Contre la montée du populisme en Europe
Avant la Finlande et les presque 20% obtenus par le parti des « Vrais Finlandais », l’entrée au Parlement des « Démocrates de Suède », qui n’ont de démocrates que le nom, la percée du « Pacte du Progrès » en Norvège (23% !), du « Parti du Peuple » au Danemark (14%), et du « Parti de la Liberté » en Hollande (16%) avaient déferlé sur l’espace nord-européen gagné par une fièvre généralisée. Tous ces sigles-champignons témoignent d’une même et seule crise politique commune à ces différents pays.
En Grande Bretagne les Frères ennemis de UKIP (17%) et du British National Party (6%) sont déjà arrivés à des scores auxquels Marine Le Pen et le Front National ne font que commencer à rêver en France. Leur registre est plus idéologique, carrément d’extrême-droite, tout comme le Jobbik en Hongrie (17%). D’implantations plus anciennes, ils influencent déjà notablement la politique de leurs pays, même si c’est indirectement comme en France. Il en est de même pour le « Parti de la Liberté » en Autriche (16%) qui, du temps de Jorg Haider, décédé depuis, avait scandalisé l’Europe démocratique en entrant au gouvernement. Il est loin le temps de la « quarantaine démocratique » prononcée alors contre l’Autriche : aujourd’hui c’est les trois quarts de l’Europe qui pourraient être mis en quarantaine !
Car ces partis accèdent de plus en plus aux gouvernements de leurs pays ; ça a été le cas en Pologne (parti « Droit et Liberté » des frères Kaczinski), ou en Tchéquie ; c’est le cas en Suisse avec l’Union du Centre (29%), c’est annoncé pour la Finlande, c’est quasiment le cas aux Pays-Bas où le Parti de la Liberté tient la majorité gouvernementale en otage, et c’est le cas, avec le particularisme latin, de la Ligue du Nord en Italie.
En fait, il aurait été plus simple de faire l’inventaire des pays encore indemnes : pour l’essentiel, la Grèce, le Portugal, l’Espagne ou l’Irlande !
On comprend alors que cette poussée eurosceptique ne sera pas sans conséquences politiques au moment où l’Europe se débat dans la crise. Déjà, on en avait senti les prémisses quand Vaclav Klaus, le Président europhobe tchèque, en opposition avec son Parlement, refusait de ratifier le traité de Lisbonne, bloquant son entrée en vigueur au moment même où David Cameron en Grande Bretagne faisait campagne pour sa remise en cause. Les pressions internes et externes furent efficaces, Klaus s’exécuta, et Cameron, une fois élu, enterra promptement sa promesse électorale face à la validité du Traité déjà ratifié. Mais, demain, de telles situations vont se multiplier, et la gouvernance européenne risque fort d’être très affaiblie pour faire face à la crise économique, et aux décisions de solidarité qui seront absolument nécessaires.
Car des trois « aliments » du populisme européen, c’est le troisième qui préoccupe vraiment. La xénophobie et le racisme face à l’immigration sont des phénomènes qui ne datent pas d’hier, de même que le « nationalisme d’Etat » qui fait régulièrement de l’Europe le bouc émissaire de ses insuffisances politiques structurelles. Le fait vraiment nouveau, celui qui provoque le « boom électoral » du populisme, c’est la grande peur d’être aspirés par la crise qui a ébranlé la stabilité de certains pays d’Europe. La « carte des populismes » est d’ailleurs éloquente : Nord de l’Europe, là où la campagne de presse avait atteint son paroxysme au moment du déclenchement de la crise grecque, ou Nord de l’Italie par exemple.
Pourtant, sans solidarité européenne, il n’y a aucun espoir de sortir de la crise économique actuelle qui n’est que la conséquence de la croissance économique des pays émergents comme la Chine ou l’Inde dont la croissance, inévitablement, concurrence la prospérité européenne. En fait, ces victoires électorales sont celles de la démagogie que certains ont laissé se propager, hier en bloquant le traité de Lisbonne (référendums en France et en Hollande), aujourd’hui en alimentant les égoïsmes économiques.
Aussi, il faut expliquer comment la solidarité allemande a rétabli en une génération la situation économique dans les länders de l’Est, et que, à l’Ouest, les länders « contributeurs nets » de cette solidarité bénéficient désormais à leur tour de cette prospérité économique retrouvée. Expliquer comment la solidarité européenne est en train de faire de même pour les pays de l’Est entrés exsangues dans l’Union Européenne, mais qui seront demain source de croissance économique pour toute l’Europe.
Les « bouffées délirantes » qui s’expriment aujourd’hui à travers la montée des populismes doivent être combattus sur ce terrain là, sans doute davantage que sur le terrain uniquement moral de la lutte contre le racisme. Ce qu’il faut retrouver, c’est la pédagogie de l’Europe.
François ALFONSI