Copenhague ne doit pas être le sommet de la honte
Y a-t-il un avenir pour les réfugiés climatiques?
2050: selon l’ONU, la population mondiale devrait atteindre les 9 milliards d’habitants. Nous sommes en mesure d’évaluer l’impact du réchauffement climatique: déplacement de populations, bouleversement des flux migratoires, destruction d’emplois, tensions sociales, instabilité internationale, réduction du nombre de terres arables, importantes pénuries d’eau, hausse du nombre d’inondations et des sécheresses prolongées … Si rien n’est fait pour lutter contre le dérèglement climatique, ce sont 200 millions à 1 milliard de personnes, soit un «potentiel» de un habitant sur neuf à l’échelle mondiale, qui deviendra demandeur d’asile.
Ce scénario n’a rien d’une fiction. Les premiers déplacements — en 2009 — ont déjà eu lieu. Les habitants des îles Carteret, victimes de la montée des eaux et d’inondations de plus en plus fréquentes, ont déjà entamé leur migration vers Tinputz, sur l’île Bougainville, en Papouasie Nouvelle-Guinée… Et la montée des eaux menace directement les plus grandes villes côtières comme Bombay, New York, Hô Chi Minh-Ville, Calcutta, Shanghai, Miami, Lagos, Abidjan, Djakarta, Alexandrie, Hambourg… La «guerre» économique de l’accès aux terres fertiles a déjà commencé. Pour seuls exemples, la Corée du Sud loue la moitié des terres arables de Madagascar, l’Arabie Saoudite loue des terres en Indonésie, au Pakistan et au Soudan pour entre autres cultiver des agro-carburants.
Dans un tel contexte social et géopolitique, quel est le sort réservé aux personnes déplacées? Quel avenir, quels droits, quel statut pour ces réfugiés climatiques dont on imagine qu’ils ne seront pas, dans les faits, à égalité selon qu’ils sont Américains, Africains, Européens ou Chinois. Car si les dernières études tendent à montrer que les déplacements de population devraient globalement se faire au sein d’un même territoire (déplacement, par exemple, vers les grands lacs aux Etats-Unis et notamment vers Buffalo — ville aujourd’hui boudée par les Américains qui pourrait y gagner une seconde vie), une telle situation n’est pas forcément généralisable. Les populations se déplacent là où existent des points d’eau, des terres arables, là où un avenir semble possible…
La prise de conscience au sujet des «réfugiés» climatiques ou environnementaux n’est pas nouvelle. Elle est née au début des années 80. Mais si dès 1985, un rapport de l’ONU en évoque le concept, nulle définition, nul statut n’existe à ce jour. Des tentatives ont bien été lancées via quelques rapports, cherchant à y mêler la responsabilité des Etats en matière d’émissions de gaz à effet de serre mais sans parvenir à imposer un statut juridiquement valable pour assurer une assistance, une protection et des droits aux migrants. Seule initiative véritablement probante, celle de la Suède qui est à ce jour l’unique pays à avoir initié l’extension de la convention de Genève de 1951 dans sa législation nationale en accordant, par extension, le droit d’asile aux victimes de catastrophe naturelle. L’extension de la définition de «réfugié» dans la Convention de Genève pourrait être une solution, mais elle ne permet toutefois pas de régler le problème des migrants dans un même pays.
Parmi les pistes de réflexion, il y a le projet de «global gouvernance project», porté par douze institutions européennes de recherche, qui initie l’idée d’adopter un Protocole sur la reconnaissance, la protection et la réinstallation des réfugiés climatiques, qui serait annexé à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques de 1992 et qui permettrait de dégager un «régime juridique séparé et indépendant» pour les réfugiés climatiques. Les principes dégagés par les chercheurs du Global Governance Project constituent un véritable programme pour une prise en charge globale des phénomènes liés aux bouleversements environnementaux, tout en limitant leur application présente à la question climatique:
* réinstallation des personnes déplacées ;
* délivrance d’un statut de migrants permanents ;
* considération des droits des populations déplacées et non des individus ;
* régime international de protection à l’intérieur des Etats ;
* système de répartition des coûts et des charges de la réinstallation des migrants entre les Etats.
Le Centre International de Droit Comparé de l’Environnement (CIDCE) PDF], va plus loin et envisage en 2005 un statut de «réfugiés écologiques»; en 2009, avec la Société Française de Droit de l’Environnement (SFDE), lance le « projet de convention relative au statut international des déplacés environnementaux».
Il n’est plus possible de se voiler la face. Il nous appartient, à nous, pays du nord, riches et industrialisés, de payer la dette qui est la notre au pays que nous avons exploité et aux populations qui sont les principales victimes de nos choix de développement. Aujourd’hui, il s’agit de faire face et prendre les mesures les plus à même de limiter l’ampleur des flux migratoires. Ces mesures et les engagements qui traduiront notre capacité à assumer notre responsabilité, notre capacité à donner sens au mot «solidarité», c’est lors du sommet de Copenhague, en décembre que nous pourrons la mesurer.
