Trois questions à Eva Joly sur la commission Juncker

18 septembre 2014
Trois questions à Eva Joly, membre de la commission ECON, concernant la composition de la future commission Juncker, en particulier Jonathan Hill pour la régulation financière, Jyrki Katainen pour l’investissement et Pierre Moscovici pour le contrôle budgétaire:

Quelle a été votre première réaction à l’annonce de la nouvelle équipe Juncker ?

Après seulement 2 mois à la tête de la présidence de la Commission Européenne, il faut bien reconnaitre que Jean-Claude Juncker surprend… dans le mauvais sens. Nous déplorions déjà que le collège des commissaires ne soit pas paritaire. Et l’annonce par chaque pays membres de sa/son commissaire n’augurait rien de particulièrement bon. Mais l’annonce de la nouvelle commission a porté des coups d’une rare violence à l’ambition européenne. Avec tout d’abord la nomination de l’espagnol Miguel Cañete, pro-pétrole machiste, au poste décisif de l’énergie et du climat. Et puis que dire du choix de Jonathan Hill, conservateur britannique pro-lobbies, pour « mener » la régulation financière? Insupportable!

La phase des auditions par le Parlement Européen va commencer d’ici quelques jours. Par deux fois déjà (2004 et 2009) le Parlement a su mettre son veto à des choix inacceptables. Il y a matière à recommencer!

Justement vous êtes membre de la Commission affaires économiques et monétaires. ll à la supervision bancaire, Jyrki Katainen à l’investissement et Pierre Moscovici au contrôle budgétaire : un trio perdant ?

Ne partons pas défaitiste mais reconnaissons que le coup est dur. La situation économique de l’Europe est catastrophique. Encore aujourd’hui, la Banque Mondiale s’est inquiétée du risque que fait encourir notre fragilité sur le reste de la planète. Et pour cause, l’austérité a mis des millions d’européens à genoux et brisé toute forme de projet d’avenir. En parallèle, malgré les milliards d’euros injectés en urgence, malgré tous les cadeaux et avantages accordés, le système bancaire européen n’arrive plus à jouer son rôle de financement de l’économie réelle. La demande s’est effondrée, le sous-investissement- humain et capital- menace la plupart des secteurs d’activités européens alors que déjà de nouvelles bulles spéculatives émergent. Le cercle vicieux de la dépression est enclenché.

Que faire?

Les priorités sont claires. Mettre un coup d’arrêt à l’oppression budgétaire. Ce sera le rôle de Pierre Moscovici en tant que garant de l’alliance entre socialistes et conservateurs au niveau européen. Celui qui fut notre ministre de la non séparation bancaire n’a pour l’instant pas prouvé qu’il était la bonne personne pour faire vivre un quelconque début de réorientation.

Ensuite il faut redonner un projet de développement à notre continent. Nous le savons bien, la transition écologique est ce projet de société dont nous avons besoin. Jean-Claude Juncker a annoncé un plan de 300 milliards d‘euros d’investissement sur 3 ans. Nous pouvons donner du sens à cette annonce en investissant massivement dans les économies d’énergie (notamment la rénovation thermique des bâtiments). Cette première étape serait un bon signal envoyé à l’ensemble des acteurs économiques. Mais celui qui sera en charge de rendre les annonces concrètes n’est autre que celui que l’on a surnommé Monsieur Rigueur lorsqu’il était encore Premier ministre finlandais. Rien n’indique qu’il ait la moindre vision de ce qu’il faudrait faire. Notre mobilisation sera donc essentielle.

Mais notre plus gros problème c’est Hill !

Le conservateur britannique a été nommé à la supervision financière….

Oui. C’est une provocation de Juncker. Soyons clair, remettre l’Europe en marche, rendre possible le financement de la transition écologique passe par une redéfinition du rôle de notre système bancaire. Les choses ont trop peu progressé et la faillite de la banque Banco Espirito Santon rappelle la fragilité du système. Et puis le « shadow banking » tout comme le trading haute fréquence se sont considérablement développés. L’idée selon laquelle une bonne régulation doit être contracyclique n’a pas été suffisament prise en compte. Et par-dessus tout, le problème du « too big to fail » n’a pas été réglé. Il y a plus de géants bancaires aujourd’hui qu’en 2007, et les finances publiques ne sont plus en état de supporter de nouvelles faillites.

Et pour mener à bien ces chantiers, Juncker nomme un proche de la City ? Nous mènerons une bataille acharnée lors des auditions pour bloquer un homme dont la proximité avec Londres -et les lobbies en général- n’augure rien de bon.

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Un commentaire

  • Carré Jean Paul dit:
     - 

    je suis tout à fait d’accord avec vous Eva. Cette nouvelle commission européenne n’augure rien de bon. Tous ces commissaires, y compris Moscovici ont un passé qui laisse présager une UE encore plus en danger…..Ils n’ont rien compris et cèdent aux lobbies qui les assaillent. N’y a t’il rien à faire pour empêcher ces lobbies essentiellement américains de nuire….quite à punir les députés et commissaires un peu trop « complaisants » ?
    Il semble évident que ces ultra libéraux vont signer le TAFTA, ce sinistre traité dont les français ne mesurent ne pas la portée faute d’information par les médias. Quelle catastrophe pour notre démocratie…..auparavant viscéralement pro européen, j’en arrive aujourd’hui à penser que la seule façon d’échapper à cette pieuvre sanguinaire est de tout faire pour sortir de l’Europe avec tous les risques que cela comporte, ces risques ne sont pas pires que ceux que cette bande organisée nous fait courir.
    Heureusement que des gens comme vous, Eva, les freine quelque peu et je vous remercie de votre implication, de l’énergie que vous mettez dans cette lutte au mépris même des intérêts de votre carriere, ce qui n’est pas le cas pour tous y compris dans EELV…..

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