Évasion fiscale en Europe : une victoire au goût amer

10 juillet 2015
Dans une tribune publiée par Le Monde, Pascal DURAND revient sur les avancées en matière de justice fiscale obtenues par le Parlement européen. Pourtant, elles ont un prix, payé par les seules personnes poursuivies aujourd’hui en Europe : non les fraudeurs ni leurs complices, mais les lanceurs d’alerte qui ont permis de faire progresser la justice.
Parfois, même une belle victoire peut laisser un gout amer. L’amertume du temps perdu, celle des milliards détournés de budgets publics, mais aussi l’amertume du trop lourd tribut payé par les lanceurs d’alerte.

Aujourd’hui, le Parlement européen a décidé de mettre un frein à certaines pratiques fiscales des grands groupes, réalisées avec la complicité active de certains États européens. Il a décidé de rendre transparents les accords occultes passés avec les administrations fiscales et d’imposer pour chaque groupe de sociétés un reporting pays par pays sur les impôts payés et le chiffre d’affaires réalisé.

Cela faisait des années que les écologistes se battaient pour obtenir ces informations que les multinationales se refusaient à communiquer au nom de leur compétitivité, quand ça n’était pas au nom du secret d’affaires.

Cette transparence est pourtant le seul moyen de lutter efficacement contre un système inique où les plus gros payent les impôts qu’ils veulent là où ils veulent pendant que l’écrasante majorité des entreprises, PME, TPE, artisans, professions libérales, payent les leurs là où ils travaillent.

Cette atteinte à l’équité était d’autant plus scandaleuse que ces sommes faisaient défaut à des États tenus de respecter des critères d’équilibre budgétaire et contraints de réduire, parfois drastiquement, à un coût social insupportable, leurs dépenses publiques.

Quelle fut donc la raison de ce retournement du Parlement européen ?

Le courage ! Malheureusement, pas celui des dirigeants européens, mais celui de simples citoyens, des lanceurs d’alerte qui, bravant les risques de poursuites, ont jeté la lumière sur l’ampleur des sommes détournées des caisses publiques et sur le caractère dérisoire des impôts payés, parfois inférieurs à 1 %.

Rien, dans cette négociation, n’aurait été possible sans la pression publique issue des révélations d’Antoine Deltour, d’Edouard Perrin et d’Hervé Falciani. Rien, dans ce dossier, n’aurait été possible sans les scandales du LuxLeaks et du SwissLeaks. Rien n’aurait été possible sans la crainte issue des révélations de lanceurs d’alerte aujourd’hui seuls poursuivis, voire persécutés, tels Julian Assange ou Edward Snowden.

En quelques semaines, ces scandales devenus publics ont forcé la Commission européenne à faire de l’évasion fiscale sa grande priorité. Hier artisan d’un système insupportable de détournement des richesses publiques au profit d’intérêts privés, Jean-Claude Juncker, premier ministre pendant 18 ans du principal État complice de cette « optimisation » fiscale, le Luxembourg, s’en est voulu soudainement le plus grand adversaire.

De fait, le coût politique pour les défenseurs de l’opacité devenait trop élevé. Lorsque les écologistes ont annoncé leurs amendements sur la transparence fiscale, la pression a fini par l’emporter.

Par cette prise de position, qui pourra toutefois être encore bloquée par le Conseil, l’Europe a fait un pas en direction de la justice fiscale et de l’équité. Nous nous en réjouissons.

Mais je n’oublie pas que cette avancée a eu un prix, et qu’il est payé par les seules personnes poursuivies aujourd’hui en Europe : non les fraudeurs ni leurs complices, mais les lanceurs d’alerte qui ont permis de faire progresser la justice.

C’est avec eux que je voudrais partager cette victoire et rappeler que, dans nos démocraties modernes, loin de la répression, du secret et de l’opacité, c’est la transparence, la protection des lanceurs d’alerte et des journalistes qui constituent les meilleures garanties d’une société plus juste et plus solidaire.

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