Décembre 2009: l’épreuve de vérité pour les valeurs de l’union européenne
Les négociations autour de la 15e Conférence des parties signataires de la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique devront non seulement déboucher sur des objectifs ambitieux de réduction de gaz à effet de serre afin de ne pas dépasser une augmentation globale de température de 2° d’ici la fin du siècle, mais aussi sur un engagement fort et chiffré de l’aide financière des pays historiquement responsables du dérèglement climatique envers les pays qui subissent et subiront les conséquences du changement climatique.
L’Union européenne a les moyens d’initier la reconnaissance, la protection, l’assistance aux populations fuyant leurs territoires pour cause de catastrophe climatique et d’assurer une coopération internationale nécessaire aux pays du sud pour assurer leur adaptation au dérèglement climatique. L’Union européenne a les moyens de peser dans la négociation portant sur le développement de stratégies d’adaptation au changement climatique qui repose sur l’idée de la mise en place de fonds alimentés par le Nord et destinés à financer cette adaptation. Ces stratégies peuvent prendre différentes formes: diversification des pratiques agricoles, transformation de l’habitat, renforcement des digues, etc.
Je sais et je crois que l’Union européenne peut retrouver sa place de leader mondial sur le sujet si elle le veut. Je sais et je crois qu’elle doit retrouver sa place de leader mondial et ne pas céder aux égoïsmes nationaux qui sont en train de ronger les valeurs qui l’ont fondée.
La menace que le sommet de Copenhague devienne le sommet mondial de la Honte
Deux questions devaient notamment faire l’objet d’une réponse à la dernière réunion du Conseil Européen des 29 et 30 octobre: celle du montant global de l’aide à la lutte contre le changement climatique aux pays du sud, et celle de la contribution de l’Europe à celle-ci. Les Chefs d’Etat et de gouvernement ont bien répondu à la première, pas à la seconde. C’est pourtant le nœud des négociations internationales sur le climat. Peut-on imaginer que l’Union européenne restera insensible à la détresse des pays du Sud? Je refuse de le croire et ceci même si les conclusions des négociations de la dernière réunion du Conseil Européen sont un échec. Je refuse d’imaginer que nous allons en rester à une simple volonté de piocher dans l’aide publique au développement pour les aider à faire face à la crise climatique. Un problème de fonds financiers européens à mobiliser en cette période de crise? Non ! Quand la ligne politique est fixée, les moyens financiers sont trouvés. Les moyens et les engagements budgétaires ne sont qu’affaire de volonté et choix de priorités politiques.
Ainsi, il y a eu moins d’échos aux conclusions qui ont réjouies notre président de la République sur la mise en œuvre du «Pacte européen sur l’immigration», proposé par Brice Hortefeux, le 7 juillet 2009, et adopté par le Conseil européen réuni les 15 et 16 octobre. Ce texte ne prévoit malheureusement pas le statut des réfugiés climatiques. Il s’appuie sur le concept d’immigration «choisie» et retient la proposition de la Commission européenne de «carte bleue» visant à faciliter l’arrivée et l’établissement de travailleurs hautement qualifiés. Prenant appui sur la directive «retour», le Pacte appelle à renforcer la coopération entre Etats membres, avec l’organisation de vols de rapatriement conjoints… Nicolas Sarkozy s’est montré ravi, à l’issue de ce dernier conseil que ses partenaires aient repris à leur compte cette proposition qu’il leur a soumise dans une lettre datée du 23 octobre co-signée avec Silvio Berlusconi.
Ces «retours groupés», pour reprendre l’euphémisme employé par le Président français, permettent aux Etats membres de se regrouper pour reconduire vers un ou plusieurs pays des étrangers en situation irrégulière. Ils sont financés par l’agence Frontex, l’organisme chargé de coordonner la surveillance des frontières extérieures de l’Union. Pour les pays les plus désargentés, un « Fonds européen pour le retour » a même été créé à cet usage…
Barcelone : dernier rempart contre les murs des égoïsmes nationaux?
Avant Copenhague, c’est à Barcelone que se retrouvent cette semaine, du 2 au 6 novembre, plus de 4.000 délégués pour la dernière étape de négociations. Tout peut encore changer! Alors que l’Europe commémorera le 9 novembre la chute du mur de Berlin, symbole de la fin de la guerre et de la guerre froide, énorme souffle d’espoir pour le début d’une Europe solidaire, plus forte et ouverte sur le monde, j’espère que dans 20 ans, je ne vivrai pas dans une nouvelle forteresse médiévale européenne…
Combien de murs faudra t-il construire autour de l’Europe, quelle hauteur devront avoir ces murs pour nous empêcher de voir la misère que nous avons généré, combien de barbelés faudra t-il pour empêcher cette misère de nous atteindre ? Entre Barcelone et Copenhague, la solidarité internationale et humaine peuvent prendre tout leur sens. Le sommet mondial peut-être historique pour les générations à venir ou constituer le sommet de l’indifférence et de la honte.
Première publication sur [SlateFrance