Crise économique : Sortir l’Europe du Sud des « perspectives négatives »
En effet, c’est dans cette « perspective négative » qu’est le nœud du problème. Les États Unis, surendettés au plan fédéral, comprenant des États eux-mêmes surendettés tels la Californie qui pèse à elle seule autant que le plus puissant des États européens, gardent la confiance des marchés car leur économie donne des « perspectives positives », c’est à dire qu’elle dégage une dynamique d’ensemble semble-t-il suffisante pour surmonter les déficits engrangés année après année. L’économie française ne donne pas la même impression, et, telle la Californie si l’État fédéral américain n’existait pas, la France est aspirée dans la spirale des « perspectives négatives » sans pouvoir se raccrocher aux piliers économiques les plus solides de la construction européenne.
Pourtant les chiffres comparés sont plutôt favorables à l’Europe. Les États Unis, 300 millions d’habitants, ont, en dollars, 15.000 milliards de dette pour 15.000 milliards de PIB annuel, soit 100%, un taux record. L’Europe, 500 millions d’habitants, a, en euros, 10.000 milliards de dettes pour 15.000 milliards de PIB annuel, soit 66%. La « charge de la dette » est donc, dans sa globalité, bien moins forte en Europe. Sauf que l’Europe n’est justement pas une globalité, mais une addition d’États-nations, divisée en deux groupes bien distincts, selon que leurs perspectives sont « positives » ou « négatives ».
La crise actuelle est donc une pression énorme pour aller vers une Europe Fédérale capable de globaliser sa gouvernance économique, avec le contrôle démocratique du Parlement Européen. Si tel n’est pas le cas, elle sera menacée de se rompre en deux, et les pays à perspectives négatives dériveront alors vers des zones économiques de forte récession. La comparaison avec 1929, pour le coup, ne sera pas exagérée, et la Grèce en donne déjà un avant goût. Si elle perdait la perfusion financière du Fonds de Solidarité mis en place par l’Union Européenne, elle basculerait même dans le chaos faute de pouvoir payer ses fonctionnaires ou ses militaires. Ce serait la porte ouverte à l’aventure dans une Méditerranée plus exposée que jamais économiquement comme politiquement.
Car les cartes publiées dans la presse qui hiérarchisent les notations des États d’Europe décrivent un nord favorisé et un sud à la peine. Et, dans l’entre-deux, une France qui décroche, dans la foulée des autres grandes économies du sud, Italie ou Espagne. Or c’est la France qui oppose la résistance politique la plus forte à la mise en place d’une gouvernance européenne, au nom d’une souveraineté nationale qui n’est plus de mise. Le populisme s’est emparé de ce créneau, de Montebourg ou Mélenchon à Le Pen. Il rencontre en écho les populismes du Nord de l’Europe, phénomène qui est né avec la crise, et dont le message est clair en faveur du repli sur soi d’une Europe du Nord limitée aux pays « du triple A », qu’ils soient dans la zone euro (Allemagne, Pays Bas, Luxembourg, Finlande), ou hors zone euro (Suède, Danemark et même Norvège qui est hors l’UE, mais qui est partie prenante de l’entente des pays scandinaves).
On voit bien le scénario du pire : une Europe du Nord où se propage le populisme des riches, et une Europe du Sud, dont la France, en proie aux populismes souverainistes. Et l’élection européenne de 2014 servirait alors d’exutoire à cette frénésie absurde, qui pourrait conduire à une fracture aux conséquences incalculables, surtout si l’on considère la mission que l’Europe doit accomplir pour stabiliser l’espace méditerranéen et contribuer à y construire un espace économique et démocratique durable.
Dans les mois qui viennent, notre continent vivra des évolutions déterminantes pour les générations futures. Le Fédéralisme est l’évolution qu’il faut privilégier rapidement, afin que ses effets évitent de nouvelles dégradations, et pour que les perspectives économiques redeviennent positives aussi vite que possible.
François ALFONSI