mobilisation citoyenne, la mobilisation des internautes, la mobilisation des médias, la sensibilisation du plus grand nombre aux menaces que représentent ce texte, l’expression politique doivent s’organiser et être plus importantes que jamais.


Est-il possible selon-vous que le Sénat modifie le cours des choses? Si tel est le cas, prévoyez-vous de saisir le Conseil Constitutionnel?

Très honnêtement, je le souhaite et l’espère, mais je ne le crois pas. A la différence du Parlement européen, où il est possible de créer des majorités transversales de projets et de raison, les parlementaires français votent par tradition sur des bases purement partisanes, sans se poser de questions. Le gouvernement dit, les élus de la majorité gouvernementale suivent. Regardons les choses en face : le Sénat a validé le texte en première lecture et devrait, selon toute vraisemblance, en faire de même en seconde lecture. Nous serons fixés jeudi. Il restera alors à envisager la saisine du Conseil Constitutionnel, mais malheureusement ce ne sont pas les seuls élus d’Europe Ecologie – Les Verts qui pourront le faire, car nous n’avons pas aujourd’hui 60 sénateurs ou 60 députés, nous ne sommes pas à la présidence du Sénat ou de l’Assemblée Nationale… Il faudra donc constituer un groupe d’au moins 60 sénateurs ou 60 députés avec les autres partis pour faire ce recours…

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